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Le garçon dont la vie part en fumée de Havane

Avec son visage d’ange au regard malicieux Kévin détonne parmi les habitués de la terrasse du Bistrot des Copains. Bien que désormais majeur il fait en effet figure d’adolescent égaré parmi une clientèle que l’obligation de présentation du pass sanitaire a nettement vieillie. Il s’installe avec autorité à une table avec la satisfaction évidente de celui qui a désormais pleinement le droit d’exercer sa liberté légale. Pour lui les vacances se terminent et ces premiers jours de sa majorité lui procurent un bonheur particulier. Il donne l’impression qu’il lui faut s’en persuader.

Installé face à un copain plus âgé que lui il étale une boite metallique d’où il tire un cigare (1). Son choix repose sur les gestes traditionnels des experts. Kévin le tâte, le roule légèrement, le hume et le repose. Nouvel examen attentif d’un autre en répétant le rite du grand amateur. Il revient au premier et sort la fameuse guillotine pour tronçonner de manière minutieuse une extrémité. Inévitablement l’observateur a la sensation que ce consommateur discret joue un rôle similaire à ceux des personnages emblématiques des romans ou plus sûrement des films. La scène est un peu décalée voire surréaliste.

« J’aime bien fumer un cigare » avoue-t-il sans aucune gêne. « Je trouve que c’est meilleur que les cigarettes. Je peux crapoter, arrêter, reprendre. Je ne les fume jamais d’un seul trait. Je le replace dans la boîte et je le reprends.» Tout en allumant avec toujours le même soin que pour toutes les étapes précédentes, celui qui n’aimerait certainement pas qu’on le qualifie de « gamin » s’amuse de l’intérêt qu’il suscite. La flamme du briquet passée sur la partie ouverte de son CAO Bones permet déjà de vérifier la qualité de son achat. « Je prenais un cigare plus blond de Cuba très doux mais finalement je préfère celui-ci plus noir, plus dense et plus fort. Je tire moins de bouffées » Il affiche une belle assurance, celle d’un briscard du « barreau de chaise ». Comment ne pas penser en le regardant à Gainsbourg : « Tu n’es qu’un fumeur de gitanes, je vois tes volutes bleues Me faire parfois venir les larmes aux yeux (…) ?

Lentement il aspire et expire la fumée de ce cigare et regarde se constituer la cendre serrée et solide qui se forme. Il veille à ce qu’elle ne tombe pas sur la table. Kévin parvient à maintenir un petit « boudin » grisonnant de près de deux centimètres qu’il détachera quand il estimera que son plaisir est satisfait. Tout en délicatesse, presque religieusement, la partie consumée est déposée dans l’urne du cendrier sans être abîmée. Le fumeur de ce qui n’est pas un Havane semble savourer son effet. Les regards furtifs des tables voisines ne le perturbent pas. Au contraire il profite de la situation.  Devant lui une blague à tabac et un appareil pour rouler des cigarettes extra-fines. « Le paquet me fait une semaine et je ne pense pas fumer beaucoup » ajoute-t-il devant un regard réprobateur. Il redevient « normal ».

« J’ai plein d’autres défauts dit-il. Je chasse et je pêche. J’ai mon permis depuis que j’ai seize ans. La saison dernière j’avais préparé deux cents cartouches et en définitive je me suis beaucoup promené et je n’en ai tiré que quelques dizaines… Après avoir passé l’examen j’ai choisis sur internet la commune où je voulais aller. Seuls les mineurs ont cette possibilité et la carte est gratuite mais c’est de plus en plus difficile de trouver le bon territoire. Je chasse à Bellebat en pleine campagne. Il n’y a plus rien. Plus de grives. Plus de cailles. Enfin plus d’oiseaux intéressants à chasse !r» Là encore le garçon s’applique, réfléchit, mesurant sa responsabilité avec une maturité rassurante. « Pour la pêche je vais dans un étang du coté de Faleyras. J’ai attrapé en tout et pour tout deux perches mais c’est pu important car je me détends et je coupe avec le monde ! Je garde ces activités pour ces raisons… C’est comme pour le cigare : une forme de liberté ! ».

Kevin a vite trouvé ses repères et a su se faire adopter par les plus âgés. Peu à peu il a su se fondre dans le lieu bien que souvent il s’installe seul comme s’il avait besoin de silence. La fumée de son cigare s’élève alors de la terrasse durant quelques minutes comme des signaux dont nul ne sait si ce sont des appels à la recherche d’une reconnaissance ou l’affirmation d’un mode de vie. Il vide son demi et s’éclipse aussi discrètement qu’il est arrivé avec sa part de mystère.

(1) Fumer est dangereux pour la santé 

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Cet article a 2 commentaires

  1. Laure Garralaga Lataste

    Le Gains-bar… qui fumait du havane aimait aussi téter à la bouteille… pas de vin comme toi, mais de Whisky…
    D’autre part, il est un peu Sioux avec ses volutes bleues !

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