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Franco le rameur italien de la polenta partagée

 

Le ciel a un regard noir et menaçant sur la vaste terrasse, devant la mairie de Gensac, ce village attachant perché sur un mamelon des bordures d’Entre-Deux-Mers. Les premiers convives s’installent aux tables dressées pour une soirée que les Italiens venus pour l’animer espèrent chaleureuse. Faute de température estivale, la délégation d’Invorio, cité du Piémont a emmené son chanteur de rue afin de justifier l’adage voulant que dans leur pays le soleil puisse s’installer dans les cœurs. D’ailleurs pour ouvrir son récital, Enrico a choisi « Azzuro ». Tout un symbole.

De jaune vêtus, installés dans un espace réservé à leur « cuisine » un duo de « rameurs un peu particulier, brasse une « pâte » dorée dans deux marmites aux formes originales. Claudio et Franco, tournent pour des périodes régulières, cette crème onctueuse qui prend la chaleur de récipients en cuivre. « Ils vous préparent la polenta » explique un Pepino jovial et démonstratif accueillant les curieux. L’homme polyvalent de la délégation italienne en visite chez ses amis girondins montre fièrement la cuisson de ce qui constituera le clou du dîner.

Je ne boude pas mon plaisir de devoir puiser dans mes maigres ressources dans la langue de Dante, les mots pour converser avec les cuisiniers heureux de l’intérêt que je leur porte. Rien que ce moment de partage me remplit d’aise. « Pour obtenir une belle polenta me confie Franco, dont les biceps me rappelle ceux de mon père, les proportions sont importantes. Tu dois mélanger de la farine grossière, rugueuse, progressivement sur la base d’un kilo de farine de maïs brute pour 4 litres d’eau. Tu vois dans mon « païolo » il y a au total 36 kilos de polenta et dans l’autre , Claudio en brasse 50… Au total nous en préparons 80 ! Tu auras à manger. » ajoute en riant celui dont la silhouette évoque celle du célèbre Auguste Gusteau de Ratatouille. 

Les marmites tronconiques spécialement fabriquées à cet effet ont été apportés du village où selon Pepino pour la ‘Festa dell’Uva’ (1) elles tournent en continu pour rassasier des milliers de convives installés dans les rues du village. « Elle sera servie moelleuse et chaude. Elle cuit au moins une heure et demi à feu très doux ! La polenta ne doit pas durcir et nous remuons sans arrêt autrement elle aura des grumeaux. » Franco mélange le dialecte piémontais et l’italien. J’ai bien du mal à m’y retrouver. Ca se complique quand il m’explique la composition des « ragù » qui sont en attente dans des récipients de cuisine collective. Il transmet la rame à un collègue.

« Nous servirons deux sauces. Le « ragù di salsiccia » (2) annonce le cuistot en soulevant un couvercle. Une odeur typique de la cuisine du soleil en émane. Le repas débute car c’est un régal pour l’odorat. Le soleil sort de la marmite. «  Tu mets du coulis de tomates et beaucoup d’oignons. Nous en avons pelé 32 pour cette bassine. De l’ail, du sel, du poivre et des aromates. » Franco n’est pas peu fier de son ragoût dont l’odeur mérite déjà des étoiles. Il reprend le geste n’ayant rien d’auguste, du rameur de polenta. Chacun à son rythme et sa tournure de mélange.

L’autre accompagnement mérite une explication plus complète que j’ai du mal à suivre. « le ragù di asino » (3) annonce-t-il sûr de son effet en me montrant un mélange noîratre. Que vient faire l’âne dans la cuisine piémontaise ? « C’est une légende ajoute Franco dès qu’il a obtenu l’étonnement de son interlocuteur. On raconte chez nous que des pèlerins arrivés affamés à travers les Alpes n’auraient pas trouvé de nourriture. Ils auraient alors tué leur âne et l’auraient transformé en chair à saucisse pour accompagner le peu de polenta qu’ils avaient. Ils avaient trouvé ça très bon. Les habitants ont ensuite fabriqué cette sauce avec de la viande de cheval mais là encore on a changé : nous avons mis du bœuf haché avec des oignons et du vin rouge. »

On sent chez lui une vraie fierté de chef étoilé présentant ses créations même si les siennes simples, gouteuses, entièrement confectionnés avec les produits des fermes piémontaises reflètent la pauvreté d’antan de cette région. « Dans la cuisine italienne en général on travaillait à l’origine avec ce que l’on avait produit et on achetait pas grand chose ! » Il se remet derechef au brassage de son païolo qui ne lui laisse par de moindre répit.

« Nous avons apporté un Gorgonzola comme tu n’en as jamais goûté. On le fabrique chez nous et pas ailleurs. Nous avons le vrai ! Tu sais que le village de Gorgonzola existe mais que les éleveurs n’ont pas le droit maintenant d’en fabriquer. Dans notre province nous faisons le vrai !» Effectivement le maître-queue exhibe des fromages dont ses collègues ont extrait de belles tranches qui s’abandonnent sous l’influence de la température ambiante.

Aldo respire l’Italie. Franco, sa vaillance, sa bonne humeur, son envie de partage me comblent. En quelques minutes il m’a rajeuni de quelques décennies. Avoir pu échanger avec lui me réjouit et me réchauffe le coeur. Enrico se lance en plus, dans un « sole et mio » de mes fin de repas de fête. Me voici ailleurs. C’est plus fort que moi. Le plaisir descend jusqu’aux racines !

(1) Fête du raisin

(2) sauce de saucisses

(3) sauce d’âne

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Cet article a 3 commentaires

  1. GRENE CHRISTIAN

    J’ai bien reconnu Ugo Tognazzi sur la photo et dans la description. Mais où sont passé(e)s Andrea, Marcello et Philippe, pour que je puisse commencer « La grande bouffe », invité par Marco Ferreri?

    1. Lascourrèges

      Sacré Kiki. Je te prête volontiers ma plume. Et t’adresse en passant le bonjour et ton bon souvenir de la part du patron du restaurant La Marina à Blaye.

      1. Laure Garralaga Lataste

        @ à Lascourrège
        Faut-il voir là le rappel pour bien manger ? J’arrive…

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