Cette journée qui s’ouvre ne sera pas pour moi comme les autres. J’y travaille depuis de longues semaines. Un boulot de fourmi consistant à retrouver les soixante-dix membres de la promotion 126 de l’école normale d’instituteurs de la Gironde. Des heures de recherche sur internet pour dénicher un courriel ou un numéro de téléphone. Une patience pour vérifier ceux que j’avais en ma possession. Il y a en effet 60 ans que nous avons été reçus au concours d’entrée (ce qui alors représentait une certaine réussite), compte tenu du nombre de candidats et du niveau demandé. Les résultats par ordre de mérite furent annoncés dans une salle de l’EN par le Directeur par ordre de mérite le samedi 9 juillet, matinée dont je garde un souvenir impérissable.
Les larmes de ma mère. La pudeur constante dissimulant la joie intérieure de mon père. La fierté de mon grand-père Silvio. La satisfaction du couple d’instituteurs sadiracais qui m’avaient accompagné. Et le soir un formidable repas familial et amical ayant obligé mon père à fermer les douches publiques municipales plus tôt qu’à l’habitude. Un événement. Ma vie basculait à 16 ans et me mettait sur la voie d’un métier que l’on avait choisi pour moi. Je ne retenais que la fierté procurée aux autres et surtout la perspective de quitter le quotidien d’adolescent libre pour dans un peu plus de deux mois filer en internat. Mon frère Alain reçu une année auparavant à 14 ans, au collège d’enseignement technique avait déjà découvert les « joies » du pensionnat ! Ses récits ne m’encourageaient guère.
Pour mes parents l’entrée à l’EN avait un avantage considérable : je serais pris en charge intégralement pour mes études alors qu’ils auraient eu bien du mal à financer mon départ vers un lycée bordelais. L’année précédente, le directeur du collège avait décidé de me présenter dans la Seine Inférieure département déficitaire où mes chances de réussite étaient meilleures. Cette initiative causa bien des problèmes (1) et faillit ruiner mon avenir puisque je fus exclus du collège pour être allé à la pêche le jour de la répétition pour la kermesse des écoles. Un manquement grave que cet homme auquel je dois tant ne me pardonna que le jour où je revins avec ma réussite au concours. Et encore…
L’école normale n’était rien d’autre qu’un monastère laïque avec ses rites, ses règles strictes et sa formation induite nous préparant à entrer dans l’ordre des Hussards noirs de la République. Nous fûmes la dernière promotion qui accomplit un parcours à l’ancienne de quatre ans puisque après mai 68 tout fut bouleversé sur le fond et sur la forme. La signature à quinze ans d’une engagement à servir l’État durant dix ans en compensation de la gratuité de notre éducation et notre formation, mettait une pression particulière sur notre parcours. En effet un échec au baccalauréat, un renoncement ou une exclusion auraient contraints mes parents à rembourser les frais engagés par l’école normale.
Conquérir notre liberté d’esprit, vivre dans une égalité parfaite et construire une authentique fraternité constituèrent vite les objectifs de ces dizaines de normaliens, tous issus de milieux extrêmement modestes. Plus le régime interne se durcissait plus un esprit de corps solidaire et contestataire s’installait. Si les premiers mois furent extrêmement durs (sauf pour les nombreux élèves venus du collège d’Eymet fournisseur sous la direction du célèbre directeur André Bébéar-2- qui avaient connu un contexte encore plus exigeant) lentement une camaraderie forte et rassurante changea la donne. Le creuset constamment mis sur les « flammes » d’une pédagogie intelligemment coercitive finissait par produire des « normalots au cœur d’airain » ! Je fus heureux à l’EN et mes souvenirs ont peuplé toute ma vie.
J’avais donc une folle envie de retrouver ceux qui furent mes camarades dispersés sur tout le territoire national. L’école normale a en effet permis une bonne demi-douzaine d’entre eux d’accomplir de brillantes carrières dans les services de l’État (Préfet, directeur d’hôpital, cadre de la Gendarmerie, directeur de services dans les Ministères, chercheur au CNRS, directeur de cabinet de collectivités territoriales …) ce qui donne tout son sens au tremplin que constituaient les études gratuites avec des profs triés sur le volet.
Soixante ans plus tard il manquera quatorze décédés à l’appel et une bonne vingtaine de malades graves regrettent de ne pas pouvoir rejoindre la troupe. Un seul membre de la promotion a refusé de participer à « une réunion d’anciens combattants ». Il a probablement raison. N’empêche que le combat que nous avons tous menés (trois sont partis vers le privé) pour redonner à la République davantage que ce qu’elle nous avait accordé, méritait d’être mené. Les retrouvailles dans le contexte actuel ont valeur de symbole. La disparition des écoles normales a marqué un profond recul de l’engagement enseignant. Je suis certain que la journée va me faire un bien fou de m’en persuader.
