C’est bien connu, plus vous vieillissez et moins vous avez l’opportunité de croquer la vie à belles dents. On prétend même que mordre dans la pomme devient un luxe épisodique très laborieux nécessitant des prothèses robustes. Il faut donc souvent avoir recours à des prothèses en tous genres pour pallier le fait que la dent se déchausse sans crier gare même si elle est installée dans un palais du plus bel effet. Le temps est venu de se résoudre à fréquenter le chirurgien dentiste dont on conserve parfois des souvenirs d’enfance douloureux.
Personne ne s’installe dans une salle d’attente d’un cabinet dentaire sans une certaine appréhension. Il trotte dans la tête de tous les patients des bruits, des sensations, des ambiances ne permettant pas de se sentir serein.e. Il arrive même que l’on espère que le rendez-vous attendu depuis belle lurette soit annulé tant l’appréhension monte. Quel individu normalement constitué ne craint pas en effet de s’installer dans le fauteuil du dentiste ?
La modernité n’a pas effacé l’image de l’arracheur de dents qui distribuerait des promesses de soins non douloureux. Partant du principe que si la parole n’est que d’argent il vaut mieux se murer dans le silence et surtout ne pas ouvrir la bouche. Peine perdue puisque dès que l’éclairagiste a réglé le sunlight de la mise en scène il vous demande de l’ouvrir tout en vous condamnant à ne plus pouvoir rien dire. C’est avec inquiétude que l’on voit circuler alors devant ses yeux un ustensile crochu et une petite lune incurvée servant à la traque de la carie.
Le praticien furète dans tous les recoins pour détecter la moindre faille. Plus lointaine est le dernier examen et plus la possibilité de détecter une faille devient probable. Allongé, une lumière blanche dans les yeux et la gueule grande ouverte vous attendez le verdict ou plutôt vous le ressentez si par hasard la pointe de la sonde trouve une cavité sensible. La mauvaise nouvelle tombe. Il faudra passer à la radio pour vite déchanter : les soins sont au minimum indispensables et si la situation est désespérée il faudra passer à l’arrachage annoncée avec tact ou fatalité.
Un jet d’air froid ravive la douleur adroitement dirigé par le dentiste rappelle l’urgence de la situation. Il faut alors se rendre à l’évidence les instruments sophistiqués qui vous regarde froidement vont entrer en fonction. L’homme de l’art va alors se muer en gentil bricoleur utilisant des outils miniatures destinés à traiter le mal jusqu’à la racine. Le vrombissement atteint vite le moral de celui ou celle qui est impatient.e de le voir s’arrêter.
Muet, bouche bée de crainte, tétanisé on n’a vraiment pas envie de voir celle ou celui qui prend soin de vous ramener sa fraise. Bien au contraire chaque passage aussi bref soit-il vous conforte dans le sentiment que quoi qu’il advienne vous finirez par avoir une dent contre le praticien qui vous demande sans cesse s’il ne vous fait pas trop mal ! Il est en effet extrêmement difficile de bien vivre ces moments où, malgré toutes les précautions prises, de ne pas appréhender les aller-et-venues de ces outils précédés d’une ou plusieurs piqûres vous donnant la gueule de bois.
Le pire c’est qu’il faudra revenir car le chantier peut durer un certain temps avant d’être couronné de succès. Forée, creusée, dévitalisée, comblée, obturée la molaire retrouve vite sa sagesse tant elle a perdu le mauvais coté de sa vitalité. Une vraie satisfaction quand tout se passe bien et qu’avec une l’autosatisfaction de l’artiste ayant réussi sa prestation vote dentiste vous annonce que « c’est fini ! ». Retrouver le sourire ne dure pas longtemps surtout si les prothèses ont remplacé ont été nombreuses. En découvrant la facture vous vous dites que ce qui est dedans a parfois plus de valeur que ce qui paraît dehors. Inutile de la mettre sous l’oreiller car la « petite souris » ne passera pas vous voir.
