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La fièvre salutaire des dimanches soirs

Quel est celle ou celui parmi vous qui aime le dimanche soir ? Pour ma part durant des décennies j’ai apprécié ces heures avant la reprises de la semaine de travail car elles me permettaient de réaliser l’une de mes passions : travailler à la confection des pages de Sud-Ouest réservées au sport. La fin de la période du plomb, l’installation du système nouveau avec la découpe des textes papier agencés par les ouvriers du livre reconvertis à cette technique nouvelle, et les débuts de l’informatisation ont constitué les étapes de ma « formation  professionnelle » sur dix ans. Après avoir rendu compte des matches auxquels j’avais assisté, je filais rue Guiraude pour prendre la part que l’on voulait bien me confier dans la chaîne de fabrication du journal. Un vrai bonheur.

Cette contrainte volontaire dont les racines se trouvaient à la fois dans mes passions pour le sport et l’écriture occultaient les week-ends. Pas question de me poser la question des programmes de la télé, des sorties culturelles ou amicales sauf s’il fallait me coller à un papier sur un match de Division 1 diffusé en direct pour les premières éditions. Un exercice  « anonyme » indispensable pour respecter les horaires de l’impression et surtout ceux de la diffusion qui permettait indirectement d’avoir la sensation valorisante d’être un « envoyé spécial ». Une promotion venant après que les premiers dimanches, je me sois vu confer avec Corinne la mise en page de dizaines de textes relatifs au football régional après les avoir souvent réécrits ou mis en conformité avec la commande initiale en lignage.

Se faire une petite place dans le milieu des professionnels aura nécessité patience et fiabilité dans le travail. Dimanche après dimanche l’équipe des pigistes de toutes les disciplines constituait une armée de supplétifs indispensables à la bonne marche du journal. Les « installés » voyaient eux-aussi d’un mauvais œil l’arrivée des « nouveaux » perçus comme des concurrents potentiels. Ils avaient le privilège de l’ancienneté et faisaient en effet leur maximum pour conserver les désignations réputées les plus valorisantes. Manquer dans un tel contexte un seul dimanche s’était prendre le risque de perdre le terrain patiemment conquis. 

Des centaines d’heures le long des mains courantes, des milliers de kilomètres pour suivre des confrontations « amateurs » de tous niveaux et ces dimanches où je rentrais au mieux vers minuit ont en fait, constitué une extraordinaire soupape de sécurité pour éviter de m’enfoncer dans les sables mouvants du milieu des cours de récréation. Une forme d’évasion de ce monde où l’on ne vit que sur la certitude que le statut donné par le diplôme donne le droit de ne jamais douter. Le journalisme s’apprend c’est une certitude, mais l’obtention d’un diplôme ne vous assure ni la compréhension de l’auditoire, ni la confiance de vos pairs. Je me suis formé sur le tas… et dans l’action.

J’ai vite découvert le… lundi matin que si la moindre erreur passait inaperçue dans n’importe quel métier elle prenait vite des proportions imprévues quand elle était imprimée et donc soumise à la sagacité de lectrices ou de lecteurs vétilleux. Pire un commentaire un tantinet critique sur un acteur d’un match ou ce que l’on croyait être un bon mot décharnaient des reproches vindicatifs au sein du journal ou des personnes concernées. En fait j’ai appris le dimanche soir à ne pas être sûr de moi, d’accepter de conquérir sa place et de voir mise en cause ce que l’on croit savoir. Ecrire c’est mettre en jeu sa responsabilité !

« Tu écris comme un instit’ m’a lancé un jour un ami professionnel ! » Une synthèse de tout ce qu’il me fallait abandonner pour enfin me plonger dans la réalité du sens de l’écriture ! Cette dernière n’a d’utilité que si elle est comprise par les autres, si elle permet de bien communiquer avec les autres et si elle donne un vision aussi complète que possible de ce que les autres, forcément inconnus, attendent de l’article. Tout le contraire de ce que le système éducatif développe. On y écrit pour satisfaire un seul individu que l’on connaît et qui s’appelle le prof ! J’ai été heureux de m’en débarrasser.

Le « journalisme » laborieux du dimanche soir a amputé et a pesé sur ma vie familiale et ce que l’on appelle les loisirs mais je ne regrette rien. Il a enrichi ma vie (c’est égoïste je sais) et surtout m’a permis cette indispensable remise en cause qui me colle encore à la peau. N’est-ce pas Christian ? Désormais c’est un moment de la semaine comme les autres…

Cet article a 5 commentaires

  1. christian grené

    Cher Jean-Marie, je souscris à 200%. Quand Juliette chantait « Le hais les dimanches », je ne me rendais pas compte de la chance qui était mienne de ne pas partager cette « haine ». Pour toutes les raisons que tu indiques.
    Bonne journée à tou(te)s.

  2. Pierre LASCOURREGES

    Et que dire des dimanches après-midis au bord des terrains pour suivre les matches des séries régionales et appeler en suivant sur un téléphone fixe une sténo de presse pour lui dicter le compte-rendu du match . Ca se passait généralement dans le foyer du stade et on demandait de faire silence auprès des joueurs le temps de passer la communication au bout du fil. Et après, on pouvait boire un coup avec l’équipe victorieuse. Juste avant de filer en agence pour collecter les résultats des autres clubs. Le dimanche soir, certains joueurs ou dirigeants sonnaient à la porte qu’on leur ouvrait généreusement. On discutait avec eux. Le temps d’échanges était toujours précieux pour avoir des infos sur et autour du match. On sortait le carnet et le crayon mais aussi les bouteilles et les verres et on buvait des bons coups. Il y avait une sacrée ambiance dans les locaux du journal. Souvent tard le soir. Aujourd’hui, sur les terrains, les joueurs n’attendent plus l’édition numérisée et encore moins la sortie papier pour connaître les résultats des autres équipes de la poule. Ils s’envoient des textos….

  3. Michel Findel

    Et moi donc…..
    De bon souvenirs….
    Cette « fièvre » , cette adrénaline nous manquait quand les calendriers arrivaient à leur terme…Snif …Snif.

  4. Laure Garralaga Lataste

     » Ecrire c’est mettre en jeu sa responsabilité !  » Belle maxime que je partage ! Responsabilité de transmettre la réalité historique d’évènements… qui demandent rigueur, vérité fiable. Et cela est aussi nécessaire pour toute transmission… artistique, culturelle, historique, géographique, scientifique, sportive…

  5. MARTINE PONTOIZEAU-PUYO

    Cher JEAN MARIE.
    C’est avec plaisir que je te lis tous les jours depuis maintenant bon nombre d’années.
    si tu arrêtes, j’en serai navrée et triste.
    Hier Jean-Claude Guillebaud a mis fin à sa chronique du dimanche, et quel regret de ne plus le lire dans Sud-Ouest. La vie et Réforme je n’y suis pas abonnée.
    le vent se lève, il faut tenter de vivre

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