You are currently viewing La taverne où pousse l’amitié villageoise

La taverne où pousse l’amitié villageoise

Le village est préparé à résister à l’épreuve du climat et de l’usure du temps. Le granit a encore toute sa place dans les constructions autour d’un église dont le clocher donjon a été agrémenté d’une toiture grise genre pyramide. Tout d’ailleurs à Corlay est d’ailleurs extérieurement gris. Seules les taches colorées de quelques enseignes parsèment des façades peu enclines à ouvrir les yeux de leurs fenêtres sur le monde environnant. La discrètion et probablement aussi le souhait de se prémunir contre les attaques des vents violents et des bourrasques qui viennent d’à travers les océans. Un dernier grain a copieusement arrosé le cœur de la bourgade bretonne aussitôt compensée par un rayon de soleil provisoire.

Face à l’église, un bâtiment massif, compact percé d’une porte étroite comme si l’on avait voulu en limiter l’accès. Un trio monte la garde en tirant sur une cigarette envoyant vers le ciel qui bourgeonne de lourds nuages noirs et blancs les dérisoires volutes de leur fumée artificielle. Personne dans le village. Le calme plat après la saucée. La Bretagne intérieure se cache comme pour marquer sa différence avec l’exubérance du littorat l. Ici l’entre-soi reste de mise même si historiquement la coopération constitue la force de ce territoire.

Sur le haut de la voûte de l’entrée de cette robuste bâtisse trône quatre lettres : CAFE. Une invitation discrète qui s’inscrit dans la mentalité. On ne saurait être plus modeste. Un peu comme le témoignage d’une volonté de ne pas offrir l’entrée à n’importe qui. Ne franchissent le seuil que ceux qui savent que derrière il y a un lieu privilégié pour le partage. Hubert le mythique exploitant de cette antre a pris ses distances après avoir pendant des décennies construit une « taverne » de village servant d’abri à l’amitié.

Il faut se faufiler entre le comptoir occupé par une « mêlée de démis » encours de consommation et une lourde table paysanne de bois massif. Au dessus de l’abreuvoir à bière des photos du temps passé comme pour rappeler opportunément que le lieu à son histoire qui mérité le respect. Le « bonjour » est de rigueur. Chaque entrant tend la main et salue celles et ceux qui occupent l’espace réduit. Du moment qu’il a franchi la porte, la famille accueille les arrivants, connus ou inconnus. Une poignée de main franche, directe, spontanée offre un sésame rassurant. Les jeunes très largement majoritaires bavardent en préparant une fête pour l’un d’entre eux. Une affaire discrète qui a été préparée avec soin.

Des grappes de garçons et de filles arrivent avec une envie manifeste de se retrouver. Ils ont leurs repères et leurs horaires. D’ailleurs tout le monde s’étonne que René, l’ancien kinésithérapeute ne soit pas arrivé. Il appartient à l’ancienne garde. Il n’y aura que Jeff au rendez-vous. Un Jeff qui ressemble étrangement celui de Brel. Tout en rondeurs, il appartient au petit monde des référents historiques possédant les souvenirs les plus croustillants sur les soirées chez Hubert. Celui d’un grand moment de la finale de la Coupe du monde 1998 avec à la mi-temps des coupes de cheveux intempestives pour y placer le bandeau tricolore du parfait supporter. Ici le doute n’est pas permis, le seul club qui ait la cote est celui de Guinguan. En Avant disent-ils… en levant le verre blond où mousse l’espoir de retrouver les grandes épopées footballistiques.

L’estaminet breton regorge d’une vie sociale construites autour du plaisir de se retrouver, de la fidélité à cette ambiance des villages ayant une âme. Elle doit d’ailleurs être ici dans le CAFE que Hubert a transmis à deux jeunes qui en ont dopé la fréquentation en quelques mois. « Le week-end c’est extraordinaire, le monde qu’il y a avoue visiblement heureux Jeff. Toutes les générations s’y retrouvent. Nous avons beaucoup de chance ! » Il veille. Il lâche : « Réné ne passera pas ce soir. C’est trop tard ! » On sent une petite pointe d’inquiétude. Les Copains d’abord ! Le bateau immobile de la taverne a son équipage de vieux loups de la mer jaune du Ricard. L’absence de l’un d’entre eux ne passe jamais inaperçue.

