J’ai toujours aimé le Tour de France et je l’assume… C’est vrai que c’est « has been » d’affirmer que l’on prend du plaisir à s’installer devant un poste de télévision pour suivre une étape de la Grande Boucle. Le chic du chic tient dans une attitude méprisante ponctuée de quolibets à l’adresse de ces coureurs professionnels considérés comme tous dopés ou tricheurs… C’est exactement le même sort que celui que l’opinion réserve aux femmes et aux hommes politiques « tous pourris ». N’empêche que pour ma part je demeure un spectateur attentif de ce véritable show sportif donné sur la plus grandiose scène possible durant le mois de juillet. Et ce n’est pas nouveau… car le Tour est entré en moi depuis des décennies !
Dans mon enfance, les étranges lucarnes n’existaient pas mais ma passion naissante pour les acteurs de la « légende des cycles » ne fit que croître et embellir grâce à la voix lointaine de Georges Briquet. Je vais même ajouter que c’était encore plus merveilleux que maintenant car ses récits dignes des passages épiques de l’Iliade et l’Odyssée permettaient de laisser l’imagination gambader. Ce véritable bateleur des ondes avait rodé sa verve dans des circonstances exceptionnelles puisqu’il était sorti indemne moralement de l’enfer de Dachau grâce à un micro factice confectionné par ses camarades de déportation lui permettant de relater de fausses arrivées des étapes d’un Tour de France imaginaire. Ayant débuté avec le commentaire du…tirage de la loterie nationale il avait vraiment donné une dimension nouvelle à une épreuve sportive dont les familles allaient surtout voir massivement les flonflons de la caravane distributrice de « cadeaux » aussi précieux que des chapeaux en papier ou des échantillons. J’en étais !
Les expéditions familiales pour aller sur un bord de route étaient préparées de longue date à partir des cartes publiées par le quotidien régional. Et à l’annonce du parcours (nous avions le privilège d’être au nord des Pyrénées et d’avoir la ville étape fétiche de Bordeaux) une réunion familiale permettait d’envisager une sortie annuelle exceptionnelle. C’était rituel. Le village se concertait pour dénicher le lieu précis jugé le plus adapté à un pique-nique au moins aussi attendu qu’un festin princier. Chacun avait son itinéraire, son programme et ses intuitions ! Cette journée se préparait en effet avec autant de minutie qu’une expédition dans une terre inconnue.
Mon père utilisait l’une de ses rares journées de congé afin de nous permettre de vivre ce que nous considérions comme un privilège réservé aux heureux propriétaires que nous étions d’une « 4 chevaux » d’occasion ! Un privilège qui nous rangeait dans la catégorie des « riches ». Les bouteilles fraîches (glace récupérée à la boucherie), les tomates à la croque-sel, les fruits non aseptisés, les escouades d’œufs durs que ma mère avait préparés la veille, les boites de pâté et les tranches de jambon du cochon tué dans une froide matinée de janvier fournissaient avec le pain du « sept cents » des sandwichs dont je n’ai jamais retrouvé la saveur.
Le départ matinal ne nécessitait pas la mise en place du réveil car l’excitation était à son comble. C’était pour mon frère et moi l’occasion de partager un moment de cette « aventure » cycliste que nous ne pouvions en aucune manière parodier puisque je n’ai reçu mon premier vélo que pour faire les 12 kilomètres journaliers qui me séparaient du cours complémentaire.
Les improvisations de Georges Briquet et son talent pour décrire le contexte paysager des exploits des coureurs prenaient un autre valeur puisque cette fois nous serions justement dans l’ambiance sous la pluie battante ou sous un soleil de plomb. J’espérais secrètement avoir le temps d’apercevoir ces héros des temps modernes dont il vantait les prouesses ou les défaillances, leurs mérites ou leurs échecs, leurs rivalités ou leurs collusions. Des noms trottaient dans ma tête…et je caressais le rêve de voir une flèche blonde débutante du nom d’Anquetil émerger en tête du peloton.
En fait tout se passait en un éclair au milieu des klaxons, des motos portant des reporters en veste de cuir, des automobiles colorées et il me fallait déjà beaucoup d’imagination pour détecter le porteur du maillot jaune dans un peloton lancé à la poursuite d’échappés inconnus !
Les marchands de journaux ou de magazine postés sur la plate-forme arrière des camions énumérant dans les hauts parleurs du toit leurs promotions exceptionnelles ; les motards acrobates défendant la sûreté d’une marque de pneus ; Yvette Horner perchée sur le toit d’un véhicule guetté par mon père fan d’accordéon, les flonflons de drôles d’engins roulant identifiés à vocation publicitaire ; les chamailleries entre gamins pour récupérer un stylo Bic, un carré de chocolat Poulain, un sachet de 2 ou 3 pastilles Valda, une bouchée de « vache qui rit » ; les chapeaux de papier Cinzano ou les promotions de pichets Ricard : la caravane avait au moins autant d’attrait que le parc actuel de Disneyworld !