(1) Lire Jour de rentrée Editions Vents salés
(2) André Bébéar était le père de Claude (PDG Axa) et de Pierre (médecin et homme politique). Eymet eut les majors des promos 59,60,61,62 de l’EN de la Gironde
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Bonjour J-M !
La voilà l’explication sollicitée par mon épouse partie faire les soldes à Créon !
« J’ai croisé J-M avec une poignée de nappes papier sous le bras : une manif …. sans incendie d’abris-bus mais plutôt du genre vide-bouteilleS doit se préparer ! » Ah ! Ces femmes …. ! ! !
Même si les agaces du Créonnais vont avoir une forte concurrence, nous vous souhaitons à tous ( et toutes ! ) une mémorable journée évènementielle, du genre que les Anciens marquaient d’une croix sur le manteau noirci de la cheminée.
Une pensée pour les absents car ces journées de retrouvailles au soleil de l’été nous rappellent aussi l’époque joyeuse où les Tamalous n’étaient pas sponsors des pharmacies ! ! !
Bonne et joyeuse journée … avec les remerciements de mes copains viticulteurs pour votre soutien à leur production. Attention aux résidents de la Grande Maison du rond-point : le bleu n’aime pas le rosé ! ! ! !
Très amicalement
à mon ami François…
Mais qu’en termes joyeux ces choses-là sont dites… !
Souvenirs, souvenirs… je vous garde en mon cœur.
Moi, j’étais chez les filles à Caudéran… et suis devenue professeur d’espagnol et de français.
Nous aurions pu nous croiser en 1966, si ce n’avaient été les vacances, le jour où, passant à Mérignac j’avais décidé d’aller saluer le directeur.
Sa secrétaire m’avait annoncé que le directeur ne recevait que sur rendez vous mais avait quand même tenté de présenter ma demande, qui, à son étonnement avait été acceptée.
– « Il veut bien vous recevoir. »
L’entretien fut cordial.
J’ai gardé quelque temps contact avec ce personnage qui ne fut pas tendre avec moi mais qui m’a inculqué des valeurs que ma famille avait négligées, ce dont je lui suis reconnaissant.
Les copains de promo ? Aucun à ma connaissance n’a quitté l’enseignement, ce n’était pas encore la mode …et je les ai pratiquement tous perdus de vue, quand à ceux qui restaient proches, …il n’en reste plus…
S’il te plait Jean Marie , salue bien tes copains au nom d’un ancien « normalo ».
@ à mon ami J.J.…
à ce terme « inculqué », je choisirais… « enrichi mon cerveau »… Allez savoir pourquoi ! !
Ce ne fut pas simplement de l’enrichissement, mais des prises de conscience et des « remises à niveau » , pas toujours plaisantes mais indispensables.
« Je vous parle d’un temps que les moins de… soixante ans ne peuvent pas… comprendre.
Un temps où l’ascenseur social existait encore… »
Bonne journée de commémoration joyeuse JM
@ mon ami patrickG
« ascenseur social » dont étaient si fiers mes parents… Républicains espagnols !
Je te souhaite une magnifique journée, cher JMD ! Ton billet matinal m’a fait retourner à ma propre entrée à l’Ecole Normale de filles de St Germain-en-Laye, à la rentrée de septembre 1967. J’étais propulsée dans un monde intellectuel foisonnant et extraordinaire, moi la petite fille modeste de banlieue de Corbeil…. Quelle fierté pour mes parents aussi qui fêtèrent en plus cette année-là le bac de leur aîné, et l’entrée en 6ème au lycée classique du petit dernier. On déboucha même LA bouteille de champagne qui traditionnellement arrosait une fois l’an le dîner d’anniversaire de mariage des parents. Pour mon père qui avait quitté l’école pendant la guerre et ma mère qui, Belge mariée à 21 ans à un Français avait perdu le droit d’exercer son métier d’institutrice bruxelloise, c’était une belle revanche sur la vie et l’espoir que leurs enfants » feraient des études ».
Je ne les remercierai jamais assez d’avoir cru en nous.
2 précisions
je pense qu le CC d’Eymey a eu aussi le major de la promo 52 ou 53
André Bébéar, directeur du CC était le père de Claude Bébéar polytechnicien dont on connait bien la carrière et de Jean Pierre (et non Pierre) professeur de médecine.
@ à mon amie DGN…
Souvenirs… Souvenirs… je vous garde en nom cœur…
Notre chance est celle d’avoir eu des parents comme les nôtres !
Ils sont toujours présents dans mon cœur et je suis sûre qu’il en est de même pour toi.