Les mots évoluent pas toujours heureusement au fil du temps. Certains qui portaient fièrement les valeurs d’une époque ont sombré vers d’autres références. Ainsi si au XVII° siècle les « salons » ont joué un grand rôle dans l’éclosion des « Lumières » ceux de notre époque ont une toute autre destination. Nous avons glissé d’une vision intellectuelle à une approche purement mercantile comme en ce moment l’agriculture qui décline ses produits les plus emblématiques pour les livrer à la découverte du grand public. Durant toute la semaine les exposants verront défiler le gratin du monde politique passionné par le cul des vaches. Tradition oblige.
Au XVIII° les puissants craignaient ces salons où l’on s’efforçait de commenter les potins mondain faute de pouvoir construire un monde différent. La philosophie de l’échange, voire la philosophie tout court, trait essentiel des Lumières, gagne du terrain dans les « salons » parisiens, imités en province et à l’étranger. Ces lieux de conversation où triomphe tout un art de vivre, voire un art de la parole deviendront d’une certaine manière les « serres » où écloront quelques idées nouvelles. Il arrive aussi que dans le secret de ces « maisons » certains invités mettent des mots sur les maux de l’époque. On y cultivait la différence.
La Cour de Versailles, sous les règnes de Louis XIV et Louis XV cesse d’être le centre du pays et la source de l’opinion : le mouvement des idées se fait ainsi contre elle et non plus pour elle. Dans ces espaces » privés on va en effet donner de moins en moins la primauté aux jeux littéraires ou aux jeux d’esprit comme au siècle précédent mais à l’échange d’informations, la confrontation des idées, l’exercice de la critique et l’élaboration de projets philosophiques. Les salons seront les serres d’éclosion du doute.
Dans le peuple on se contente des foires, rendez-vous institutionnalisés dans leurs dates et purement dédiées au commerce, aux échanges et aux loisirs. La tradition a traversé les siècles. Dans les archives il est question de la pénurie de « denrées essentielles », de ce que l’on appelait pas alors « l’inflation », des « marges réalisées » par des marchands peu scrupuleux. La loi de l’offre et de la demande que l’on avait pas encore théorisée passait avant toutes les considérations politiques. Bien entendu si les chalands les plus évolués débattaient du contexte social, ils le faisaient dans les estaminets, les gargotes ou les auberges devant une chopine de clairet ou de vin blanc.
Le milieu des grands propriétaires ou des exploiteurs agricoles se contentent à partir de la moitié du XIX° siècle d’organiser des comices. J’ai le souvenir de ces rendez-vous qui constituaient des moments essentiels de la vie d’un territoire. Les notables allaient de l’un à l’autre selon un calendrier bien établi. Les organisateurs bénéficiaient de budgets conséquents pour rassembler les éleveurs, les producteurs ou les viticulteurs.
Le rite de la remise des « médailles » ou des « prix » en constituait le temps fort. Les politiques venaient y faire assauts d’éloquence dans des discours laudatifs ou revendicatifs que tout visiteur officiel actuel de la Porte de Versailles n’aurait aucun mal à s’approprier. Les plus belles descriptions de ces manifestations dont on ne mesure pas l’attractivité se trouvent dans Madame Bovary de Flaubert. Il leur consacre tout un chapitre avec force détails.
En écoutant les déclarations du Président de ce qu’il subsiste de République il est impossible de ne pas penser à cet extrait des propos tenus lors du comice de Buchy. Le voici : « Et qu’aurais-je à faire, messieurs, de vous démontrer ici l’utilité de l’agriculture ? Qui donc pourvoit à nos besoins ? qui donc fournit à notre subsistance ? N’est-ce pas l’agriculteur ? L’agriculteur, messieurs, qui, ensemençant d’une main laborieuse les sillons féconds des campagnes, fait naître le blé, lequel broyé est mis en poudre au moyen d’ingénieux appareils, en sort sous le nom de farine, et, de là, transporté dans les cités, est bientôt rendu chez le boulanger, qui en confectionne un aliment pour le pauvre comme pour le riche. N’est-ce pas l’agriculteur encore qui engraisse, pour nos vêtements, ses abondants troupeaux dans les pâturages ? Car comment nous vêtirions-nous, car comment nous nourririons-nous sans l’agriculteur ? » Qu’est-ce-qui a changé ? Rien. Ou presque.
