Le 15 août n’a aucun sens réel pour bien des gens puisqu’il n’est qu’un jour de vacances comme un autre et qu’il ne génère pas de contraintes particulières ou n’accorde pas de libertés complémentaires. C’est l’absurdité de ces jours fériés toujours basés sur un calendrier religieux n’ayant plus aucun impact social, sauf à permettre de déserter son lieu de travail ou d’améliorer une période de congés. Que peut représenter « l’Assomption » dans le contexte actuel, quand on mesure la connaissance réelle que possèdent les Françaises et les Français de la saga catholique ?
Pour ma part, je conserve des souvenirs particuliers de ce rendez-vous extraordinaire dans la vie d’un enfant d’un village sans trop de repères festifs ou collectifs. En fait, pour bien des habitants sadiracais, le 15 août constituait pourtant un moment privilégié permettant d’entrer dans ce monde des vacanciers qui leur était étranger. Ils n’avaient pas les moyens ou les opportunités de prendre leurs distances avec un quotidien astreignant. Grands-parents, parents, enfants ou petits-enfants sans moyens matériels de se dépayser, acceptaient l’invitation du curé à participer à un voyage à… Lourdes.
Les mécréants ou les croyants par obligation familiale ne boudaient pas leur plaisir de partir quelques jours avant le rendez-vous « marial » pour un voyage organisé par le chauffeur de l’autocar effectuant chaque matin la liaison régulière entre Créon et Bordeaux via Sadirac. « Mario », grand escogriffe italien, s’érigeait en effet en organisateur de « pèlerinages » ouverts,au plus grand nombre. Lui-même n’ayant pas une foi ostentatoire, il acceptait que le périple soit ouvert aux familles désireuses de s’offrir une sortie annuelle en compagnie des bigotes ou des piliers de la paroisse.
C’est ainsi que dans mon enfance, malgré ma résistance déjà forte aux obligations de la catéchèse, j’attendais avec impatience le petit matin du départ vers les Pyrénées. Lourdes était en effet une destination touristique particulièrement attractive, avec un spectacle permanent, des rites auxquels je me pliais par mimétisme rassurant, et surtout un gigantesque bazar avec des magasins que je trouvais somptueux eu égard à la seule épicerie vétuste du village. Lourdes, sa foule, ses mises en scènes nocturnes, ses groupes diversifiés, ses néons et ses marchands du temple constituait un autre monde rutilant et étonnant.
J’oubliais mon aversion naissante pour les ablutions et autres signes religieux, afin de découvrir ces montagnes que je ne connaissais que sur la carte de France Vidal-Lablache, pendue aux murs de la classe de M. Meynier. Avez-vous éprouvé cette émotion particuliere consistant à mettre une réalité sur un nom ou un mot appris à l’école. Elle ne m’a jamais quitté. Pyrénées ? C’était autre chose en vrai, à 6 ou 8 ans, que sur une ligne de la « composition » de fin de mois. Chaque année, le programme fut identique mais jamais je n’eus l’envie de m’en plaindre. Bien au contraire !
Le Pic du Ger et son funiculaire appartenaient aux lieux mythiques me permettant de m’identifier aux vainqueurs de l’Everest ou du Mont Blanc. Chaque fois, il nous fallait prendre de la hauteur afin de mesurer notre bonheur familial d’accéder à un autre cadre réputé réserve aux « riches ». C’était une bande joyeuse qui se laissait photographier avec une boite carrée qui finissant chez Monge, photographe artistique créonnais. Il en tirait des photos miniatures aux bords dentelés sur lesquelles je faisais inévitablement la gueule ! C’était ma spécialité : faire la gueule sur les photos !
A l’inverse des montées de l’Aubisque ou d’Aspin, « l’exploration » des grottes de Médous avait le « parfum » des aventures souterraines de Norbert Casteret. L’émerveillement était le même, et dans ma tête je répétais inlassablement « stalactites… tombent ! Stalagmites…montent ! » afin d’être savant dans les conversations de la rentrée scolaire.
Au rayon des moments précieux figurait la visite du musée de Lourdes où était installé un musée d’automates animant un « lourdes miniatures ». Sculptés dans le tilleul, ils s’échinaient dans des scènes de la vie courante. La visite était interminable, car il nous fallait percevoir les moindres détails de ces mouvements qui, dans le fond, nous étaient très familiers : le forgeron, le vacher, le moutonnier, la lavandière, le muletier, le menuisier… Chaque année, il y avait une amélioration avec son, lumière et nouveaux personnages, ce qui légitimait encore une visite. Nous y revenions donc avec un enthousiasme permanent.
