En 1983 (je sais c’est très loin!) j’ai pu vivre une expérience personnelle exceptionnelle. Ayant été retenu par l’Éducation nationale lors de la création du Centre de liaison entre l’éducation et les moyens d’information (CLEMI) voulu par le seul vrai ministre qu’ait eu ce secteur clé de la société (Alain Savary) je fus admis en stage au sein du service des sports d’Antenne 2 dirigé par Robert Chapatte.
Un privilège dont je mesure maintenant l’intérêt tant il m’avait ouvert les yeux sur le monde audio-visuel. Les Thierry Roland, Roger Couderc, Jo Choupin, Jean Mamère, Pierre Fulla, Jean Marquet ou Roger Zabel constituaient une bande fortement anisée pour certains et extrêmement sérieuse pour d’autres dans laquelle je finis par me trouver une petite place.
J’avais aimé la manière dont j’avais été accueilli. Je fus affecté comme « ombre » de Roger Zabel qui avait en charge outre quelques disciplines sportives annexes, la liaison quotidienne avec la rédaction ayant en charge le journal télévisé de 20 heures. Ce rendez-vous constituait le moment clé de l’information d’alors qui venait d’être un tantinet « libérée » par l’arrivée de la Gauche au pouvoir. Les réunions de la matinée faisaient le point sur les « nouvelles » de la nuit et sur celles que l’on pouvait prévoir selon les prévisions de la journée.
Il appartenait à chaque service de présenter ses propositions et Poivre d’Arvor alors omnipotent décidait sur le mode « je prends ou je laisse ». Le rendez-vous accouchait d’un « monstre » dépassant largement la durée du JT mais qui serait allégé selon la hiérarchie décidée par le présentateur et quelques affidés.
A 17 heures tout le monde revenait et présentait les résultats de ses investigations éventuelles (les reportages ciblés ou les images récupérées sur les banques diverses devaient correspondre à une intention décidée par la rédaction). Le sport avait peu de place puisqu’il avait son émission après le JT de 13 heures (sur la 2 je rappelle) et qu’on lui réservait plutôt le créneau de la nuit en fonction des compétitions de la soirée. Zabel rentrait souvent bredouille mais il n’en était point marri car les activités annexes de la majorité du service rendaient ses collègues peu présents.
En fait les sujets traités dépendaient essentiellement des « images » disponibles. Pas d’images chocs ou un tantinet exclusives : pas de présence dans le JT ! C’était déjà le début de la concurrence ! Il fallait de la différence, du sensationnel, de l’émotionnel portés par une ou deux minutes maximum de reportage ou d’illustrations puisées sur la réserve internationale alimenté par toutes les télévisions du monde. Depuis quelques années une nouvelle dérive est apparue, celle des réseaux sociaux qui mettent en ligne leurs films.
Celui qui possède des images (surtout maintenant gratuites) possède donc le pouvoir de donner l’importance voulue à sa vision d’une information. Depuis 1983 cette réalité a largement évolué et pas forcément dans le bon sens. De plus en plus de services officiels, de services de com’, d’officines parallèles bien payées, de pseudo-informateurs moins désintéressés qu’ils ne le disent, fournissent des appuis matériels, trouvent des témoins coopératifs, orientent discrètement et même des images toutes prêtes. Regardez un peu et vous constaterez qu’en Ukraine ou sur bien d’autres événements la réalité de ce constat.
Un événement récent accentue la méfiance indispensable vis à vis de ces pratiques. Le journaliste et présentateur de BFMTV Rachid M’Barki, mis à pied pour soupçons d’influence étrangère, aurait collaboré avec une vaste entreprise de désinformation pilotée par une officine israélienne. C’est ce que révèle une enquête d’un consortium international d’une centaine de journalistes.
Selon les investigations du collectif de journalistes Forbidden Stories cette affaire est liée à une entreprise de désinformation pilotée par une officine israélienne désignée sous le nom de « Team Jorge », qui vendrait ses services dans le monde entier. D’après un responsable de ce service israélien, la structure peut créer automatiquement de faux comptes en ligne, générer automatiquement du contenu sur les réseaux sociaux ou pirater des mails ou des comptes Telegram, pour influencer des campagnes électorales notamment.