La porte étroite vers l’échange et les discussions de comptoirs, les plus belles et les plus proches du monde, ne cesse de s’ouvrir. Une habituée arrive avec deux copines : « ce sont des parisiennes elles viennent passer le week-end ici ! » Nul ne sait ce qu’elles en retiendront. Dans tous les cas elles auront partagé les valeurs d’un monde ignorée mais surtout pas perdu pour les découvreurs d’une autre Bretagne, celle qui oscille sans cesse entre tradition et adaptation. Je suis certain que j’y reviendrai pour simplement boire un demi en regardant des gens heureux.

Ce champ est nécessaire.

En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Cet article a 3 commentaires

  1. facon jf

    Bonjour,
    merci de me replonger dans l’ambiance si particulière de la Bretagne profonde, si belle et méconnue. Cet endroit particulier avec ses statues de granit et ses landes si photogéniques lorsque les genets fleurissent. Avez-vous ressenti la présence de l’Ankou ou encore l’avez-vous croisé sur sa charrette (Karriguel an Ankou). Pour les non-initiés L’Ankou est l’ouvrier de la mort en Basse-Bretagne*( Breizh izel).Ce personnage fait partie de la tradition orale et des contes.
    A l’origine, il semblerait qu’il n’ait eu, pour tout outil, qu’un maillet mais il est affublé, depuis, d’une faux et parfois d’une pique ou d’une bêche…
    Anatole Le Braz a trouvé les mots qu’il fallait pour exprimer la mélancolie et le mystère des conceptions bretonnes de l’au-delà « … la conscience populaire est naturellement orientée vers les choses de l’au-delà. Les vivants sont mêlés aux morts, au peuple immense des âmes en peine, qu’on appelle l’anaon. Et la mort elle-même, personnifiée dans l’Ankou, circule sans cesse parmi les vivants, grave et familière. On rencontre l’Ankou à chaque détour de la route, où il observe et guette les passants ; on le retrouve à chaque coin de la maison.
    Sa voix est triste et douce à la fois “qui caresse notre âme et cependant l’effraie”. »
    La poésie mystique vous entoure en ce pays et les piliers de bistrot ( piler an davarn ) vous enivreront des légendes locales. Laissez-vous entraîner par les rythmes de la musique Bretonne dans les fêtes de nuit (fest-noz ) ou de jour ( fest-deiz) lors d’une chaîne ou ronde toutes les générations fraternisent pour danser l’An-dro ou la Dañs plinn.
    Bienvenue en Bretagne ( Degemer matt e breizh)

  2. François

    Bonjour J-M !
    Nous aussi on voyage ! ! !
    (Ce vide correspond à la devanture du café-tabac découvert sur Google Earth près de la mairie ! Ma bécane refuse de copier-coller ! ! )
    Toutefois, tu provoques (personnellement ! ) une … catastrophique surprise : dans une région connue et courue par nos amis viticulteurs, toi, l’Ambassadeur-grand amateur de rosé, tu n’as pas découvert une « merveille » bordelaise de la vinification moderne ? Les bras m’en tombent !
    Bon ! Tu as encore quelques jours pour te rattraper, mais, J-M, nous t’en supplions tous : mets-leur du soleil … sur le comptoir ! ! !
    En souriant,
    Bonnes vacances !
    Amicalement

  3. A. Blondinet

    Que ça fait du bien de commencer sa journée avec une goutte d’amitié au petit déjeuner. J’étais dans la caverne avec Platon quand ma femme m’a dit: « Hé! Tu connais la taverne de Corlay?.. » Je me suis aussitôt précipité sur mon écran, en Roue Libre, Ouaf! La philosophie du XXIe siècle a quand même quelque chose de bien, je me le rappellerai à la Saint-Hubert,
    Bonjour Jean-Marie! ça fait vraiment du bien de te lire. Autant qu’écouter Platon, dont les « Dialogues » mélangeaient Banquet avec Politique.
    Mes amitiés à tou(te)s.

Laisser un commentaire