La communication ne souffre pas l'improvisation

A la question «si demain, on revenait aux 39 heures payées 39, des gens seraient peut-être ravis?», le Premier ministre répond dans Le quotidien Le Parisien : «Développez ce point de vue, mais vous verrez qu’il fera débat. Mais, pourquoi pas? Il n’y a pas de sujet tabou. Je ne suis pas dogmatique». «Pourquoi pas» et «pas de sujet tabou»: ces mots ouvrent la porte à toutes les supputations…jusqu’à faire oublier le reste de l’interview. Encore une fois on exploite une partie d’un texte en le sortant de son contexte mais justement la plus grande critique que l’on puisse formuler à celui qui doit donner le cap c’est de ne pas encore savoir ça !

Il répond en effet par la négative à la question «reviendrez vous sur les 35 heures si besoin est ? » par ces mots: « Elles ont déjà été beaucoup assouplies». Le Premier ministre concède toutefois que si la loi « a produit des effets positifs » et « n’a pas causé de problèmes aux grandes entreprises parce qu’elles ont su se réorganiser », « elle a causé plus de difficultés aux petites entreprises ». En fait sorties de leur contexte les réponses peuvent être interprétées différemment. Les journalistes le savent bien et bine évidemment ils adorent l’ambiguïté surtout quand elle met le feu aux poudres. Un manque flagrant d’expérience du système médiatique actuel pour celui qui doit en toutes circonstances être irréprochable pour justement pouvoir faire des reproches aux autres ! Il est vrai aussi que l’on peut légitimement se poser la question sur le professionnalisme de ses proches ou de ses conseillers.

Ayant eu l’occasion d’interviewer quelques hommes politiques célèbres en d’autres temps, je peux simplement témoigner que quelle que puisse être la réponse de Jean-Marc Ayrault elle ne peut pas être spontanée. Je subodore le « couac » témoignant de l’amateurisme global de personnes non formées à la communication ou peu préparées à ces pièges tendus par les trappeurs cherchant la gaffe ! D’abord parce que (mais sûrement suis-je le seul journaliste à avoir vécu ce genre de comportement) le Premier Ministre et à fortiori le Président de la République, sauf cas très rares exigent toujours de relire le texte avant publication. Quand ils n’ont pas le temps ce sont leurs proches collaborateurs qui pèsent tous les mots. Ensuite ils exigent parfois qu’il n’y ait pas d’enregistrement de l’entretien afin de pouvoir modifier une phrase sans crainte d’être ensuite démenti…

En 1982, je débute comme journaliste professionnel et j’ai encore en mémoire une rencontre avec Jacques Chaban-Delmas alors Maire de Bordeaux qui avait accepté de me recevoir un samedi matin dans son bureau du Palais Rohan. Je devais arriver à décrocher une exclusivité : l’annonce de sa candidature un an plus trad aux municipales ! Il me connaît un peu… et son directeur de cabinet ancien instituteur passé par une école normale (comme moi) lui a fait un portrait rassurant de son intervieweur. C’est lui qui a monté la rencontre. Chaban est en effet ravi de faire un pied de nez à Sud-Ouest qui lui cherche des poux dans la tête (et notamment à mon vieil ami mais à l’époque rival Pierre Cherruau!) sur la gestion des Girondins de Bordeaux. Il me confie donc très vite qu’il repartira pour sa succession… avec une équipe rajeunie (ce qu’il ne fera pas!).

Il maîtrise à la perfection son message qu’il tient devant moi : clair concis et efficace. Lentement il se détend et me lâche les pires vacheries sur Chirac. Un vrai régal… Je jubile ! Il m’affirme qu’un jour ou l’autre il espère faire payer au maire de Paris sa trahison de 1974 et bien d’autres ! Il résume avec un ton narquois le portrait de celui qu’il déteste. « Il est le plus sympa des hommes en public et quand il le faut mais c’est un tuer qui vous plante un couteau entre les omoplates. Surtout si vous avez le dos tourné ! » Avouez que c’était du petit lait ! On se quitte et je file au siège du journal hebdomadaire pour lequel je travaillais… J’écris avec un immense plaisir à partir de mes notes le long interview qu’attend mon rédacteur en chef. En fin d’après-midi je lui apporte dans son bureau avec les sentiment de tenir un « papier » qui va secouer le milieu bordelais ! Du mot à mot. Du cousu main…

  • tu es sûr de toi ? »me demande le chef
  • oui
  • bon, comme toujours je fais porter ton texte à Chaban pour qu’il le valide…
  • Ah ! Bon !
  • C’est convenu ainsi ! »

