You are currently viewing Un roman fleuve qui finira mal

Un roman fleuve qui finira mal

Même si elles ne sont plus à la mode et si elles ne correspondent plus aux élucubrations des inspecteurs chargés de foutre le bazar chaque année dans les programmes scolaires, les « leçons » d’antan données à l’école jouaient un rôle essentiel pour poser les repères indispensables à la vie d’adulte. Je suis certain que les plus de cinquante ans, se souviennent encore précisément de pans entiers de « cours » reçus de l’un ou l’autre de ses instits ou des ses profs. Ma mère par exemple connaissaient soixante-dis ans après tous les poèmes qu’elle avait appris pour la récitation du certif’. A Ancenis hier face à la statue de du Bellay j’ai illico récité heureux qui comme Ulysse…

Il y avait des outils pédagogiques qui paraissaient extraordinaires et fascinaient la classe. Les premières dispos projetées avec l’appareil vert bouteille doté d’un support pour passer deux images avaient des allures justement de voyages immobiles. Des tableaux dessinés par thèmes pour les leçons de choses, les grands événements de l’Histoire, les événements ordinaires de la vie quotidienne rendaient tout vraiment extraordinaire. Les cartes Vidal-Lablache généraient les rêves les plus fous puisque tout reposait sur l’imaginaire.

Qui avait vu le Mont Blanc, la Seine, le Puy de Dôme, la pointe du Finistère ou la Camargue ? Et alors l’Afrique occidentale, le Sahara, le Mékong, le Nil ou l’Amérique n’en parlons pas ! Dans le fond ce n’était pas si désagréable que ça, de se constituer sa propre géographie ou de se raconter les histoires de l’Histoire. Le poids des mots était nettement supérieur au choc éventuel des images. Chaque leçon contenait sa dose d’aventures potentielles.

Pour la plupart des enfants de ma génération sadiracaise, le seul fleuve que nous connaissions était La Pimpine avec ses colères hivernales que nous appelions inondations et ses trous d’eau qui avaient des allures de profondeurs insondables. Comment imaginer ce que pouvaient être ces longs traits bleus sur la carte pendue temporairement à deux crochets fixés sur le cadre du tableau noir ? Il nous fallait pourtant nous souvenir par coeur de leur caractère particulier et des noms de leurs « copains » affluents venus leur prêter main forte.

Une image en noir et blanc grand format sortie avec précautions d’un dossier rangé dans l’armoire aux trésors de l’instit’ et les livrets de la Bibliothèque du travail tout aussi grisonnants, aidaient à concrétiser les affirmations du maître.Leur lieu de naissance, leur longueur, les villes traversées, les renforts reçus ou les adjectifs les décrivant devaient être enregistrés car ils ressortaient lors de la fameuse composition mensuelle d’histoire et géo. Une carte de France muette tirée au polycopier à alcool servait à placer la Seine, la Loire, la Garonne, le Rhône et le Rhin.

Pour ma part je pense n’avoir découvert la Garonne qu’en traversant le Pont de Pierre ou en la longeant avec l’autocar pour aller en voyage avec mes parents. N’en déplaise à Claude Nougaro elle ne parut jamais être « d’émeraude » ou de pouvoir être comparée avec « la mer Égée ». Elle roulait à vive allure des eaux sales teintées par les « rrrrr » de son Arrriège, de son Gerrrrs ou de son Tarrrn. Elle porte les couleurs de leurs terres avant de mourir épuisée dans un vaste estuaire où le mascaret la secoue avec plus ou moins d’aménité. La Garonne est le plus prolétaire des fleuves français. Toujours en révolte. Toujours imprévisible. Toujours fière de son parcours. Elle refuse de se soumettre. Elle lutte inlassablement contre cet océan qui ne souhaite que l’asservir.

Hier la Loire attendait la fin de l’été pour exister. Languissante, elle erre entre des bancs de sable qui l’étranglent ou la forcent à s’étaler sans aucune vraie volonté d’aller de l’avant. Je comprends mieux pourquoi l’instit’ ne la classait pas dans les cours d’eau navigables. Elle se prend pour ce qu’elle n’est pas sous prétexte que des châteaux royaux se penchent sur son lit. Une Loire anémiée par un été surchauffé n’a pourtant plus grand charme. Elle n’a plus la force de rivaliser avec une Seine par encore en forme olympique malgré le fait qu’elle s’offre tout au long de l’année des ponts à n’en plus finir. Depuis que les Rois les ont abandonnées elles se meurent.

Fournisseuse du ventre de Paris durant des siècles grâce à ces « chalands » qui étaient battus par les flots, mais ne sombraient pas , la Seine se contente désormais de laisser « courir » sur son dos des centaines de bateaux mouches agaçants par leurs incessants va-et-vient. La Seine ne se contemple pas. C’est l‘agitation qu’elle accueille qui captive. Mélancolique, dépressive, désabusée, souillée, exploitée elle sait fort bien qu’elle ne doit sa célébrité qu’à sa traversée de Paris. Ses rives la sauevnt de l’anonymat.

Ma leçon de géographie s’échappe avec le sable de ma mémoire vers les profondeurs de l’oubli. N’empêche qu’elle m’a marqué. Au bord de la Loire hier je ne sais pas mais elle est revenue pour me persuader que l’éducation est avant tout affaire d’imprégnation et de capacité à transmettre. 


En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Cet article a 6 commentaires

  1. J.J.

    « A Ancenis hier face à la statue de du Bellay j’ai illico récité heureux qui comme Ulysse… »
    Un de mes préférés avec le « Bel aubépin » ou l’exergue de l’ode de Ronsard « Contre les bûcherons de la forêt de Gastine ». Des classiques mais qui me vont toujours droit au cœur.

    Et moi j’ai récité, dans la cour du château de Blois, devant le célèbre escalier monumental… et les visiteurs « Mignone, allons voir si la rose »(que, du temps de ma folle jeunesse j’avais mis en musique sur un air de java, et que mes copains chantaient en chœur).
    Que de beaux souvenirs tu as évoqué là.

  2. christian grené

    S’cusez-moi m’sieur, je ne peux pas répondre depuis deux jours parce que je dévore le livre d’un auteur méconnu, mais qu’on retrouvera bientôt entre les Fables de La Fontaine et les Mémoires du général de Gaulle. « Jour de rentrée » que ça s’appelle. édité aux « Vents salés ».

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami christian…
      Dépêche-toi de le finir… car bientôt, tu vas devoir privilégier tes précieuses heures… à la relecture du MONSTRE !
      J’y retourne…

    2. J.J.

      C’est pas la suite d’une histoire de sauterelle ?

  3. François

    Bonjour J-M !
    « …Des tableaux dessinés par thèmes pour les leçons de choses, les grands événements de l’Histoire, les événements ordinaires de la vie quotidienne …. »
    Sais-tu que ces « œuvres » qui sont restées dans nos souvenirs d’écoliers de la Communale, inflation aidant, vont tutoyées les Rembrandt et autres: en broquante, entre trente et cent euros ? ? ? Dimanche, à Sauternes, j’en ai encore feuilletés une vingtaine …avec émotion car l’ombre de mon instit se superposait !
    Amicalement

    1. François

      …des tableaux doubles (recto-verso) dans un affichoir en bois , des Éditions Rossignol ! ! ! Valeur sur internet: environ 150 € l’affiche seule.

Laisser un commentaire