Où est la belle embellie du Poisson d’avril ? Ce jour où à l’école on rivalisait en découpant une page du cahier de brouillon ou une feuille de papier blanc pour confectionner le plus beau des emblèmes de la farce faite à l’autre ? Nous rivalisions d’audace en tentant de l’accrocher discrètement dans le dos du copain naïf voire de l’adulte avec souvent son consentement amusé. Pas un seul 1° avril, durant lequel mon grand-père maternel ne manquait jamais, avec notre complicité, d’envoyer son épouse fermer les clapiers des lapins soit-disant échappés !
Le jeu était largement répandu et les grands médias y ajoutait un brin de folie en annonçant ou en publiant des pseudos révélations suscitant débats et commentaires avisés. Il y a eu de grands crus en la matière. Ainsi la très rigide BBC a inventé « l’arbre à spaghettis » avec reportage à l’appui en 1957 ; en 1986 le quotidien Le Parisien annonce « le déménagement de la Tour Eiffel » provoquant l’indignation générale ; la découverte des « manchots volants »toujours sur la BBC ; le forfait en 2008 de l’équipe de France de foot à l’Euro annoncé par un certain Raymond Domenech….c’était la période faste du canular, de la farce, de la facétie ou de la tromperie organisée pour faire sourire. Certes parfois les trouvailles manquaient singulièrement de finesse mais elles avaient le mérite d’exister.
Durant de longues années à Créon, une bande de joyeux drilles, autour de Jean-Marc Rigo phosphorait pour dénicher l’idée qui allait faire grand bruit sous les arcades. Plus la provocation générait de commentaires et plus nous jubilions. En Mairie toute le monde se mettait au diapason en adoptant l’attitude idoine pour crédibiliser la « nouvelle ». C’était une sorte de tradition que nous n’aurions pas laissé passer sans tristesse. Elle n’a plus l’heur de plaire !
Peu à peu il est en effet devenu inconvenant de plaisanter avec de fausses informations. Les responsables de tous niveaux s’indignèrent de cette habitude ridiculisant une partie de l’opinion publique contrite de s’être fait berner. Le poisson d’avril décrédibiliserait leurs auteurs et le support qui le diffuserait. Les traits d’humour ont disparu. Les jeux de mots (laids?) sont progressivement proscrits. Le discrédit se mit à toucher les manieurs de l’humour. Alors pensez donc ce qu’il arrive au bon poisson d’Avril !
La société actuelle qui se gave de fausses informations avec une appétence particulière, se réfugie de plus en plus dans la chasse féroce aux traits d’humour. Malheur à celle ou celui qui se moquerait par un poisson bien reluisant, de cette propension de masse à gober toutes les bêtises qui passent ! Il n’y a plus de place dans le monde pour la plaisanterie ou le rire. La moindre entorse à ce qui n’est qu’une rigueur de bien-pensance envoie illico au pilori son auteur.e.
Certes il faut convenir que c’est actuellement chaque jour le 1° avril….tellement les réseaux sociaux (et parfois certains systèmes médiatiques) alimentent en fausses informations peu comiques l’opinion publique. Ils nous accrochent au cerveau des « poissons » gigantesques ne soulevant aucune tempête de protestations. Pour se donner bonne conscience les supports qui en diffusent le plus ont effectué de grandes déclarations moralisatrices et de contrition.
Exemple avec Google : « Comme vous vous en souvenez, l’année dernière, nous avons pris la décision de mettre en pause notre longue tradition Google de célébrer le poisson d’avril, par respect pour tous ceux qui luttent contre le COVID-19. Alors qu’une grande partie du monde est toujours aux prises avec de graves problèmes, nous pensons qu’il est temps de faire une pause dans les plaisanteries du poisson d’avril cette année. Comme nous l’avons fait l’année dernière, nous devons continuer à trouver des moyens appropriés pour apporter des moments de joie à nos utilisateurs tout au long de l’année ! » Il confirme donc que « la fête » sera donc bien quotidienne et que vous pourrez donc vous régaler de « poissons postés » par tout le monde et n’importe qui ! Et si c’était le plus splendide des poissons d’avril de la journée ?
Depuis des mois j’ai la sensation que nous ne retrouverons plus le goût pour l’humour simple, décomplexé, communicatif. Tout action en ce sens doit être auto-censurée, mesurée et même oubliée afin de ne pas s’attirer les foudres de pisse-froids, de réactionnaires, des censeurs à l’esprit aussi étroit que le goulot de la bouteille à laquelle ils n’ont jamais goûté. Le poisson d’avril serait devenu un « péché » ou un crime de « lèse-moralité » en cette période où on ne peut plus rire ou sourire de tout.
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
L’humour, Jean-Marie, peut se décliner sur tous les tons. Même au noir. « L’Oeuvre »… de Marguerite Duras en est la preuve. Et la raie au beurre noir alors? Je ne parle pas là de maquereau, mais je le redis sur tous les thons: « Faites l’humour, pas la guerre! »
Pardon pour Marguerite Yourcenar!
Et tu oublies Marguerite de Navarre… Jamais 2 sans 3 !
« Faute avouée est à moitié pardonnée… » Notes bien le… « à moitié »…
Aux mots (laids ?), je préfère les mollets qui font tourner la petite reine… !
» Que la fête commence… » ! Voilà ce qu’aurait pu dire Bertrand Tavernier avant ce triste 25 mars dernier.
Et oui, c’était le bon temps, où l’on envoyait chercher la gomme à effacer les fautes d’orthographe à un élève qui, avec la complicité malfaisante des collègues allait faire le tour de toutes les classes. Il ne restait plus qu’à le consoler à son retour.
Maintenant on se retrouverait avec une plainte des parents d’élèves et on se ferait gronder par une hiérarchie blanquerisante.
C’est avec ce genre de plaisanterie que j’avais envoyé chercher au secrétariat de mairie la clef de l’église troglodytique, ce qui avait mis le village en émoi et mobilisé une partie du conseil municipal, avant de constater que la dite église n’avait pas de porte.
Les villageois ayant dans l’ensemble un agréable sens de l’humour, tout le monde avait bien rit.
Bonjour @J.J. !
Mortagne sur gironde ?
Cordialement.
Non, Gurat, en Charente.
L’église se trouve sous l’école (à présent fermée) et il fallait traverser la cour pour y voir accès. En plus d’apprendre l’accord des participes et le système métrique aux élèves, ente autres activités, je servais parfois de guide aux visiteurs éventuels.
Étaient-ils nombreux à avoir le sens de l’humour à l’époque ? J’en doute………………
Dans ce village aux confins du Périgord, oui. J’ai d’ailleurs rarement rencontré des personnes aussi drôles, surtout les conseillers municipaux avec qui je m’entendais comme larron en foire. Quant au cantonnier, on était toujours sur ses gardes quant on le rencontrait, toujours prêt à faire une bonne blague.
J’ai beaucoup regretté ce village.