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Le salon où tout le monde se livre

Le soleil s’offre une prolongation estivale. Il tape fort en cet après-midi sur le chapiteau dressé devant la mairie de Grignols (33) au cœur des Landes girondines. Le village étiré sur deux axes routiers perpendiculaires ne témoigne pas d’une activité débordante en ce second samedi de septembre. Rien ne semble susceptible de le sortir sa torpeur. Pourtant de bonne heure des porteurs de caisses ou des rouleurs de valise, arrivés de Gironde ou des départements limitrophes ont convergé vers une vaste salle provisoire où ils s’attablent. Grâce à un équipe associative passionnée Grignols tient salon du livre !

Il faut un certain courage pour dans la période actuelle tenter d’organiser une manifestation destinée à obtenir l’adhésion volontaire des passionnés de lecture. Passe sanitaire obligatoire pour pouvoir acheter un bouquin que l’on trouve sans aucune contrainte dans une librairie ou sur un site internet;  température davantage favorable à la bronzette qu’à la sortie culturelle; impact des premières sorties post rentrée scolaire : tous les éléments défavorables étaient réunis. Les organisatrices débordantes d’énergie et de gentillesse avaient pourtant tout mis en œuvre pour, après la « page blanche » de l’an passé, écrire le livre d’une manifestation sympathique et à taille humaine.

« Jusqu’au dernier moment nous avons hésité et rien que pour parfaitement réponde aux exigences sanitaires, nous avons eu bien des tracas » explique l’une des personnes en charge de l’accueil. « Contrôler les « passes » à l’entrée, noter les noms et téléphone de tous les visiteurs, contraindre les exposants à déjeuner à leur place avec un plateau repas : la convivialité en prendra un coup mais on ne peut pas faire autrement. » Les échanges et le partage de ce qui constitue d’un coté ou de l’autre de la table une passion, avaient dès le début de la journée du plomb dans l’aile.

Au cours de l’année écoulée le commerce des livres n’a pas été globalement touché par la crise pour les grands éditeurs. La libraire présente dont les mérites sont loués par tous les auteurs présents parle « d’une période très particulière ». Elle n’a pas digéré comme bon nombre des présents que l’accès au livre ait été considéré comme « non-essentiel ». Son avis est cependant tempéré par le fait que dès la réouverture les habitué(e)s son revenus. « Nous avons été sauvés par les fêtes. Les ventes ont été largement supérieures à celles d’avant la crise. Elles nous ont permis de récupérer une part du chiffre d’affaires perdus avec la fermeture. »

La libraire venue avec quelques ouvrages ciblés a davantage de crainte sur « la durabilité du changement des habitudes d’achat, sur les atteintes directes ou indirectes à l’économie du livre via une attaque au prix unique ! Elle démontre avec force considérations qu’Amazone finira d’une manière ou d’une autre par « faire exploser le marché ». Une éditrice « atisane » conforte ses propos. « C’est très difficile pour nous. Les ventes ont vraiment baissé sauf dans certaines spécialités et maintenant sortir un livre constitue un vrai danger car les capacité de diffusion restent rares. Il n’y aucune certitude sur les résultats d’un titre et surtout nous dégageons de moins en moins de marge nous permettant de vivre » D’ailleurs les auteur(e)s présents ne causent que de ça : « trouver un éditeur fiable acceptant leur manuscrit » Les échanges d’un stand à l’autre meublent l’absence de public sous le chapiteau.

Difficile d’être optimiste sur l’avenir du livre quand depuis derrière sa table on observe les rares visiteurs ayant franchi les obstacles. Les chalands ont tous leur particularité. « La boulimique » anti-vaccin qui a été chercher le sésame du test pour parcourir tous les stands pour un mission de reconnaissance avant d’effectuer ses achats avoue « je voudrais tous les acheter mais mon budget ne me le permet pas. La tentation me taraude et le choix est douloureux. ». « La silencieuse » passe lentement regardant les couvertures et tentant grâce au titre de déceler un ouvrage qui lui plaise. Les consignes obligent à ne pas toucher les livres et elle l’applique à la lettre. Elle ressortira sans s’être décidée.

Peu de « curieux » interrogeant l’auteur comme s’ils craignaient le risque d’être trompé sur la marchandise par une description trop avantageuse de l’œuvre présentée. Rien ne vaut pour un auteur celle ou celui qui s’approche car il a déjà lu l’un de vos ouvrages. En fait la « récidiviste » procure le plaisir le plus agréable car elle achète sur la base de la confiance. Sa fidélité rassure et incite à chercher la piste d’un nouveau livre à écrire. chaque fois j’ai du mal à « vendre » et à ma tentation permanente est plutôt d’ofrir. Je voudrais récompenser tous ces gens qui témoigne de l’intérêt pour ce que vous avez mûri durant des mois. Il y a aussi la « promeneuse indifférente ». Elle ne dit pas un mot, jette un regard furtif et file vers une autre destination. Votre amour-propre en prend un coup mais en constatant qu’elle ressort les mains vides vous estompez votre déception. 

A Grignols, lors d’un samedi estival, rares auront été les occasions de croire dans l’avenir du livre papier… mais tant que l’envie d’écrire existe il y a une lueur d’espoir. 

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Cet article a 9 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Cette annonce  » d’une mort avancée  » me conduit à annoncer que… j’ai deux bonnes raisons de  » haïr les dimanches »!

  2. Dany Cazeaux

    La boulimique, la silencieuse, la récidiviste…… Que des femmes, qui se sont déplacées à ce salon ?

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Dany
      Vivent les femmes… et n’oublions pas que la femme est l’avenir de l’homme… !

  3. GRENE CHRISTIAN

    Je préfèrerai toujours Gutenberg à Zuckerberg. Un livre, pour moi, c’est sacré! Au Salon ou dans mon lit. Un livre, c’est un pass… salutaire.

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à Christian
      Quand je dis que nous avons les mêmes valeurs… !

  4. J.J.

    … rares auront été les occasions de croire dans l’avenir du livre papier…
    Je suis un vieux crouton et j’assume.
    Je suis pourvu depuis un certain temps d’une tablette. Au départ je m’y suis un peu mis « pour voir ».
    À part les introuvables « en papier », par exemple des vieux bouquins pêchés sur le site de Gallica BNF, je ne lis plus maintenaient que de « vrais livres ». La lecture sur tablette ne me donne pas le même plaisir que la vue et le contact quasi sensuel du papier.

  5. Laure Garralaga Lataste

    @ à J . J .
    Les expériences sont permises… Mais la raison l’emporte toujours ! Rien ne vaut la lecture d’ une page, le contact du doigt qui la tourne et… le parfum de ce livre qui nous attendait patiemment sur l’étagère d’une bibliothèque !

  6. GRENE CHRISTIAN

    @ Laure,
    On est faits du même bois. Celui avec lequel on fait la pâte à papier, comme il en sortait de la Cellulose du Pin, à Facture, où je travaillais l’été quand j’étais étudiant pour me faire pesetas. C’était autour de… 1968.

  7. J.J.

    la Cellulose du Pin, à Facture !
    Elle se sentait de loin ! Au camp de Tanaïs, à Blanquefort, nous en profitions largement (début années soixante).
    C’est un peu comme dans la vallée de la Vienne, vers Saint Junien , avec l’usine de papier de Saillat Chassenon, dont l’odeur a au moins un intérêt météorologique : quand on dit : « Ça sent Saillat », ça veut dire qu’il va pleuvoir.

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