Fermez le volet… social !

Il existe des mots qui deviennent maudits selon les époques, car ils se chargent de malheurs ou de quiproquos les conduisant à la mort. Ces parcours témoignent de la manière dont on a pu s’approprier le langage et en faire évoluer les codes. Les régimes politiques savent parfaitement jouer de cette valorisation ou de cette désaffection afin de satisfaire leurs ambitions ou masquer leur réalité. Il arrive souvent que ce soit la fameuse vox populi qui amplifie le phénomène en transférant des clichés sur des expressions ou des mots parfois utilisés imprudemment. En cette période d’égoïsme rampant, de lutte souterraine pour la survie, de précarité dévalorisante, il faut bien convenir que tout ce qui tourne autour du « social » inspire méfiance, mépris et critiques.
La société du « débrouilles toi tout seul ou crèves » n’admet pas qu’une part de sa « richesse » soit partagée avec celles ou ceux qui n’arrivent pas à se sortir de la guerre économique, qui fait chaque jour des victimes. En fait, derrière la vocable « social » le libéralisme, en instillant des notions de fainéantise, de passivité, de dépenses exorbitantes, d’inutilité, a totalement transformé le sens initial de ce qui n’était que l’adjectif collant à la vie en société. On en est arrivé à un tel niveau de destruction des principes de solidarité, d’égalité, de citoyenneté, que la plus grande majorité des gens refuse d’être considérée comme celle des cas sociaux. C’est une déchéance, une blessure considérable d’amour-propre, une stigmatisation honteuse qui conduit la plupart des personnes qui ont besoin de la solidarité organisée, à s’enliser dans des difficultés insurmontables.
Le « social » a mauvaise presse et c’est certainement la raison essentielle du transfert, organisé par l’Etat, de sa mise en œuvre vers les collectivités territoriales. La « sécurité sociale » se meurt, ruinée par cette image de dépenses trop importantes dont on oublie toujours de préciser qu’elles font le bonheur de professionnels souvent protégés par le bouclier fiscal. « Le lien social », en disparaissant des banlieues, a conduit aux catastrophes que l’on connaît, mais son maintien coûtait trop cher. Les « centres sociaux » sont confondus avec des « camps de concentration » des gens en difficulté venant chercher gratuitement ce que les « autres » payent. Le « droit social » n’existe plus, ou est détourné de sons sens, et « l’action sociale » perd toute sa substance. Cette société de l’exclusion par la concurrence a réussi à dénaturer totalement un mot de son sens originel. Et comme le « socialisme » a été historiquement mis à toutes les sauces, il devient difficile de remonter la pente.
En France, dans le cadre de l’action sociale, le terme « social » est à distinguer de « sociétal », même si dans l’usage on utilise souvent le même terme : social ou « le social ». Par exemple, lorsque la sociologie s’intéresse à la question sociale ou à des questions sociales, elle ne s’intéresse pas qu’au travail social mais bien aux aspects sociétaux. On a vite oublié que « le social » fait aussi partie du « sociétal » et la sociologie s’y est évidemment intéressée mais le politique lui tourne le dos comme s’il en avait honte. Il faut économiser au détriment des plus fragiles, des éclopés de la vie, pour se parer de cette toge du parfait gestionnaire qui affiche, en face de ses dépenses, des ratios d’interventions comme si la rentabilité financière devait être au rendez-vous de la citoyenneté. Chaque fois qu’ils en ont l’occasion, les élus qui émargent à la droite des idées reçues se posent à haute voix la question de l’efficacité de ces structures qui « coûtent cher » et ne « produisent rien ». Malheureusement, ces discours se multiplient et trouvent des auditoires complaisants, charmés par ce rapprochement entre les « impôts » et le « social ».
La société sarkoziste, c’est désormais plus de 8 millions de Françaises er de Français qui rament en dessous du seuil de pauvreté, dans l’indifférence de celles et ceux qui dépensent parfois des fortunes mensuelles 1 million de fois supérieures, sans connaître la moindre angoisse. Ces personnes pauvres, selon les critères européens de pauvreté monétaire sont à la hausse depuis…2005, sans que le « socialisme » en soit la cause, avec plus de 13% de la population. Quel regard porter sur une société aussi riche que la nôtre qui conserve un tel taux de pauvreté ? La coexistence de la richesse et de la pauvreté dans une même société est effectivement paradoxale, mais ce n’est pas un mystère. Cela signifie que le régime économique sous lequel nous vivons ne fonctionne pas pour le bien de tous. Il y a des gagnants, mais aussi des perdants, au jeu de la concurrence. Il n’y a pas d’évaluation des autres fléaux sociaux que sont la pauvreté culturelle, la pauvreté éducative, la pauvreté familiale, la pauvreté relationnelle… dont les conséquences n’inquiètent pas grand monde. Faire du « social », c’est tout simplement tenter de jouer aux pompiers face à des pyromanes qui mettent le feu à tous les pans de la société. En fait, le volet primordial repose sur la reconstitution d’un réseau cohérent de lieux dans lesquels se reconstruirait un engagement citoyen. Ce travail de fond, cet investissement sur l’humain plutôt que sur le fric, va s’étioler face aux nécessités budgétaires imposées par la crise et les choix politiciens. Personne ne mesure les conséquences à moyen et long terme…de cette insécurité sociale rampante !

Cet article a 3 commentaires

  1. Christian Coulais

    Peut-être que l’auteur de « Jour de rentrée » pourrait nous donner l’éthymologie de SOCIAL, car entre le sociétal qui fait pédant dans la bouche de certains, le national-socialiste qui donne de l’urticaire, la sociale-démocratie qui scie la branche sur laquelle ses dirigeants sont assis, j’en perd mon latin ! Merci.
    Tous ensemble, revenons aux fondamentaux : liberté, égalité, fraternité.

  2. Suzette GREL

    faire du »social »…quelle pauvreté de vocabulaire par rapport à la richesse que procurent ces rencontres , par rapport aux échanges de savoirs simples et chaleureux, par rapport surtout à la vérité de la relation sans concurrence.
    Merci Jean-Marie de donner confiance à ceux qui pensent que le réseau aide à tenir debout.

  3. Michel d'Auvergne

    Le sérial à la place du social.
    La répression plutôt que la prévention.
    Le « j’ai dit » bouscule le « il faut en débattre ».
    Le « capital » totalement étranger au « travail »
    On glisse du « peu à gagner » vers le « plus rien à perdre ».
    Le « show » va finir, le chaud va commencer !!

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