Adossée à un éperon rocheux étranglant le Saint Laurent, comme pour l’obliger à saluer la présence humaine qui avait choisi cette rive pour s’installer, le cœur gavé d’espoir, le noyau originel de Québec constitue un lieu respirant l’aventure. Impossible de parcourir, le nez au vent frais les ruelles grises qui débouchent sur la place royale, où trône le buste élégant de Louis XIV, sans imaginer l’arrivée de ces conquérants, décidés à installer une autre France. Même si tout a été transformé, il est aisé d’imaginer cette ambiance de port précaire, ouvert sur nulle part, où errent des hommes convaincus que l’avenir ne se construit qu’au prix de durs combats. Le cœur ne bat plus que grâce à la nostalgie de ces milliers de touristes recherchant une authenticité de racines qui n’existent qu’à travers les deux gigantesques fresques ornant des pans de murs d’aujourd’hui. La mémoire se décline en souvenirs, la culture se traduit en objets, la gastronomie se divise selon les origines, l’architecture tente de sauver ce qui peut l’être encore.
Les tavernes provisoires, les demeures en rondins, l’église au clocher branlant, n’existent plus que dans l’imagination des voyageurs qui ne se contentent pas d’être des touristes. Ici, dans le berceau de la présence française, tout est pourtant conçu pour que le passant curieux comprenne qu’il déambule dans un lieu de résistance. Québec respire en effet, par tous les pores de sa peau actuelle, une farouche volonté de résister, de se servir de son passé pour s’opposer à toutes les annexions culturelles. Partout, des plaques de bronze identiques, apposées sur de multiples immeubles rappellent la présence de ces fondateurs de toutes les activités de cette ville, et plus tard, d’un territoire. Québec rappelle sans cesse que sa construction n’est que le fruit d’une solidarité collective, d’une présence d’hommes audacieux, courageux, tenaces, ayant su justement s’accrocher à cette terre où ils venaient changer de vie. Marchands, négociants, militaires, avocats, journalistes… ils n’existent que parce qu’ils ont su s’opposer violemment ou pacifiquement à une hégémonie anglo-saxonne, destructrice de leur identité. Ils ont vécu ici dans d’humbles maisons ou de prestigieuses demeures. Les premiers étaient sur les rivages du Saint Laurent, dans le « Vieux Port » ou le « Petit Champlain ». Les autres ont progressivement investi la « Haute Ville », comme pour démontrer qu’ils avaient gravi les échelons du pouvoir ou de la prospérité.
Le « sanctuaire » se situe autour des traces au sol de la première demeure du héros que demeure Samuel de Champlain, ce cartographe inspiré, inventeur d’une ville neuve, germe d’une implantation qui ne cessa de grandir dans les confrontations, les conflits, les révoltes, les guerres, les larmes, le sang, le froid et l’angoisse. La résistance est partout. Elle est dans la langue, dans les panneaux routiers, les enseignes des restaurants, dans toutes les dénominations des produits, les rares publicités, dans les comportements, dans les préoccupations politiques. Pas la moindre faille dans cette cuirasse que s’est constituée une cité à taille humaine, pour ne plus connaître les affres de la disparition dans ce maelström anglo-saxon, engloutissant tous les particularismes historiques. Les gratte-ciels ne font pas ombrage au château portant le beau nom d’Entre Deux Mers (Frontenac), les escaliers ne se prennent pas pour des ascenseurs vers la sommets, les jardins s’agencent selon les principes rigoureux d’antan, les restaurants gardent des appellations séculaires… de telle manière que l’héritage ne soit jamais galvaudé. Il est d’ailleurs visible sur la façade du Parlement, où des dizaines de statues en pied, tournées vers l’horizon, attendent un envahisseur potentiel. Elles veillent sur ce monde moderne qui recèle sûrement plus de dangers que ceux qu’ils ont affronté. Autour d’eux, dispersées dans le parc, les effigies des plus combatifs des premiers ministres québécois, de… Confucius, de de Gaulle, de Pouchkine et de bien d’autres, illustrent le soutien dont bénéficient les Québécois dans leur quête de respect de leur identité. Tous sont des résistants à ce que l’on considère comme l’opinion dominante. Ils sont des sentinelles exigeantes de leur identité sans pour autant refuser de tendre la main à celles et ceux qui viennent la découvrir ou…la renforcer.
Tenir… résister… rester fidèle à son passé sans obérer l’avenir et sans trahir son appartenance à un État plus vaste. Les dizaines de drapeaux qui claquent dans le vent froid, au-dessus des bâtiments séculaires, tentent de faire vivre cette idée que la culture reste la valeur la plus sûre pour faire vivre l’indépendance. Pas facile à l’ère de la mondialisation. D’ailleurs, ce ce n’est pas pour rien que toutes les plaques automobiles portent la mention « je me souviens ». Ah ! Si tous les Français pouvaient s’en inspirer….
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