Robinson hante parfois mon esprit…

Combien de fois ai-je relu « Robinson Crusoé » au cours de cette période de mon enfance où les livres filaient entre mes doigts tellement vite que je n’avais pas les moyens de renouveler mon stock ? Je ne le sais pas ! J’ai même vu lors de l’arbre de Noël du cours complémentaire l’un des premiers films consacré au naufragé involontaire. Mon imagination porté par le bouquin de la bibliothèque verte en avait pris un sacré coup puisque son quotidien m’avait paru bien terne par rapport à mes envies de cabane pour solitaire imaginatif. Figurez-vous que parfois il m’arrive de penser que Daniel Defoe avait probablement anticipé sur les réalités de notre époque. Dans 3 ans son œuvre aura pourtant 400 ans et elle demeure pourtant d’actualité. La pression est parfois tellement forte que l’on espère finir sur une île déserte. Les intellos préfèrent invoquer « la tentation de Venise » alors que bien souvent les autres se contentent d’envisager un séjour moins sophistiqué sur un atoll oublié sans aucune trace humaine… Robinson a certes souffert mais il ne connaissait pas son bonheur d’échapper aux mails, aux SMS, aux coups de téléphone et aux sollicitations directes pour se concentrer sur la seule place qui compte : celle que vous laisse la nature. Dans le fond Sartre a probablement raison «  l’enfer c’est (un peu) les autres » lorsque l’on se sent redevables à leur égard.
Qui n’a vraiment jamais envisagé de fuir le monde actuel pour se réfugier dans un ailleurs qu’il serait le seul à partage? On appelle cela « faire le vide » ou se « ressourcer » en se détachant à la fois du tintamarre d’une actualité déniée de toute humanité et d’un contexte où l’inhumanité devient patente. L’isolement constitue s’il est trop prolongé une terrible punition mais quand il est consenti et précaire il devient une vraie planche de salut. Partir… Laisser derrière soi ce que l’on ne supporte plus… Abandonner les oripeaux d’une pouvoir qui vous use… Toutes les femmes et les hommes politiques qui se respectent et qui respectent les autres éprouvent tôt ou tard ce sentiment diffus qu’il leur faut rompre avec le quotidien pour se réfugier dans un environnement inédit.
Le rêve inaccessible à jamais inassouvi : vouloir changer de vie alors que paradoxalement on a tout fait pour l’avoir ! Ne jamais l’éprouver au cœur de l’action relève de la froideur totale à l’égard de l’action sociale. Il est en effet terriblement dangereux de se laisser happer par le seul attrait d’être le « sauveur » qui ne peut absolument plus échapper aux demandes de soutiens, d’aides, de réconfort !
Robinson avait bien fini par se forger ses repères, ses habitudes, ses joies, ses peines et même par sauver un Vendredi, sorte de réfugié fuyant les persécutions des Barbares. Cette situation n’est pas souvent supportée par les gens détenant un poste électif car elle suppose qu’ils se retrouvent sur l’île déserte après un « naufrage » souvent électoral. « Traverser le désert » constitue dans les faits une véritable épreuve personnelle dont je mesure pleinement la violence. Quand certain(e)s aspirent à marcher hors des allées du pouvoir pour des sentiers peu fréquentés d’autres ne souhaitent qu’à y revenir car il faut bien l’admettre il y a une vraie frustration à ne plus « être » !
Pour ma part de plus en plus souvent j’aspire à disparaître de certains radars pour retrouver une certaine liberté d’action. L’île déserte est dans la tête. On peut la retrouver mais jamais s’y installer… car il existe de redoutables aiguillons que sont l’amitié, la fidélité, la solidarité et la loyauté. Ils vous tirent toujours de cette indifférence même temporaire dans laquelle il est si bon de se vautrer. S’il vous est impossible de rompre totalement avec ces valeurs vous n’arriverez que rarement à fuir le monde pour vous retrouver sans culpabilité avec vous-mêmes. Je le sais pertinemment et je suis en mesure d’en mesurer l’impact réel ! Il devient alors impossible de ne rien faire quand on s’agite auprès de vous. Le piège se referme ! Le Robinson provisoire revient alors au cœur de la société telle qu’elle est, avide de consommer de tout sans trop se soucier des conséquences humaines.
C’est ainsi qu’il faut vivre le rôle social de l’élu de terrain mais jamais il n’a été aussi difficile de le tenir dans cette période où tout est déglingué ou en capilotade. Quand le coup de main réclamé relevait de l’action normale il était agréable de le rendre sans enfreindre les principes fondamentaux de la République mais actuellement ce ne sont plus que « situations désespérées », dérogations, exceptions, « chirurgie d’urgence »… qui arrivent auprès de celles et ceux qui veulent bien les écouter. Qu’il devient donc tentant de s’éloigner durant quelques temps pour ne pas avoir à les entendre. « Nous ne voyons jamais notre position sous un jour vrai, tant qu’elle n’est pas éclairée par des contrastes ; et nous ne savons estimer ce que nous possédons que par le sentiment de sa perte » a mis Daniel Defoe dans la bouche de Robinson. Alors autant faire face !

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Cet article a 2 commentaires

  1. François

    Bonjour !
    Si, dans ta quête d’île déserte, tu découvres un …PETIT archipel, je t’en achètes une …deux voire trois fois sa valeur mais, chutt, s’il te plaît, ne l’ébruite pas ! ! !
    Amicalement.

  2. batistin

    Bon courage et amitiés aux élus de petites communes

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