Dans le cas de Rachid M’Barki sur BFMTV, les brèves diffusées avaient trait aux oligarques russes, au Qatar, au Soudan, au Cameroun, ou encore au Sahara occidental et auraient été « fournies clés en main pour le compte de clients étrangers », selon le consortium d’investigation. Le présentateur s’arrangeait pour demander ces documents d’actualité en dernière minute pour illustrer des brèves, « une fois que le rédacteur en chef était pris sur une autre tranche et avait validé l’ensemble de son journal ». Le poids de quelques secondes d’ images préfabriquées et orientées accentuait l’impact des informations délivrées. Est-ce une exception ? Si vous êtes attentifs vous en verrez bien d’autres. Ça m’a rajeunit…
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Tu dis « une bande fortement anisée… » Pour toi, ça n’avait rien d’exceptionnel puisqu’à Bordeaux, dans une salle de rédaction de Sud-Ouest où se récapitulaient Ducrottin, Lulu, Raca, M. Robert, Nono et autres Sheila, la couleur ambiante virait souvent au jaune de Provence. Souvenirs, souvenirs…
Bonne journée à tou(te)s.
@ à mon ami christian.…
Dans mon autre pays…, au jaune de Provence s’ajoute le blanc laiteux, privilège que l’on retrouve également chez nous… !
J’ai vérifié plusieurs fois la puissance de la chose écrite, ou dites, ou montrée par les médias, quelle que soit leur importance, par rapport au témoignages d’un simple témoin, comme le célèbre argument publicitaire : « Vu à la télé « .
Un jour de printemps j’ai observé un couple de cigognes, oiseaux assez rares à l’époque, qui traversait le ciel au lieu dit justement « la Cigogne ». Arrivé à la maison, je téléphonais au canard du coin(coin) où j’avais quelques relations parmi les journaliste, pour leur fournir une petite information sur l’arrivée du printemps (même si les marronniers n’étaient pas encore fleuris). Et l’après midi j’annonçais à un collègue que j’avais observé des cigognes passant au dessus de sa maison.
Je fus gentiment moqué : ça n’était pas possible, j’avais la berlue etc. Je n’insistais pas.
Le lendemain, mon collègue c’est précipité à ma rencontre, en me disant : « C’est vrai, tu avais raison, hier il y a des cigognes qui sont passées, je l’ai lu dans le journal ! »
@ à mon ami J.J.…
Merci pour cette bien triste histoire qui t’a fait manquer une belle carrière de journaliste !
Mon cher ami JM… On se rajeunit comme on peut ! Mais, hélas, les années sortent toujours… vainqueurs (vainqueuses m’étant refusée !).
(vainqueuses m’étant refusée !)….mais pas gagnantes ou triomphantes.
@ à mon ami J.J….
Pour gagnante ou triomphante… seul l’avenir dira !
Jean-Marie, depuis ce matin je me dis que dès que j’en aurai le temps, il me faudra dire à J-M. Darmian que… Il est 20H34, j’en ai enfin la possibilité (oui, car retraité, comme tout retraité, je manque de temps, j’ai tant à faire… mais dans la lenteur des octogénaires).
Donc te dire que d’entrée de chronique tu m’as procuré un plaisir intellectuel et… militant en rappelant la mémoire d’Alain Savary. Ce grand bonhomme (grand résistant, grand socialiste), chaleureux, a été en quelque sorte « sacrifié » par le président Mitterrand pour cause d’application à réaliser ce que la gauche désirait enfin réaliser, ce qui était dans le programme du PS confié à Chevènement après la rupture du programme commun : le Service -public- unifié -laïque- de l’Éducation nationale (SPULEN). Les « Versaillais » (on les retrouvera, du moins leurs descendants, leurs émules dans « la manif pour tous ») ont eu sa peau par une manif monstre et François Mitterrand s’est séparé de lui comme il se sera séparé de Pierre Mauroy. Avec regret pour ce dernier mais sans état d’âme apparent pour Alain Savary.
Pour le reste, ton billet (ou ta chronique) est toujours riche de réflexion et intéressant.