Créé seulement en 1964 le Salon de l’Agriculture sert essentiellement de caisse de résonance pour démontrer la puissance de la FNSEA dans l’organisation du monde agricole français. Elle y règne en maîtresse du lieu donnant des satisfecit ou organisant des contestations pour influencer les axes des politiques gouvernementales. C’est une constante. Chaque jour une « vedette » passera de stand en stand pour délivrer ses messages tous bien évidemment favorables au monde paysan. Les visiteurs chercheront tout ce qui est gratuit comme dans tous les « salons ». Cette année d’ailleurs les exposants avouent que des bandes se saoulent grâce aux dégustations proposées par les exposants…et posent des problèmes car elles font fuir la clientèle familiale. Signe des temps !
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Pas d’accord avec vous M’sieur. Le premier Salon de l’Agriculture ne s’est tenu en 1964 mais au début de notre ère à Bethléem. Même que des rois venus d’Orient, de Galilée selon Sheila, y seraient venus avec de la myrrhe, de l’encens et de l’or aussi. J’l’ai pas lu dans Mme de Bovary, soit dit en Maupassant (ami de Flaubert), mais dans les Evangiles écrits par Vincent, François, Paul et les autres. Dans cette crèche, aménagée en salon, y’avait un boeuf et un âne. Les chameaux des envoyés spéciaux sont restés à la porte sur laquelle veillait un charpentier. Ouais M’sieur, c’est ça l’histoire.
@ à mon ami christian…
Si tu lis dans » les Evangiles écrits par Vincent, François, Paul et les autres… », je comprends mieux pourquoi Marie reste toujours au fourneau des oubliettes… !
À +++ car j’ai du pain sur la planche et dois parvenir à la fin de cette histoire de… qui est aussi la nôtre !
Ce message s’adresse à mes 2 amis qui le comprendront et toutes mes amies de « Roue Libre ». À bientôt
…le Salon de l’Agriculture sert essentiellement de caisse de résonance pour démontrer la puissance – NÉFASTE – de la FNSEA dans l’organisation du monde agricole français….
Il semblerait que l’ensemble du monde agricole (on ne parle plus de paysan, espèce éteinte, mais plutôt de producteur, exploitant agricole, voire industriel) est malgré tout resté très conservateur à tous les niveaux.
Ce fut très difficile au milieu du XX ème siècle, de faire évoluer des paysans souvent têtus et immobilistes, routiniers disait-on, vers des systèmes de production plus adaptés à l’époque et à ses besoins.
De même, il est maintenant très difficile de faire prendre conscience à certains agriculteurs que dans le contexte climatique et social actuel leur système de production n’est plus viable et doit évoluer.
Ceci dit, il faut reconnaître que leur rôle, actuel comme du temps de Flaubert ou de Maupassant est vital pour l’économie de la nation, d’où la nécessité d’une adaptation rapide et radicale, tout en conservant leurs légitimes intérêts.
Bonjour,
l’agriculture de demain est elle déjà morte ? A la fin de la guerre dans les années 45-50 le virage a été pris car il fallait bien recycler les industries de guerre . L’effort de l’industrie de guerre portait principalement sur les véhicules de transport de troupe et la chimie des explosifs, l’agriculture constituait un débouché avec les engins agricoles et l’agrochimie pour les composés azotés commun avec les explosifs. La conversion des agriculteurs a été assez longue et il aura fallu les efforts constants de la FNSEA et l’opportunité des Plans Monnet et Marshall pour convertir l’agriculture traditionnelle à l’industrialisation des terres.