Impossible de ne pas penser à la fameuse expression peu honorable des « sans dents » que l’on prête, selon son ex-compagne, à François Hollande. Et si c’était en effet un privilège dans la société actuelle que d’avoir peur du dentiste ? On estime que quatre Français sur dix ne vont pas régulièrement faire examiner leur dentition ce qui se traduit par des problèmes lorsque le grand âge vient. Il faudrait pourtant au moins une visite qui n’est pas obligée d’être de courtoisie afin de conserver ses 32 dents. Comme on attend toujours l’extrême limite pour se décider on perd l’habitude de faire confiance aux pratiquants du bridge où qui parfois construisent mon dentier. N’empêche que si je me mets à table je vous avouerai que je n’aime pas trop fréquenter la roulette car j’ai rarement eu de la chance…
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« La modernité n’a pas effacé l’image de l’arracheur de dents qui distribuerait des promesses de soins non douloureux. »
Ça c’est plutôt maintenant réservé à certains hommes politiques, ce qui n’engage que la crédulité de leurs auditeurs.
Un réalisme dans ce texte qui rappelle avec acuité des souvenirs à vous faire grincer des dents. On s’y croirait.
En illustration sonore, on peut toujours écouter le Blues du Dentiste, chanson de Boris Vian, interprétée avec talent et réalisme par Henri Salvador.
« J’avais bien mal aux dents
Oh !Là là »
Boris Vian et Henri Salvador… 2 salopards qui nous ont abandonnés/abandonnées pour monter au paradis dont certains/certaines doutent qu’il existe ! J’en pleure de rage…
Laure @
Je n’utilise pas l’écriture inclusive, mais je mets toujours le mot féminin en premier: certaines/ certains, ça fait plus courtois.
Tu es formidable !
Réminiscences :
1) Excellent de la part de J.J. : Boris Vian
2) Mon premier souvenir de chirurgien-dentiste : année scolaire 1945-46. Imagine les cabinets à l’époque : énorme scialytique, grosse machine (à pédales) à bras articulé suspendue au-dessus d’un fauteuil style barbier-coiffeur, la cuvette et les bruits de succion et… le premier coup de roulette après avoir farfouillé et détecté la carie, là où… ça fait mal ! Ma terreur pour des années…
3) Un dentiste (militaire) itinérant au Sahara : la fraise se déploie à partir d’une valise avec batterie… Nous préférions carrément l’extraction : piquouze, dents malade partie, et hop ! on n’en parle plus, et pas besoin de se demander quand il y aura la suite des soins…
« à pédales » = les commandes, par la motricité !!!
1945-46 ! ! ! Tu es né quand Bruno ? Ne me dis pas que tu as mon âge ! Hi ! Hi ! Hi !
Je crois me souvenir que nous sommes très proches (peut-être es-tu mon aînée de onze mois ; peut-être suis-je ton aîné d’un mois (hi ! hi ! hi ! à mon tour)
Grrrrrrrrrrrrrr! Je vais chez le dentiste depuis le mois de septembre, à raison d’un arrachage de dent toutes les trois semaines. En voici sept dehors en attendant l’appareil qui, soi-disant, va me faire un sourire que mon dentier m’enviera. Stéphane Bern et même Jean-Marc Morandini n’ont qu’à bien se tenir. En attendant de me mettre sur mon 32, je suis… sur les dents.
Je comprends que vous fassiez Grrrrrrrrrrrr, tel un chien enragé qui va mordre ! Oh, j’oubliais que vous n’avez plus qu’une dent ! La morsure sera loin d’être mortelle ! Bon courage pour la suite et n’oubliez pas le vieil adage macho réservé aux femmes : « qui aime bien châtie bien ! » Excusez-moi de prolonger la journée de la femme… Chez moi, c’est les 365 jours de l’année. Hi ! Hi ! Hi !
Souvenir de la même époque : 45/46, il fallait m’arracher une dent de lait qui s’incrustait.
J’ai fait une comédie de tous les diables , cris, coups de pied, malgré la promesse de la dentiste que « Ça n’allait pas faire mal ». J’étais terrorisé par tous ces appareils.
De retour à la maison, on m’a demandé : « Mais enfin pourquoi tu as fait une comédie pareille, la dentiste t’avait dit que ça ne ferait pas mal.
– « Oui mais je ne la croyais pas, on dit toujours menteur comme un arracheur de dents !
La chute est EXCELLENTE !