Une chambre d’hôtel avec salle de bains et eau courante (nous n’en avions pas à la maison) partagée avec nos parents. Le petit-déjeuner servi avec croissants et pain beurré. Le repas du soir de la demi-pension servi avec tous les atours de la fête, pris avec les adultes dans une ambiance joyeuse : tout respirait une autre vie. Et l’ascenseur ? Quel plaisir que de monter et descendre. Nous maintenions le plaisir en s’arrêtant à tous les étages (sauf au rez de chaussée) au risque de nous faire pincer par des adultes réprobateurs à l’égard d’enfants mal élevés ! Si nous allions vers le ciel, le jour du 15 août, c’était essentiellement dû à cet engin miraculeux, mais pas aux prières des milliers de femmes, têtes couvertes d’un fichu et chapelets en mains !
Les stocks d’eau miraculeuse constitués, le passage par la grotte accompli, et la procession aux cierges vendus à pris d’or effectuée, je me considérais, avec mon frère, comme débarrassé de nos obligations religieuses pour « prendre nos vacances » de milliardaire. Le 15 août s’achevait. Il fallait prendre le chemin du retour avec un cadeau offert par les parents. Le plus magnifique fut un couteau presque suisse « logotisé » Lourdes dans un étui de cuir
L’été se résumait dans une poche de cailloux du Gave réputés confectionnés à l’eau de la grotte que nous engloutissions comme des enfants avides de joies simples sans trop se soucier du contexte dans lesquels ils avaient vécu. Dans le fond, j’étais déjà laïque jusqu’au fond de mon être sans le savoir…
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J’ai vécu à peu près la même chose, au même âge.
Même rareté des voyages, et même « émerveillement » devant la découverte d’un univers aussi inhabituel.
Merci Jean-Marie de raconter ce genre d’événement.
S ‘cusez moi M’sieur, mais j’ai toujours confondu votre histoire avec la bataille de l’eau lourde, une opération militaire menée conjointement par les Alliés pour bombarder la, Norvège, détentrice de ce précieux auxiliaire pour la fabrication de la bombe A. Je l’ai pas appris dans un livre d’histoire, mais grâce à un film sorti comme moi en l’an 1948.
Padirac, Paris (4jours), Arcachon, Chamonix (une semaine), le midi (plusieurs jours), Lacanau etc… voilà où nous menait notre instituteur dans les années 50/60 en fin d’année scolaire.
Autobus rempli dans la bonne humeur par la moitié du village en plus des enfants (les grands..).
A la réflexion je me demande comment il faisait pour financer tout ça car le voyage était gratuit pour les enfants et peu onéreux pour les parents.
Certes kermesses et concerts rapportaient de l’argent, la mairie aidait peut-être un peu, il devait y avoir un sponsor discret ou peut-être l’instituteur mettait-il lui même la main à la poche.
En tout cas inconcevable aujourd’hui…
« Avez-vous éprouvé cette émotion particulière consistant à mettre une réalité sur un nom ou un mot appris à l’école. »
Bien sûr ! Et quand j’en ai l’occasion, je l’éprouve encore. J’ai failli, tel Stendhal, me trouver mal d’émotion quand je me suis trouvé, dans le musée archéologique de Naples devant la mosaïque de la bataille d’Alexandre, dont une reproduction ornait un de mes livres de latin. En fait je crois que le phénomène était surtout dû à la frugalité du rapide petit déjeuner du matin, avant notre départ de la banlieue de Rome …
Dans mon enfance, le 15 août, c’était la procession de la vierge noire et miraculeuse (obligé !) qui trônait dans l’énorme et prétentieuse chapelle néogothique du quartier.
Mais je pense que comme toi, je n’ai jamais vraiment été croyant, malgré tous ls pieux exercices auxquels j’étais soumis .
Un souvenir de Jean-Jacques (merci à lui)
Le 15 août, Fête de l’Assomption
Il était impensable de ne pas assister à la procession organisée ce jour là par les pères Montfortains, desservant la chapelle d’Aubezine.
Je n’ai pu trouver si le créateur de cet ordre, Louis Grignon de Montfort est apparenté au sinistre Simon IV de Montfort, qui se rendit tristement célèbre au cours des croisades en Occitanie, contre les cathares.
Cette chapelle, en réalité une église assez monumentale « gothique contemporain », style Sainte Chapelle, classée maintenant monument historique, est à mon (humble) avis aussi laide, prétentieuse, tarabiscotée, froide et impersonnelle que le Sacré Cœur de Montmartre ou ND de Fourvière.
Je ne réussis pas, dans ce genre de bâtiment (m’as-tu vu dans mon joli vitrail ?) à trouver la paix et la sérénité des humbles églises romanes.
