Jean-Michel peut tenir avec ses souvenirs de haut-fonctionnaire toute une soirée. On le sent comme libéré de cette pesanteur interdisant aux personnes ayant servi aux cotés des tenants du pouvoir central de conter anecdotes et constats personnels. Son engagement au cours des années 70 et 80 lui a en effet valu de suivre diverses personnalités dans les ministères qui leur étaient accordés. Sa carrière dans le temple réel du pouvoir que demeure le site de Bercy, attestait de sa capacité de « conseiller » des « arrivants » sous les ors des bâtiments ministériels grâce à la victoire de François Mitterrand.
A table bien avant que l’on soit entre la poire et le fromage il alimente les réflexions des convives. Son parcours lui permet de confier que le pouvoir finit par encombrer les esprits de celles ou ceux qui l’on conquit. « C’est inévitable. On travaille beaucoup contrairement à ce que l’on prétend. Etre membre ou responsable d’un cabinet implique bien des sacrifices assure-t-il. Mais les moyens accordés estompent souvent ce contexte. J’ai conscience de m’être laissé parfois griser par les habitudes du milieu. Ce qui est vrai pour les collaborateurs l’est aussi pour celui que l’on sert. »
Pour illustrer son propos il raconte ce moment particulier où il se déplaçait avec son épouse dans Paris dans sa véhicule de fonction. Sa franchise donne son sens à ce qui reste un événement tout à fait banal. « J’étais pressé et j’ai emprunté un couloir de bus. Une voiture de police m’a évidemment intercepté car mon automobile n’avait aucun signe distinctif. J’ai obtempéré. Le policier m’a demandé mes papiers. Comme je lui avais montré ma carte du ministère il m’a simplement demandé de ne pas continuer à rouler dans le couloir. Il est remonté dans le véhicule qui a poursuivi son trajet. »
Jean-Michel avoue qu’il a eu une réaction que ses valeurs ne lui permettaient pas. « Je suis reparti sans tenir compte de la remarque qui m’avait été faite. Le conducteur de la voiture de police m’a vu dans le rétroviseur n’a pas mis longtemps à s’arrêter. Son collègue qui était intervenu m’a encore stoppé et m’a logiquement sermonné et m’a indiqué qu’il voulait me sanctionner J’ai eu alors une réaction incompréhensible. Je lui ai dit : « Entre ma parole et la vôtre qui croyez-vous que croira le Préfet de Police ? Il n’a logiquement que peu apprécié mais il m’a remis les papiers et il est parti ! » Cette seule phrase reflète ce sentiment d’impunité et de supériorité que ressentent parfois les entourages des gens qui gouvernent ou exercent un pouvoir quelconque.
« Mon épouse était furieuse et outrée explique celui qui a traîne des remords de cet épisode vieux de quelques décennies. Tu te rends compte de ce que tu viens de dire ? C’est scandaleux ! Tu oublies que tu as été fonctionnaire ? J’ai quitté le couloir…et je n’ai pas répondu. Je crois que le plus grave c’est que justement je ne m’étais pas rendu compte de ce que j’avais répondu au policier qui n’avait que rempli sa mission ! C’était en décalage complet avec mes idées ! » L’ex-collaborateur d’un Ministre au milieu d’un débat sur le rôle de la techno-structure dans le milieu du pouvoir permet de mesurer la réalité d’une époque que personne n’ose penser qu’elle est totalement révolue.
J’ai bien aimé évoquer avec Jean-Michel aujourd’hui retraité paisible, autour de la table de grande qualité de la brasserie libournaise l’Orient, ces réalités paraissant bénignes mais qui reflètent une tendance bien française aux exceptions qui confirment l’utilité des règles morales. « Pour ma part j’ai beaucoup de respect pour deux premiers ministres au cours des quarante dernières années dont la rigueur a été exemplaire : Michel Rocard et Lionel Jospin ! Le premier a quand même tout fait pour moraliser au maximum le financement de la vie politique et le second a redressé les finances publiques ! Ont-ils été appréciés à leur juste valeur ? Non.Ils avaient pris pourtant des mesures ayant duré dans le temps mais ayant été très critiquées. » A priori ces deux personnalités avec lesquelles directement ou indirectement l’animateur du repas a travaillé ne partageaient pas toutes ses options politiques. C’est ce qui rend encore plus crédible la sincérité de ses constats. Moment rare.
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Selon que vous serez…
J’ai vécu un fait un peu analogue, bien que n’ayant aucun rapport avec une désobéissance civique mais avec l’autorité du « chef ».
Revenu à la vie civile (sic), j’ai reçu un avis d’impôt comminatoire, avec menace de saisie, de la commune où j’avais été un temps en garnison, pour payer le deuxième tiers provisionnel forfaitaire , ayant déjà réglé par précaution le premier que je ne devais pas, car avec mes 15 centimes puis 60 centimes par jour de solde, ça n’allait pas bien loin.
Malgré mes nombreuse pérégrinations , l’administration fiscale avait retrouvé ma trace avec célérité.
Je me suis donc « rapproché » de la perception de ma commune , comme disent les gens qui causent bien, pour régler cette complication.
– Ça n’est pas de notre ressort, adressez votre réclamation à la perception d’Arpajon.
Je ne voyais pas « sorti de l’auberge », je suis donc descendu l’étage au dessous conter mes ennuis à un ami, percepteur d’une petite commune voisine. Il m’a dit :
– Viens avec moi !
Nous sommes remontés et fait une entrée remarquée, bras dessus, bras dessous dans le bureau d’où j’avais été éconduit.
– Mon ami a des difficultés avec cette affaire de tiers provisionnel. Voulez vous s’il vous plait la régler ?
L’employée, s’adressant à moi :
– Bien sûr. Entrez donc dans mon bureau, asseyez vous . Voulez vous être remboursé par chèque ou en liquide ?
Et hop !
J’étais bien content mais en même temps outré, consterné, j’imaginais le pauvre diable qui n’aurait pas pu faire intervenir une autorité, et ce sans aucun passe droit. Il aurait du se débattre avec une administration parfois un peu bornée.
à J . I .
Ne vaut-il pas mieux revenir à la vie civile qu’à la guerre civile ? Mais les jours à venir ne sont guère (et non pas guerre, quoique…) réjouissants !
Est-ce un peu de rigueur protestante, que Rocard et Jospin ont inconsciemment essayé d’insuffler à notre République monarchiste ?…
@ Christian Grene à propos de l’article d’hier. « Mais moi, plus tard, je veux être clown. Comme Zemmour. Ou Zavatta. »
C’est faire grand dommage à la mémoire de Zavatta que de l’associer à cette abomination.
Zavatta était un homme.
@ à Christian
Je partage l’avis de J . J et l’ai déjà exprimé hier soir…
« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendrons blanc ou noir ». Lorsque je me suis retrouvée en poste au rectorat de Bordeaux et en capacité d’aider mon prochain, j’ai gardé dans un coin de ma tête cette maxime de La Fontaine et fais en sorte que l’égalité de traitement s’applique « tant aux puissants qu’aux manants ».