Le premier jour de mai constitue une sorte de baromètre de la situation sociale d’un pays et de ses rapports avec le pouvoir en place. Dans l’Histoire c’est une constante. Les rassemblements par leur consistance ou leur nature traduisent la puissance ou la faiblesse du monde du travail. La manière dont se déroulent les défilés permettent de tirer des enseignements sur l’état d’esprit de la partie la plus revendicative de la société. L’évaluation du nombre de participants constitue évidemment la référence essentielle utilisé pour évaluer la mobilisation. Ainsi la date devient un « carrefour » des revendications et surtout du poids du monde du travail.
Ainsi le 1er mai l’année 1936 est certainement une des plus importantes. Plusieurs événements vont la marquer. D’abord dès le mois de mars se tient du 2 au 6 mars le congrès au cours duquel la CGT se réunifie. Ensuite la manifestation tombe deux jours avant les élections législatives qui vont porter au pouvoir les forces politiques du Front populaire. Enfin après un mouvement de grève mémorable sont signés quelques semaines plus trad les accords de Matignon qui légalisent la semaine de quarante heures, les congés payés ainsi que les conventions collectives. L’année suivante le 1er Mai 1937 aura lieu sans doute la plus grande manifestation jamais organisée ce jour-là. Elle reste comme le symbole du basculement possible quand les salariés sont unis et vraiment mobilisés .
Il y aura ensuite de longues années noires qui succéderont avec la seconde guerre mondiale où Vichy récupérera et encadrera ce qui avait toujours été un mouvement de contestation potentiel. Les syndicats devront attendre que Ambroise Croizat sanctuarise de rendez-vous en le rendant férié pour que relancer leur volonté unitaire de rassembler leurs adhérents alors fort nombreux. Il faudra cependant attendre 1948 pour que le rendez-vous trouve sa place essentielle dans la vie politique. Il ne fut pas déjà à la hauteur de ce que pouvait représenter une force unie. Ce jour-là, trois manifestations « concurrentes » se sont en effet déroulées à Paris ou en proche banlieue.
A l’appel de la CGT, une grande manifestation a eu lieu pour célébrer la fête des travailleurs, de la place de la Nation à celle de la Bastille. La scission de la CGT à la fin 1947 a conduit à la création d’une centrale syndicale concurrente, la CGT-FO : au défilé de la CGT a donc répondu celui de la CGT-FO. Par ailleurs, un rassemblement du RPF, le nouveau parti créé par De Gaulle en 1947, s’est tenu au Parc de Saint-Cloud.
Dans un contexte difficile, marqué par le début de la guerre froide et par une crise sociale en France, le 1er mai 1948 devient un véritable enjeu symbolique et politique : pour le PCF (via la CGT), c’est l’occasion de manifester sa capacité de rassemblement. Les banderoles et pancartes sont révélatrices des préoccupations du moment : l’alimentation alors que l’inflation est forte, la défense du cinéma français, le maintien de la paix dans un climat géopolitique tendu. Ces préoccupation sauraient pu être celles de hier mais les mots d’ordre ne tiennent pas toujours compte de la réalité sociale.
Vingt ans plus tard, en 1968, on oublie que ce fut le retour des défilés interdits ou peu organisés depuis 1954. La CFDT et FO avaient refusé de se joindre en arguant que ce type de manifestation n’entraient pas dans leurs traditions. Il y avait des signes avant-coureurs de ce qui allait se produire quelques jours plus tard. Les organisateurs avait estimé à cent mille le nombre des personnes (vingt-cinq mille selon la préfecture de police) qui avaient défilé, deux heures durant, de la République à la Bastille.
Elles étaient canalisées par un efficace service d’ordre CGT-PC ; il intervint lorsque des altercations opposèrent des militants à des éléments trotskistes, prochinois et anarchistes, dont certains brandissaient le drapeau noir en réclamant « un gouvernement ouvrier » ; dix-sept personnes avaient été contusionnées. Rien de bien nouveau en 2024 sauf les forces de l’ordre qui n’empêchent pas ce type de noyautage pourtant connu.
Rarement unis les syndicats se sont retrouvés cependant l’an passé contre la réforme des retraites. Un record de participation (on a parlé de 800 000 participants cumulés) avec une nouveauté : le réveil de nombreuses petites villes jusque-là peu enclines à accueillir ce genre de protestation. Une France « profonde » qui se réveillait et qui dans le fond s’est vite recroquevillée sur sa déception d’avoir été méprisée. Elle va revenir dans une quarantaine de jours avec un vote de dépit dont l’impact est prévisible. Ce n’est pas le 1er Mai de 2024 qui lui redonnera un espoir.
Tous les incidents à connotation politique ont été soigneusement exploités et les débordements montrés en long et en large. Ce 1er mai ne porte guère d’espérance de lendemains qui chantent… car il ne changera pas la donne sociale alors que la France n’a jamais été aussi près du naufrage. Nous en sommes à la haine dans tous les coins, dans la division, dans l’intolérance ce qui n’arrange qu’une opinion dominante qui rassemblera ses rancoeurs pour voter RN.
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Curieusement on note le retour des black blocks en service commandé, qui ont du épuiser leurs RTT et les bonnes vieilles méthodes des forces prétendues de l’ordre.