Sa construction décidée dans le but de relancer le culte marial, remplaça le petit édifice du XVIIIème siècle qui abritait la vénérée vierge miraculeuse. En réalité c’est une copie de cette statue, l’original ayant disparu probablement au cours des guerres de religion.
La copie a-t-elle conservé les propriétés miraculeuses de cette idole ?
Il ne semble pas, car depuis 1979, le bâtiment est quasiment désaffecté.
Le chantier de construction dura de la fin du XIXème siècle jusqu’à la fin des années 50. Quand j’étais enfant, il manquait le clocher qui n’avait pu être terminé, faute de matière première et de main d’œuvre, à cause de la guerre.
Le 15 août, donc, dans le début de l’après midi, la procession se mettait en ordre, prêtres de la paroisse et des alentours, l’évêque ou son représentant, pères Montfortains, religieuses, enfants de chœurs, porteurs de bannières, de croix, d’ostensoirs, dames patronnesses, etc.…Les petites filles en robes blanches et couronnées de fleurs, portaient des couronnes, généralement de roses blanches. Au cours de la procession elles allaient les brandir en chantant :
Prends ma couronne,
Je te la donne,
Au ciel, n’est-ce pas,
Tu me la rendras.
Bref, une sorte de placement sur le futur…
Le clou du spectacle avait été la sortie de la statue sur un brancard, porté sur les épaules de quatre malabars, prenant place dans le cortège qui se mettait alors en route.
Suivait la foule des fidèles. Le cheminement était lent et solennel, coupé de bénédictions, de haltes permettant la récitation d’oraisons. Les prêtres entonnaient des cantiques repris par les voies aigrelettes des petites filles et des dames. Il m’est parfois arrivé par effet d’entraînement, d’y mêler ma voix….
Puis après avoir parcouru un circuit dans les rues du quartier, la bonne dame ayant fini de prendre l’air rentrait dans ses pénates jusqu’à l’année à venir.
Ma famille ayant fuit l’Espagne le 15 décembre 1938… me protègera de l’influence de cette église « catholique apostolique romaine » dont le seul avantage a été de me faire naître en France après avoir connu une promenade dans le ventre de ma mère longue de 250 km à pied, sous les bombes et la mitraille !
Vous comprendrez aisément mon allergie…
Laure @ À ton attention : https://www.charentelibre.fr/charente/angouleme/angouleme-une-marche-en-l-honneur-des-927-deportes-du-20-aout-1943-16267318.php
Mon 15 août a moi
L’arrivée du 15 août fait comme chaque année revenir les souvenirs du plus profond de mon enfance. Au-delà des retrouvailles mariales, que j’ai savamment cultivé lors de mes années de catéchisme créonnais avec le Père Chevalier, ce jour férié a le goût de la fête, celle du village de Vayres à coté de Libourne.
Mes grands-parents maternels Gisèle et Henri Gautron, vivaient à Senau, petit hameau à l’écart de Vayres, traversé par la redoutable RN 89 devenue aujourd’hui un long ruban d’asphalte sans âme. Ce petit hameau a été durant toute ma vie d’enfant, d’adolescent et d’adulte, le terrain de la tendresse, le creuset de mon enfance et le refuge des jours difficiles.
La bâtisse familiale, ferme domaniale où les poules, canards, lapins, flirtaient avec le potager et les vignes était le lieu de nos vacances aoûtiennes. Vivaient là, à ma naissance, mes arrières grands-parents, Germaine et Pierre Lichau, revenus au pays, laissant à la Garenne Colombe, le travail de Taxi et celui de femme de chambre, Henri mon grand-père qui rentrait chaque soir de chez Lissac depuis Bordeaux par le Citram, Giséle, ma grand-mère qui gérait la maisonnée avec tendresse et fermeté, mon autre arrière grand-mère Jeanne Gautron, petite femme toute de noir vêtue portant le menton haut comme les femmes des maîtres du domaine et les petits derniers de la fratrie maternelle encore dans les jupons de maman, mes oncles Robert et Jean-Pierre, mes tantes Isabelle et Germaine.
C’est là, entourée de tout ce petit monde que j’ai mené les premiers pas de ma vie, ma mère finissant son Ecole Normale et mon père s’essayant déjà au tableau noir de ses nuits blanches d’homme engagé. Ces années là j’en garde une trace indélébile, comme ci, Senau avait marqué ma vie et préparé l’enfant que j’étais à aimer les bonheurs simples des jours sans taches. C’est ainsi que j’ai passé, entre autres, la quasi-totalité de mes mois d’août à Vayres et que le point d’orgue de ses vacances restait les Fêtes du 15 août.
