Les indiens, les voleurs et les prisonniers…

Que préfériez vous être dans la cour d’école ou dans les prés fleuris de votre enfance : cow-boy ou indien ? Gendarme ou voleur ? Prisonnier ou gardien ? Réfléchissez bien et vous trouverez facilement de quel côté vous vous classez dans la société des adultes. Il est vrai qu’au moment de choisir le camp à rejoindre, transparaissaient inévitablement les repères donnés par une éducation. Les rebelles, les frondeurs, les malins s’imposaient inévitablement dans les rangs de ceux qui défiaient le pouvoir en place. Et cette tendance colle longtemps à la peau, permettant des années plus tard, de se conduire, en tout bien tout honneur, en indien, en voleur ou en prisonnier en quête d’identité, d’exploits ou de liberté. Il fallait donc parfois procéder à cette technique du pas à pas, face à face, pour départager les ambitions derrière un chef réputé impitoyable ou insaisissable. En fait, ce cérémonial conduisait à l’humiliation des dernières recrues jugées peu aptes aux combats à mener, alors qu’il valorisait les lieutenants susceptibles de devenir des héros ! Personne n’avait en tête des scénarios exceptionnels, car si l’on se référait aux films aperçus sur des écrans, tristement en noir et blanc, de boites magiques du village, rien ne relevait de l’exploit quantitatif.
« Rintintin » chien fidèle du vaillant et courageux petit soldat Rusty suffisait à démontrer aux hésitants que le plus sûr des engagements était celui des « tuniques bleues ». Les peaux rouges agités et débiles tombaient en effet comme des mouches face aux Winchester des soldats efficaces et rusés. Pour accepter d’être du côté des « cruels », des « sauvages », il était indispensable d’avoir un sentiment particulier de contestation de l’ordre établi. La quasi totalité des westerns d’après-guerre se résumaient à la sempiternelle supériorité technique de l’homme blanc sur les indigènes, pourtant seulement soucieux de préserver leur territoire et leur mode de vie. Outils de propagande du modèle dominateur américain, tous les chefs d’œuvre ou réputés comme tels qui arrivaient en Europe ne servaient que de justificatifs à la victoire du « bien » sur le « mal » porté par un modèle de civilisation. Les gamins rêvant des exploits de Rintintin se préparaient à rentrer dans un schéma de pensée idéologique, alors que les autres devaient faire un effort pour épouser la cause perdue des ennemis sans cesse vaincus. La victoire sur les forces de l’ordre établi n’en était que plus enivrante et plus belle… et il existait une certaine jubilation à inverser le cours « normal » des choses. Une troupe d’indiens victorieux ne pouvaient l’être que grâce à sa vista, son audace et sa solidarité.
Pour les « voleurs », les gamins, plus souvent en culottes courtes qu’ils ne le sont actuellement, puisqu’ils sont désormais en jeans, se référaient à un certain Arsène Lupin, gentleman cambrioleur. Autre temps, autre modèle. La violence n’existait guère, car la ruse l’emportait sur les rapports de force. Arsène Lupin n’était, il est vrai, connu que des plus grands, qui avaient eu accès à quelques livres du bibliobus. Il s’agissait souvent de berner des cerbères placés devant un repaire sanctuarisé par un trait de craie blanche dérobée au tableau, pour aller se promener dans la cour, et regagner intact ses pénates. Les filles participaient souvent au clan des « gendarmes », et elles avaient bien du mal à capturer des garçons se prenant pour des aventuriers imprenables. En fait, le clan des voleurs devenait vite le clan des crâneurs sauf que certains d’entre eux se laissaient facilement intercepter pour finir dans les bras ravis d’une copine potentielle, enchantée de la conquête qu’elle ramenait au pénitencier. Une sorte de prélude à la vie future ? Les rivalités n’étaient jamais virtuelles, abstraites ou meurtrières. On s’emprisonnait paisiblement mais on s’évadait tout aussi facilement par une simple tape dans la paume de la min d’un ami salvateur ayant risqué sa « liberté » par simple solidarité. On slalomait pour la gloire, refusant justement l’affrontement pour lui préférer l’évitement. On aimait ses courses folles dans des cours caillouteuses ou gravillonnées qui ne couronnaient que les genoux des princes du mercurochrome, leur conférant le statut de combattants valeureux et intrépides. On fêtait le succès collectivement, au moment où le sifflet retentissait ou la cloche retentissait pour signifier la fin de la partie. Elle mettait parfois un terme à des parties de « ballon prisonnier » animées, et sans connotation répressive ! Bien au contraire.
Autant que je me souvienne, j’ai rarement été dans le camp des cow-boys, des gendarmes et des gardiens, comme si j’étais prédestiné à ne pas entrer dans les normes. Je n’ai donc jamais beaucoup apprécié les westerns ou les films policiers, car ils portent souvent la simplicité bêtifiante des certitudes du bien et du mal, notions beaucoup plus complexes qu’on ne le dit. Souvent, le jeu permet de transgresser ces principes… mais il faut courir vite, savoir résister et avoir une âme d’enfant pour ne pas encore voir de préjugés. Autant dire avoir encore ses illusions !

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