La FNSEA met en place dès 1946 un « modèle de prise du pouvoir », dont la « mise en œuvre va se perpétuer pendant plus de cinquante ans ». Le résistant François Tanguy-Prigent « Jacques Le Ru » a jeté les bases d’un syndicat agricole clandestin, la Confédération générale de l’agriculture qui deviendra la FNSEA dans la nuit du 13 au 14 mars 1946. Le 4 septembre 1944, François Tanguy-Prigent devient ministre de l’Agriculture (c’est par la radio qu’il apprend qu’il a été nommé à ce poste par le général de Gaulle). Il conserve cette fonction jusqu’au 22 octobre 1947. Les bases du syndicalisme paysan sont restées très liées avec la politique.
Le congrès de 1949 décide d’orienter les moyens financiers et techniques vers les exploitations spécialisées plutôt que vers celles pratiquant la polyculture-élevage.
La FNSEA convainc la même année Pierre Pflimlin de rétablir les prérogatives des chambres d’agriculture, afin de bénéficier de financements publics sûrs : « Elles permettent aux syndicalistes de sortir de leur rôle pour mettre la main sur la gestion de l’espace rural dans leur seul intérêt ». Dans un rapport de 2014, la Cour des comptes critique une gestion « peu transparente » des SAFER et l’emprise de la FNSEA sur celles-ci. « Le syndicat agricole dominant, la FNSEA, a un art éprouvé pour confondre fonds publics et militantisme. » rapport Perruchot,
D’après la Confédération paysanne, organisation syndicale représentative, la FNSEA soutient le système agricole conventionnel, promeut l’industrialisation des exploitations, l’exploitation animale, l’utilisation de pesticides dans un but de rentabilité, de productivité et de compétitivité. Elle défend activement les droits et causes des agriculteurs intensifs lorsque leurs intérêts sont menacés et s’oppose régulièrement aux normes et contraintes environnementales par l’organisation d’importantes manifestations et lobbying.
Le résultat de 75 années d’interventionnisme de la FNSEA conduit à l’appauvrissement des sols et des petits agriculteurs ainsi qu’à une baisse incontestable de la qualité des produits. C’est le constat du couple Lydia et Claude Bourguignon qui posent la question Les sols à l’agonie, peut-on encore les sauver ? dans cette vidéo:
https://youtu.be/OWnT1bkHQto
En attendant le premier jour du salon de l’agriculture 2023 a été marqué par une forte affluence, mais surtout par un grand nombre de visiteurs très alcoolisés.
Personnellement le simple fait de prononcer FNSEA me saoule immédiatement.
Bonne journée
« Le congrès de 1949 décide d’orienter les moyens financiers et techniques vers les exploitations spécialisées plutôt que vers celles pratiquant la polyculture-élevage. »
….en parfaite contradiction avec les réalités climatiques, nous voyons le résultat. Nous ne sommes pas dans les « grandes plaines de l’Ouest.
Le mot du jour : séricicole. Je me coucherai moins bête ce soir.
Le maux du jour : expansionnisme
La terre arable, le nouvel eldorado des pays riches, en voie de développement au détriment des autochtones.
Le remède du jour : la Sécurité Sociale de l’Alimentation
https://www.reseau-salariat.info/groupes/alimentations/
Et arrêtons de produire (entre autre) du poulet subventionné pour le revendre en Afrique.
Bonjour J-M !
Ma curiosité … quotidienne pour ta chronique étant agréablement satisfaite, c’est avec surprise que je découvre un terme dans … ton bandeau : industrie séricicole avec Créon surligné !
Certes, depuis mon enfance, je connaissais la poterie de Sadirac (les fleurs, que ma grand-mère adorait, ne pouvaient s’épanouir que dans des pots achetés à la poterie de Sadirac [devenu musée je crois]). Je n’aurai pas parié un euro sur le ver à soie et la soie à Créon. Tes lecteurs et moi-même apprécieront quelques explications … succinctes sur cette présence et son abandon !
Bien que le port de la cravate soit désuet et alors que la relève viticole galère et envisage … les oliviers, les mûriers et leurs copains vers à soie ….. une solution ….?
Amicalement