C’est un constat qui se répand comme une tache d’huile dans le milieu des collectivités locales : sous le double effet des augmentations parfois exponentielles des grandes surfaces et de la mutation des modes de consommation les centres des villes ou des bourgs se désertifient. Bien entendu ce constat appelle aussitôt comme le veut une tradition française, un énième plan d’urgence alors qu’aucun bilan objectif n’a été réalisé de l’application de ceux qui l’ont précédé. Inévitablement on en appelle à l’Etat en oubliant la responsabilité réelle et durable des élus locaux dans cette situation beaucoup moins simple que l’on veut bien le dire. Siégeant pour le conseil départemental depuis une décennie dans la Commission Départementale d’Aménagement Commercial je peux attester que ce n’est pas seulement une affaire de règlements mais de mentalité collective. Depuis la réforme ayant donné dans les faits les pleins pouvoirs au « local » sur les considérations de responsabilité globale dans l’aménagement du territoire au bénéfice des habitants la situation a rapidement empiré ! En effet une CDAC est composée de douze membres dont 8 élus !
Le (la) maire de la commune concernée, le (la) président (e) de la structure intercommunale concernée, le (la) Président(e) de la structure porteuse du schéma de cohérence et d’organisation territoriale portent 3 voix souvent concordantes auxquelles s’ajoutent le (la) représentant(e) des Maires du département et celui (celle) des intercommunalités : 5 voix qui souvent se concertent pour soutenir tous les projets présentés. Il en manque 2 pour assurer une majorité favorable qui peuvent être celles de la région et du département ou celles des porte-paroles des consommateurs (2 sièges) ou des spécialistes du développement du territoire et du développement durable (2). Quand tout le monde est là il faut donc 7 votes favorables et avec une absence de l’un des membres seulement 6 voix ou 5 quand il manque deux personnes… On en arrive à ce que les projets passent facilement si un seul membre non élu local rejoint le groupe de base.
Cette commission statue obligatoirement sur la création de surfaces de plus de 1 000 m² de vente mais pas pour 998 m² et peut examiner les autres projets (entre 400 et 1 000 m²) à la demande d’un maire ce qui est rare ! Il faut ajouter que les surfaces cumulées autour du même parking quelle que soit leur ampleur sont soumises aux mêmes règles mais que beaucoup y échappent en demandant en douce des permis de construire séparés puisque aucun contrôle n’existe ! Des milliers de m² sont également constitués par des entités (les box) pour lesquels sont sollicitées des autorisations à l’aveugle sans en connaître la destination commerciale. Aucune étude sérieuse d’impact sur les autres commerces n’est effectuée et pire aucun suivi de vérification des engagements affichés n’est effectuée. C’est un blanc-seing qui est signé avec un vote favorable de la CDAC ! Les dossiers présentés sont quasiment identiques pour les groupes qui les présentent.
Le Sénat a donc sorti son plan qui « durcit le processus de délivrance des autorisations d’exploitation commerciale » (one ne reparlera quand les lobbies seront passés) et créé une taxe pour « la lutte contre l’artificialisation des terres » qui touchera les grandes surfaces et leurs parkings. Son pacte s’attaque, enfin, aux géants du e-commerce avec l’institution d’une autre taxe sur les livraisons ou encore la soumission de leurs locaux de stockage à autorisation d’exploitation commerciale. Une spécialité française consiste en effet à persuader l’opinion publique que la décrépitude globale de certains centres-villes ou de bien des centres-bourgs sera effacée par… des créations de taxes ! C’est trop tard car les grands distributeurs ont depuis longtemps acquis les droits nécessaires leur permettant d’éviter ces réglementations uniquement financières qu’il répercuteront de toutes manières au final sur les consommateurs ! Quand les sages du Palais du Luxembourg ajoutent un « moratoire » sur les installations de grandes surfaces en périphérie ils ne disent surtout pas comment il s’appliquera dans la composition actuelle des CDAC ! Sont-elles maintenues ou réformées ? Sont-elles sous la seule ersponsabilité de l’Etat ? Qui instruit les dossiers ?
