Dans l’un de mes livres (1) je raconte pourquoi mon père fils d’immigrés italiens dans les années entre 1924 et 1936 avait nourri une violente haine de l’école publique, laïque et réputée républicaine. Arrivé avec ses parents et sa sœur avant que ne naisse son frère dans le petit village de Cursan il avait en 1929 le droit de rejoindre la classe unique où officiait un instituteur d’un autre temps. Difficile pour lui de vite accrocher au Français puisque dans la famille on ne parlait qu’un italien mâtiné de dialecte vénitien. Le calvaire débuta avec une injonction permanente de parler et d’écrire dans une langue difficile à appréhender et qui paraissait au gamin d’alors bien éloignée des préoccupations quotidiennes qui étaient les siennes.
Dans la mesure où il ne trouvait pas nécessairement les mots adaptés et qu’il ne témoignait pas d’une appétence particulière pour le français, l’instituteur prit la décision qui « s’imposait » en le mettant à genoux sur des grains de maïs répandus sur le sol, les bras en croix avec un dictionnaire dans chaque main ! Une manière de le convaincre de l’absolue nécessité d’abandonner sa langue maternelle pour adopter celle de Molière. Inutile de préciser que mon père profondément marqué par cette brimade « pédagogique » a appris que peu à peu et dans la vie sociale ce que l’école avait voulu lui enseigner de force. Jamais il n’oublia ces moments qui au lieu de l’éloigner de ses racines l’avait simplement renforcé dans l’idée qu’il était et resterait toujours un Rital heureux et fier de l’être. Il retrouvait parfois l’italien lorsque les amis, immigrés comme ses parents, venaient partager les tagliatelles ou les cochonnailles. Je regrette souvent de ne pas avoir pu récupérer, moi qui parle anglais comme une vache espagnole, cette langue de ma famille d’origine car elle me permettrait de rester enraciné dans ce pays transalpin que j’ai tant de plaisir à retrouver quand je le peux.
Le système scolaire actuel est certes éloigné de cette dérive d’une autre époque mais rien n’est fait pour profiter de la richesse considérable que représente pour une nation le potentiel de pouvoir pratiquer deux langues…vivantes. C’est ainsi qu’une jeune Azérie arrivée avec une parfaite connaissance du russe et une moindre du turc va être contrainte au collège où elle est accueillie de se mettre au français (ça ne se discute pas!), à l’anglais et… à l’espagnol ! Il en sera de même pour le Marocain, l’Algérien ou le Syrien qui devront abandonner tout ce qu’ils savent de leur langue d’origine, parfois tout ce qu’ils ont appris sur les bancs de l’école, pour s’adapter à un contexte le mettant encore plus en difficulté. Ils iront forcément retrouver dans leurs communautés quand elles existent leur capacité à communiquer de manière correcte. Il est en effet démontré que, par exemple, les organisations islamistes captent en France des jeunes ayant besoin de conserver un lien avec leurs origines en leur donnant des « cours » d’arabe. Or il faudrait absolument faire entrer cette possibilité dans le système scolaire en valorisant les langues maternelles et en proposant à d’autres de les découvrir dans des ateliers d’échange pare Exemple.
Le ministre de l’Éducation nationale a dit, courageusement il faut le reconnaître, qu’il était favorable à ce que l’arabe soit développé, comme d’autres langues, « dès l’école primaire ». Il s’agit, d’après Jean-Michel Blanquer, de donner du « prestige » à cette langue. Il a aussi souscrit au diagnostic selon lequel l’ostracisation de la langue arabe dans inéducation nationale donne l’occasion aux islamistes d’attirer les jeunes désireux de l’apprendre dans leur propre cours. Si le ministre a bien précisé que ces enseignements ne devaient pas être dirigés seulement aux enfants originaires de pays de langue arabe, il a aussi dit que d’autres langues pourraient être développées comme le Chinois, le Russe, le Turc ou le Coréen.
La mondialisation des échanges exige un respect de ces connaissances déjà acquises mais qui doivent être cadrées, réellement enseignées et confortées. Lors de l’interview, le Ministre a été prudent car le sujet pourtant essentiel pour une véritable intégration est en effet délicat. L’apprentissage de l’arabe à l’école, même dans des petites classes, a été l’un des sujets les plus exploités contre Najat Vallaud-Belkacem dans ce même Ministère. Elle avait été l’objet de campagnes honteuses sur Internet présentant des mesures parfaitement fausses voire dégueulasses sur les origines de l’ex-ministre. Blanquer n’a pourtant pas affirmé autre chose que ce que ce qu’avait proposé dans une tempête médiatique orchestrée les adversaires de celle qui l’a précédé : « Aujourd’hui, ces cours d’arabe existent (…) Mais les élèves et les familles s’en emparent très peu car ce n’est pas l’arabe qu’ils ont envie d’apprendre ou de parler. Parfois, ils disent aussi que ce n’est pas l’arabe de la mosquée. Or le nombre d’élèves qui apprennent l’arabe au collège et au lycée a été divisé par deux. Il a été multiplié par dix dans les mosquées, il faut savoir ce qu’on veut »... Alors là chapeau car c’est courageux et en plus intelligent… mais c’est une vue de l’esprit car cette proposition suppose une ouverture sur le monde que la France n’a plus !
(1) La sauterelle bleue Aubéron
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