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Perdre son temps c’est souvent en gagner

Je me suis goinfré de « temps ». J’en ai consommé sans aucun respect pour sa valeur. J’ai toujours pensé qu’il m’était impossible de me rassasier de donner du mien pour économiser celui des autres. J’avais la hantise de la chanson de Brel en pensant que je parviendrai à courir plus vite que la pendule (…) qui « ronronnait au salon et qui disait oui, qui disait non et qui finissait par dire je vous attends. » Elle n’avait aucun pouvoir sur le sentiment de toute-puissance que donne la sensation d’être plus fort que le « temps ». Impossible de s’arrêter pour ne pas donner un signe de faiblesse. J’ai été un cavaleur impénitent, un gaspilleur du trésor essentiel que représente la jouissance de ne rien faire. 

Intoxiqué et même drogué par l’espoir de répondre à toutes les sollicitations, j’en ai oublié la valeur d’une heure et même d’une dizaine de minutes. Courir d’un lieu à l’autre apporte rassure sur son respect des engagements pris. En fait les gens ne remarquent que ceux où vous n’êtes pas allé et trouvent toujours que vous ne leur en donnez pas assez. D’ailleurs j’ai toujours beaucoup de mal à partir comme si je me sentais coupable. En général je m’éclipse aussi vite que possible pour ne pas avoir à me justifier. Ce rapport au temps n’existe plus. La vitesse a mis tout le monde sur un pied d’égalité. Toujours et toujours accélérer. Paradoxalement toutes les formes de modernité raccourcissent nos vies.

Les sollicitations n’ont pas baissé. Un enfant arrive dans une semaine si l’on cumule la « garderie’, l’école, les activités associatives à avoir plus de 40 heures de consommation de son temps. Si on ajoute celui qu’il passe devant les écrans sa portion d’ennui se révèle plutôt congrue. Inventer son occupation après avoir goûté au désespoir de l’inaction apportait tellement d’atouts au développement d’un jeune que l’on se souvent longtemps après de ses trouvailles. Moins le prêt à jouer, le prêt à penser, le prêt à imaginer entre dans l’enfance et plus l’avenir sera autonome, responsable, constructif.

Un livre de lecture que ma mère avait eu à l’école m’avait marqué. Dans l’un des tomes de Jean-Christophe de Romain Rolland il y avait un passage dont je me souviens. L’enfant s’allongeait dans l’herbe et regardait les nuages passer dans le ciel. Pour chacun il inventait une signification, une histoire et il confectionnait son parc d’attractions gratuit. Il passait de longues minutes à observer les fourmis ou à gratter les trous des grillons. Je n’ai comme lui jamais su rester inactif. Même quand j’avale mon café je cherche à emmagasiner des images, des mots, des situations. Il ne faut pas perdre de temps.

Poil de Carotte dans un autre bouquin triste aimait regarder les silhouettes des arbres. « Les arbres mêlent leurs masses confuses et courroucées au fond desquelles Poil de Carotte imagine des nids pleins d’yeux ronds et de becs blancs. Les cimes plongent et se redressent comme des têtes brusquement réveillées. Les feuilles s’envolent par bandes, reviennent aussitôt, peureuses, apprivoisées, et tâchent de se raccrocher. Celles de l’acacia, fines, soupirent ; celles du bouleau écorché se plaignent ; celles du marronnier sifflent, et les aristoloches grimpantes clapotent en se poursuivant sur le mur. » Le temps avait-il la même omniprésence ? Cherchez autour de vous quel gamin se construirait un monde des ombres en connaissant les espèces d’arbres. La liberté a pourtant ses racines dans l’imaginaire. 

Nous avons fini par nous plaindre d’être submergés, happés par les obligations, esclaves des horaires, terrorisés par la simple idée d’être jugés sur notre inaptitude à gérer les obligations sociales ordinaires. Il nous faut tout et tout de suite. Nous devons être prioritaires. Les retraités sont souvent les plus exigeants et d’ailleurs dans tous les services il est aisé de constater qu’ils sont les premiers à arriver ou à retenir les jours et les horaires qui arrangeraient bien ceux qui travaillent. Leur appétence pour le temps naît avec leur peur de ne plus en avoir. Cette frénésie s’arrête avec la fin de leurs illusions sur la notion de vie éternelle à laquelle ils sont sensibles.

Il arrive que sur les chemins d’une existence sous pression, la sensation de vide perturbe celle ou celui qui les empruntent. Deux heures dans une salle d’attente avant un examen médical vous bouffe le moral. Pourquoi vous attendriez ! Tous les nez se penchent sur un mobile et peu à peu autour de vous l’impatience grandit. Les plus énervés s’en prennent à une secrétaire ou une hôtesse comme si leur sort dépendait d’une urgence de prise en compte de leur situation. Ce n’est pas le temps qui manque, c’est nous qui manquerons un jour le rendez-vous avec lui. Arrêtez la pendule si vous l’avez au salon. 

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Cet article a 8 commentaires

  1. Batistin

    Bonjour. Régler nos montres à l’heure du soleil serait peut-être aussi une saine décision à prendre .

  2. J.J.

    Le temps qu’est-ce que c’est ? Un flot qui s’écoule et dont nous n’avons pas le contrôle malgré toutes nos gesticulations et nos rodomontades(enfin plutôt de ceux qui ont l’illusion de nous gouverner).

    Un temps qui s’écoule et qui un jour pour nous s’arrête alors qu’il continue à emporter le reste du monde dans sa vaine course.
    Vanitas, vanitatum, comme disait Jean Bénigne.
    Ou serait-ce une simple illusion comme « La verdad sospechosa » de Pedro de Alarcon ?

  3. PC

    Histoire vraie:
    de riches (très riches) châtelains et homme et femme d’affaires ont 3 enfants, école à la maison, cheval, golf, etc, pas une minute à eux.
    Excédés, les 3 enfants ont « convoqués » (sic) leurs parents pour leur expliquer qu’ils aimeraient bien avoir un peu de temps à eux (1ls ont 5,8,et 12 ans…), ils ont besoin de jouer, rêver, se reposer etc…
    J’ignore le résultat, mais j’espère que ces parents inconscients qui croient que leurs enfants ont le même rythme de vie qu’eux et vont en faire des aigris désocialisés avant l’heure, ont saisi le message.

  4. christian grené

    Sacré Julot! Ce fin Renard a écrit: « Le temps passe par le trou de l’aiguille des heures ». N’était-ce pas d’ailleurs dans « Poil de carotte »?

  5. Gilles J.

    Je préfère rêver que le temps n’est qu’une illusion, comme toutes les choses de ce monde…
    Cela laisse de l’espoir à tous ceux qui n’en ont plus!
    Sur ce, bonne journée à toutes et tous.
    Hasta luego comme dirait Laure

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Gilles…
      ¡ Tú también hablas castizo !
      Fuerte abrazo

  6. Alain.e

    Même en cent ans , je n’ aurais pas le temps chantait Michelle Fugain , j’ ai donc décidé de procrastiner , ça me laisse plus de temps pour ne rien faire ……
    Mais en même temps , saint Augustin lui disait
     » Qu’est-ce donc que le temps? Si personne ne me le demande, je le sais; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus. »
    Allez , je préfère encore Allais qui disait lui
    « L’absence ni le temps ne sont rien quand on aime »
    Cordialement .

  7. Laure Gaeealaga Lataste

    Quand tu atteints les rives des 80 ans en bonnes conditions, tu peux dire que tu as beaucoup de chance… !

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