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Le ventre fécond de la Médina de Fés

La médina de Fès constitue une inextricable pelote de ruelles toutes plus mystérieuses les unes que les autres. Rares sont celles qui affichent une rectitude rationnelle qui ne correspondrait pas avec le mystère que chacune d’entre elles entretient. Ces « boyaux » d’un immense ventre commercial se contorsionnent ou zigzaguent comme s’ils voulaient digérer lentement mais sûrement celles et ceux qui s’aventureraient imprudemment hors des entiers battus. Rien ne ressemble plus à un intestin urbain que cet immense enchevêtrement labyrinthique construit au fil des siècles par les marchands des contrées du soleil.

Paradoxalement la pénombre règne partout tant les murs aveugles ne souhaitent pas que la lumière vienne se pencher sur les transactions. Ils protègent aussi jalousement le secret des habitants installés dans ces riads, immeubles protecteurs de vies familiales perceptibles seulement quand on prend de la hauteur. Le promeneur jamais solitaire dans le flot de chalands se pressant devant des étals aux dimensions bien différentes, n’a souvent aucune idée réelle de cette activité discrète installée sur des toits terrasses, refuge des réalités du quotidien.

La médina enfermée dans le corset des remparts de terre ocre arbore quelques portes monumentales dont celle qui porte le bleu du ciel que le visiteur ne verra plus lorsqu’il descendra dans les entrailles de cette ville se voulant impériale. Dès cette ouverture franchie la plongée dans une autre dimension s’avère dérangeante pour celle ou celui qui garde ses repères d’une consommation aseptisée, standardisée, « néonisée ». Le règne de la débrouille, de la bricole, de la simplicité a traversé les siècles. Rien n’est en effet organisé dans ce vaste dédale où le plus dangereux reste de se lasser happer par l’étrange envie de cheminer toujours plus loin à la découverte de l’ancien monde.

Au fil des ans il faut vraiment sortir des sentiers battus par les processions touristiques pour découvrir ces repères d’une époque où l’authenticité était indiscutable. Elle se nichait dans une arrière boutique tapissée, sur un établi aux outils, au fond un four obscur, dans un sac de jute grossier, sur une charrette hors d’âge ou une toile usagée posée à même le sol.

Des artisans survivent repliés dans des « ateliers-grottes » devant une improbable machine à coudre des tissus rutilants, une enclume à marteler doucettement le cuivre, des plaques garnies de pâtes blanches, de métaux devant précieux par la qualité de leur ciselage. Les visiteurs se retrouvent noyés dans des flots de produits alléchants par leur prix mais dont le chaland peut douter de la provenance.

Des tonnes de vêtements ou de chaussures logotisés sont exposées pour tenter les clients robotisés. Des motocyclettes ont supplanté les mulets ou les ânes, les projecteurs ont remplacé les rayons solaires. Inévitable mutation si la volonté affichée réside dans la protection de l’attractivité du lieu pour que ce qu’il est subsiste.

A la débauche de couleurs des bancs « épicés » s’ajoute leurs odeurs doucereuses ou agressives. Les plantes aromatiques indispensables pour que la cuisine marocaine conserve sa touche formidable d’originalité. Celles qui servent pour la beauté en crème ou en huile ont nettement perdu de leur naturel tellement elles ont été accommodées aux nécessités du marketing moderne.

Partout la modernisation se heurte à la tradition dans ce creuset séculaire qu’il serait pourtant très malsain de transformer en musée des goûts ou des saveurs. La médina de Fès regorge de légumes ou de fruits venant des plaines proches du Moyen Atlas. C’est encore la majorité de cette offre directe des marchés d’antan. Et si l’authenticité reposait sur les effluves nauséabondes émanant du bagne des tanneurs ou du secteur des métiers de la viande ? Justement parce que seulement quelques branches de menthe froissées sous les nez délicats tentent de les estomper elles appartiennent à la vérité de ce lieu restant magique.

De ces trous glauques où baignent les peaux des animaux sacrifiés pour garnir les étals des bouchers, monte la puanteur qui précède la création des plus belles pièces de cuir. Elle a traversé les siècles comme s’il fallait un témoignage de ce que fut cette principauté des gens simples, travailleurs, adroits, inventifs qui savaient tirer profit de leur savoir-faire et des ressources ordinaires de la terre.

La médina de Fès, creuset des cultures multiples ayant traversé l’histoire de la ville effraie par sa complexité de son organisation ou par l’étendue des mystères impénétrables. La gentillesse respectueuse de ceux qui en partagent la réalité, la vie vibrionnante de la jeunesse qu’elle abrite, la beauté des gestes, des visages de celles et ceux qui en ont connu les moments difficiles constituent le véritable trésor que l’on ne peut découvrir que si on a un regard sélectif tourné vers les autres.

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