Les autres propositions diverses sont du même tonneau avec des « exonérations fiscales » (compensées par qui?) pour les commerçants (sans prise en compte de leur situation financière?) installés au cœur des villes. On y ajoute pour faire bonne mesure une volonté de « desserrer les contraintes qui pèsent sur les commerçants » , en réduisant le « poids des normes » et en favorisant « la transmission d’entreprise ». bref au bout du compte des mesures financières mais absolument aucune réflexion sur les liens entre lieu du domicile et lieu du travail source de bien des difficultés des « centres »; aucune mesure sur les documents d’urbanisme et leur application ; aucune ambition sur la valorisation de la proximité et des formes de mobilité (le stationnement payant est-il un outil de renforcement du commerce de centre ville?) sur les territoires ; aucune demande relative au maintien des services au public au coeur des villes; aucune vision de la consommation à moyen terme; aucune appréciation sur des formes alternatives de commerces; aucun soutien à la vente en ligne collective… Il est vrai que ces axes relèvent de la vraie « politique municipale » au sens propre du terme et que c’est impossible de l’évoquer puisque souvent il n’y a aucune projet bâti sur ces sujets. Il arrive que le même maire souhaite en même temps autoriser le déménagement d’une grande surface installée à… 2 km de son centre bourg en décrépitude et solliciter un aide de l’Etat pour revitaliser cet espace coeur de la commune ! Cherchez l’erreur !
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Je vois donc des plans,bilans,conseils,commissions,règles,réformes,permis,études,processus de délivrance,taxes,autorisations,réglementations,moratoires. Beaucoup de choses qui dans la vraie vie entraînent manque de communication, incompréhension, abstention, montée des populismes. Bon courage dans cette jungle!
@jj lalanne,
C’est la jungle où le Maire est souvent absent lorsqu’il convient de prendre des responsabilités pour les habitants. Il laisse faire et il passe en force pour le peu de communication avec les habitants et souvent des mensonges.
Un monsieur me disait ce matin que c’est la faute à l’administration, lorsqu’il lisait le coût du litre du gas oil à 1,39, les prix qui augmentent sans cesse, les communes sont vident, plus de commerces…..
Oui, les pouvoirs publics ont un devoir d’organisation, de coordination au niveau des territoires.
L’Etat, à une certaine époque savait parfaitement le faire (sans trop de débats, il est vrai).
Mais, c’était avant que le « marché » prenne les commandes de notre pays.
Ainsi, si l’on admet que c’est du chacun pour soi, que la règle est de piquer les enseignes à ses voisins, d’exercer la concurrence « libre et non faussée » entre les territoires et entre les communes, s’il n’y aucune réflexion à une échelle significative sur les réserves foncières, les POS, l’habitat, les transports, etc., eh bien, le délabrement de nos communes et de nos territoires a de beaux jours devant lui, et seuls les plus forts survivront, puisque c’est notre choix collectif (actuel)…
Il y a malheureusement longtemps qu’ il n’ y a plus rien à délabrer dans les régions que je connais. On passe de la résidence secondaire au village où on se demande ce qu’ il fiche là en dehors des considérations économiques et surtout pas écologiques aux immensités de l’agriculture extensive. Quand aux grandes surfaces qui se disent si en difficulté pour certaines,il faudra qu’ elles m’ expliquent comment c’ est possible avec les queues toujours aussi longues aux caisses et aux immenses parkings aussi pleins. Manipulation par la finance des politiques qui ne font pas souvent les courses ou la cuisine? Aussi net que certains restaurants quand j’ enseignait dans ce domaine qui marchaient très bien alors qu’ ils n’ avaient la plupart du temps qu’ une petite table de clients voire zéro. Ceux qui se disaient en difficulté au point de ne pas payer leurs apprentis et achetaient une Ferrari de l’ autre. Alors la régulation par les politiques, je ne me marre pas,je pleure. Comment quand un gros organisme de formation d’ apprentis a été privatisé, la responsable régionale a pu se féliciter de la nouvelle qualité de fonctionnement du système alors que dans le même temps des salariés étaient virés pour faire suer odieusement encore plus le « burnous » des apprentis. Il est vrai que bien des élus départementaux et régionaux sont issus de l’ Éducation Nationale et que leurs renseignements proviennent d’ inspecteurs ou autres qui émargent royalement des deux côtés. A la frontière du public et du privé j’ ai pu mesurer l’ océan qui sépare la réalité et les convictions clamées de bien des gens de gauche (et non des moindres). Comment prendre des décisions crédibles avec des sources semblables?
Je trouve assez dommage que les élus de droite et de gauche ne soient pas plus à l’écoute des habitants dans leur vie quotidienne. En fait la commune ne sert à rien.