Je me sens humilié car j’ai l’impression qu’il n’a pas confiance en moi et que j’ai « bidonné » les réponses. Mais j’attends avec sérénité le verdict car je n’ai pas changé un iota aux déclarations du vieux lion bordelais ! Le lundi matin un chauffeur de la Mairie ramène une enveloppe bistre à mon nom. Je l’ouvre et je découvre un texte dactylographié différemment de celui qui avait été transmis… Plus aucune trace de Chirac, plus rien sur la nouvelle équipe mais ressassé sr toutes les coutures l’envie de Chaban de « servir » les Bordelais (j’ai conservé plusieurs milliers d’articles mais surtout celui-là). Je ne reconnais rien de mon « papier » et je vais voir le Rédacteur en chef qui me dit que c’est comme ça et pas autrement at qu’en plus je devrais signer la prose des collaborateurs du Maire de Bordeaux en apposant ma signature à la fin du papier ! Chaban n’était pour rien dans la métamorphose de cet entretien exceptionnel devenu banal  et il ne l’a probablement jamais lu ! Après une explication violente avec le Rédacteur en chef j’ai annoncé mon départ du journal… Nous n’en avons jamais reparlé alors que nous nous sommes revus des dizaines de fois . Et très souvent il m’arrive que des journalistes me demandent si je veux relire mes déclarations… Et je ne peux pas imaginer un instant que le Premier Ministre ait laissé publier ces phrases à l’insu de son plein gré ou de celui de son entourage. Ou alors ils sont bien naïfs et inexpérimentés ! Mais c’est pourtant de cette manière que fonctionne le système dont Sarkozy savait parfaitement se servir !

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Cet article a 6 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Bonjour,

    Cela s’appelle prendre le bâton pour se faire battre! Et notre 1er Ministre l’a bien anticipé!
    Très cordialement,
    Gilbert de Pertuis

  2. PACIOS

    C’est juste dommage de savoir que nous ne lisant JAMAIS la vérité…
    Ou est la vrai info journalistique, il ne reste que de l’intox…

    Qd aux 35h je dois avouer qu’en tant que maman, j’aime bien les 35h même si avec mon métier actuel je suis à 39h bien tassée mais en tant qu’assistante maternelle pas vraiment le choix…. Il faut bosser pour manger, voilà l’époque actuelle!!!

  3. Bonjour,
    Le système a changé depuis Chaban. A son époque point d’internet, les entretiens en direct étaient une exception et rarement retranscrits sans retouches à postériori. Le système Sarko l’a compris à ses dépens  » casses toi … » et autres « vodka Poutine ». Matraqué sur la toile par leurs propres propos, les politiques rêvent de retrouver les journalistes aux ordres du feu ministère de l’information de mon Général.
    Aujourd’hui le balancier de l’info est de l’autre coté, celui de la rumeur et des mots assassins sortis de leur contexte. Tout le monde se bidonne lorsque l’on rapporte le propos du candidat Mormon aux USA : « c’est stupide de ne pas pouvoir ouvrir les hublots dans les avions ». Est-ce que cela changera le résultat des élections? Je n’en suis pas du tout convaincu.
    Prendre le contrôle d’internet pour filtrer son contenu, un rêve ou un cauchemar suivant que l’on est au pouvoir ou dans l’opposition. Laissons le système s’ auto-réguler, les lois et les avocats sont là pour borner le terrain et punir les excès.
    Les médias brassent beaucoup d’air ce qui fait beaucoup de mousse pour très peu de liquide ( les faits). Le temps fait disparaitre la mousse et il ne reste plus que le liquide ( les faits). Des faits coco des faits, antienne des « bons » journalistes qui écrivent des articles résistant au temps.
    Bonne journée

  4. J.J.

    Hors sujet pour aujourd’hui mais d’une consternante actualité :

    Qui a regardé sur la « 5 » hier soir (30/10) le reportage : « les Naufragés du Rêve Américain » ?
    On se serait cru à Créon, J M Darmian en moins…

  5. San Kukai

    Bonjour,

    Le contrôle a posteriori n’était pas possible ici. Il s’agissait d’un échange avec des lecteurs du Parisien lors d’une table ronde, lequel a été filmé.

  6. Cubitus

    Le genre n’est pas nouveau. Un de mes ancêtres du nom de Doublet en fit l’amère expérience.. Commissaire du gouvernement à Malte lorsque ce pays était occupé par la France entre 1798 et 1800 et assiégé par la flotte anglaise, il adressa une demande de secours à Bonaparte alors Premier Consul dont voici un extrait (d’après les mémoires de Bourienne) :
    « Mon amour pour elle (la République) et mon admiration pour vous m’inspiraient… Hâtez-vous aussi de sauver Malte : des hommes et des vivres ; il n’y a pas de temps à perdre. »

    Cette phrase reprise dans le « Moniteur », journal officiel de l’époque fut transformée en une louange à Bonaparte :
    « Son nom inspire aux braves défenseurs de Malte un nouveau courage ; nous avons des hommes et des vivres. »
    http://books.google.fr/books?id=m5Mn2N1qpvQC&pg=PA352&lpg=PA352&dq=bourienne+doublet&source=bl&ots=_mAyXJAmPJ&sig=wZy0nkr87t1bzgpREzl0JlUHy_w&hl=fr&sa=X&ei=exCRUO-eAqTs0gWMj4CIBg&sqi=2&ved=0CCUQ6AEwAQ#v=onepage&q=bourienne%20doublet&f=false
    pages 353 à 355

    Rien de bien nouveau sous le soleil donc. Mais nos politiques devraient le savoir depuis le temps.

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