C’était immanquable, et la journée était réglée comme les partitions de musiques que grand-père Henri préparait durant des semaines pour la messe au Château. Ce jour là, en rechignant un peu, nous nous levions quasiment à l’aube. La petite tribu des cousins et cousines arrivée des quatre coins de France avait ce jour là messe obligatoire. Et quelle messe ! Chaque 15 août, mon grand-père qui faisait ça chaque dimanche à la paroisse, préparait les chants de la messe mariale qui fête oblige se tenait en plein air sur le monumental escalier du Château de Vayres, face à la Dordogne, bercé par la brise estivale passant dans les charmilles et les jardins à la française. Nous, nous n’avions qu’une solution, être prêts à 9h30 tapante pour monter dans la R14 blanche.
Nous avions le droit ce jour là d’enfiler nos robes confectionnées en Liberty par mamie germaine, nos petits gilets brodés assortis tricotés par mamie Gisèle, les terribles souliers «Mod’8» vernis et surtout les merveilleuses socquettes en dentelle blanche qui montaient jusqu’au genou. Pour peu que maman ou les taties aient eu le temps nous avions droit aux anglaises et nous étions donc comme les images d’Epinal, de véritables petites filles modèles que la Comtesse de Ségur n’aurait pas hésité à mettre en scène dans ses histoires. Ainsi prêts, nous prenions le chemin du village et nous avions juste qu’un espoir … que la messe ne dure pas éternellement et que les grands tiennent leur promesse de tour de manége à la fin.
Ce rituel marial terminé, quelques tours de manège plus loin, nous revenions tous à Senau où nous attendait la longue table dans la fraîcheur de la salle à manger parée de ses habits de fête. Commençait alors comme pour les fêtes de Noël, le repas interminable, la succession des plats avec les gigots d’agneau et les haricots aux lards, les rires, les moqueries, les blagues et les délicieuses tartes aux pommes de mon arrière grand-mère. Nous, nous avions notre table en cuisine ce qui nous donnait la grande liberté de la quitter sur la pointe des pieds sans avoir à subir les foudres des parents. Très vite nous partions jouer dans le jardin, retrouvant nos cabanes, les foins, la grange et le hangar.
Si le soleil avait tapé, nous avions même le droit de nous baigner dans la grande baignoire en zinc qui trônait dans la cour et qui était pour nous beaucoup plus belle que toutes les piscines des grandes villas de Saint-Tropez. Nous finissions l’après-midi ainsi, installés en étoiles, sur l’herbe à l’ombre des acacias, des marronniers ou du noisetier, une tranche de pain au beurre couverte de chocolat en poudre ou de confiture de prunes, le nez au vent rêvant de princes ou de princesses. Le plus souvent cette installation estivale, d’un languissant bonheur, me rappelait les lapins du Moulin de Maitre Cornille, le jour de l’installation de Daudet, ces Lettres de Mon Moulin que j’ai tant lu et relu dans mon enfance.
La journée se finissait en chuchotement de secrets d’enfants qui restent encore j’en suis certaine pris dans les branches des peupliers du jardin pour faire briller les 15 août d’aujourd’hui. Le frémissement du soir, accompagné de cliquetis des fourneaux qui prépare la soupe, nous ramenait doucement à la promesse d’une soirée d’étoiles. La fête allait se poursuivre et nous savions qu’elle aurait forcément le goût magique de l’exceptionnel puisque le soir du 15 août c’était feu d’artifices au Château de Vayres.
Là encore le départ était minuté mais nous avions oubliés les contraintes du matin. Toute la famille partait pour rejoindre les jardins du Château de Vayres et s’installer sur les talus sous la terrasse face à la Dordogne. Si nous avions été sage, et moi ce n’était pas souvent, nous avions le droit d’accompagner grand-père et mamie qui rejoignaient la Famille Barde sur la terrasse du Château. Le plus souvent je restais posé sur l’herbe, ma veste sous les fesses, les yeux rivés aux étoiles, celles du ciel et celles des artificiers. Le spectacle était toujours merveilleux, aussi beau pour mes yeux d’enfants que les Grandes Eaux de Versailles, ces soirs là j’avais l’âme d’une reine puisque le ciel jouait rien que pour moi. Le retour se faisait en silence le long de l’allée du Château, il durait souvent près d’une heure tant il y avait de monde. La tête pleine d’étoiles, je prenais la main de mon grand-père pour ne pas me perdre dans la cohue.
La tranquille maison de maître reprenait vie au fur et à mesure que la tribu rentrait à la nuit noire. Nous cherchions encore à grappiller quelques minutes avant de monter dans les chambres et rêver que le 15 août c’était tous les ans …