Il me fallait patienter car le Tour pour moi c’était sérieux avec des minutes, des secondes, des écarts, des calculs ! La caravane n’effaçait pas dans mon esprit le passage de ces augustes « coursiers » dont je ne savais pas qu’ils ne vivaient pas uniquement d’amour de leurs supportrices et d’eau fraîche fournie par leurs directeurs sportifs.
Dans le fond peu m’importe encore maintenant : je suis « croyant » et je le reste et donc je ne suis pas plus ridicule qu’un admirateur (trice) d’un chanteur monté sur scène ivre ou shooté à mort pour être à la hauteur des espoirs de ses fans. J’aime ce Tour avec ses tricheurs, ses excès, ses valeureux, ses minables, ses défaillances, ses exploitants d’exploits ou ses manœuvres peu glorieuses… car il est vraiment simplement un condensé de la vraie vie sociale à toutes les époques !
Chronique écrite en 2013
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Tout ce que tu as écrit en 2013 est toujours d’actualité.
Ce n’est pas Christian qui va dire le contraire, lui qui a eu le bonheur de vivre le Tour en côtoyant Antoine Blondin, chroniqueur du Monde, excusez du peu, lequel prenait son Ricard-croissant au petit déjeuner, comme il me l’a raconté!
Moi, j’ai le souvenir d’une étape contre la montre Bordeaux-Castillon la Bataille vers 1958 à laquelle j’ai eu la chance d’assister dans les conditions similaires aux tiennes .
Quel bonheur!
@ à Gilles
Faut-il comprendre qu’il buvait son Ricard avec un croissant ? J’ai bien compris qu’il ne s’agit pas de notre ami Christian mais d’Antoine Blondin… !
Tu as bien compris, Laure!
C’était en1957 CLM Bordeaux/Libourne avec Anquetil en jaune, la première fois que j’ai vu le tour…
Je m’intéresse modérément au tour de France, mais il a occupé ma « petite jeunesse « . Chaque soir j’écoutais les reportages et je pointais l’étape sur la carte affichée dans la cuisine-pièce à vivre, comme on le faisait pendant l’occupation, pour évaluer l’avancée des troupes alliées à l’ouest et soviétiques à l’est.
J’ai aussi beaucoup écouté Georges Briquet le dimanche après midi dans « Sports et Musique ». L’ émission était annoncée par la « Marche de Sports « chantée je crois, par André Dassary.
À partir de 1959, après le décès dans la catastrophe des Açores où périrent Marcel Cerdan et la violoniste Ginette Neveu, la Marche des Sports fut remplacée par un enregistrement de « La vie Brève » de Manuel de Falla, joué par Ginette Neveu et son frère Jean son accompagnateur, lui aussi décédé dans l’accident.
Souvenirs ! Souvenirs ! Je te garde dans mon cœur… !
Cher Jean-Marie, j’étais alors atteint du même virus que toi. J’étais suspendu à la radio au reportage de Georges Briquet qui nous faisait vivre les péripéties de la fin la course et qui nous décrivait aussi son environnement, son public, les villages et les paysages traversés. Il était assisté de Robert Chapatte qui rejoignait en moto le terme de l’étape pour rendre compte de l’arrivée des coureurs, éventuellement le sprint, et du suisse Lelio Rigassi, l’homme du chronomètre. J’allais chaque année voir le Tour passer sur les boulevards dans les derniers kilomètres avant l’arrivée au stade vélodrome de Bordeaux. L’étape revenait souvent à des hollandais. Mon plus vieux souvenir est d’avoir vu Fausto Coppi en jaune dans le peloton en 1952 près de la barrière de Toulouse. Et le soir, je ne manquais jamais d’aller avec mon père voir le spectacle du Tour dans le centre de Bordeaux, incluant des vedettes d’alors (Compagnons de la Chanson, D. Moreno, Ch. Trenet …) et surtout la projection du résumé filmé de l’étape du jour (époque d’avant la télé).
Bienvenu Michel !
Souvenirs ! Souvenirs !… Quand Georges Briquet allumait nos radios ! Facile, je sais…et combien lointain ! Mais j’ai eu l’honneur de le suivre sur les antennes de la RDF !
Homme fidèle à ce mois de février qui me vit naître le 7, puisque il est né le 5 et qu’il est mort le 8 de ce même mois… !
Holà, j’arrive! Juste devant la voiture-balai. Donc dans les délais. A propos de mon pote Antoine, avec qui j’ai partagé moult « verres de contact » – comme il disait – je ne résiste pas à vous narrer ce qu’il avait écrit dans sa chronique quotidienne pour « L’Equipe » la veille de l’étape à Saint-Emilion. Au sujet du classement général, il pronostiquait: « Peut-être demain y verra-t-on plus clair… mais rien n’est moin sûr ». Egaré dans les champs de blé, pas dans les vignes, Jacques Goddet lui avait lancé un beau jour: « Dites-moi, cher ami, vous étiez encore épris de moisson? »
Merci Jean-Marie pour ta chronique du jour. Bons baisers de l’île d’Oléron.