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Pastilles d’été (11) : quand je fréquentais le milieu

Les valeurs essentielles portées par la pédagogie définie par Célestin Freinet se résument en trois mots : responsabilité, autonomie, motivation… avec finalement un objectif : apprendre à apprendre ! J’avais pu bénéficier d’un peu de cette pratique considérée comme « révolutionnaire » en tant qu’élève d’André Meynier, instituteur déjà en avance mais c’est surtout au contact de son successeur Aimé Lepvraud que je m’étais forgé une conviction en faveur de cette méthode d’enseignement.

Comme elle était totalement occultée de la formation des enseignants au début des années soixante, la seule manière d’en percevoir l’intérêt et en apprendre les méthodes résidait dans l’auto-formation. Après un été consacré au service national (68) il m’a fallu volontairement consacrer une bonne part de mes vacances à des stages pratiques.

L’Éducation nationale n’envisageait même pas d’officialiser les possibilités de se former. Mon choix se porta sur un principe simple résumé dans ce que nous appelions « l’étude du milieu ». Imaginez donc un instant que, durant le mois de juillet, nous acceptions de redevenir élève et de particper à des « classes » en situation réelle pour bien assimiler l’intérêt des principes de Freinet.

Tout le groupe national coordonné par Henri Delétang (Lamothe-Beuvron) et Claude Pons (Monflanquin), instituteurs affectés sur une classe de transition, se retrouvait avec les familles sur une commune totalement inconnue. J’ai ainsi passé, avec ma tente en 1971, une bonne part de mes vacances sur le stade de… Bazas ! Ensuite les stages se déroulèrent sur les sites de villégiatures « renommés » de Monflanquin, Mirande, Pamproux, Vic-Fezensac… avec un emploi du temps guère différent de celui du reste de l’année scolaire.

Le groupe « étude du milieu » m’avait vite intégré. Tous ses membres avaient une solide pratique pédagogique et une force de conviction que je trouve rétrospectivement, exemplaires et à leur contact je vérifiais l’adéquation parfaite entre le « je dis » et « je fais ». Il nous appartenait en effet, dans un environnement inconnu, de détecter les pistes d’apprentissage et d’acquisitions de savoirs pouvant découler des spécificités locales. Partir de l’intérêt de l’enfant pour l’amener à construire un véritable stratégie de progression. A nous de le vivre pour en mesurer l’intérêt et les difficultés.

Tirer profit de fouilles « archéologiques » sur des sites gallo-romains ou d’une autre époque. Se pencher sur de vieux outils et se passionner pour des témoignages sur la vie simple de gens simples mais tellement attachants. Rencontrer des artisans, des commerçants du quotidien possédant une véritable passion pour leur métier. Animer ou participer à des rencontres avec les habitants.chacun avait sa place… Chaque pas m’enrichissait et développait ma certitude qu’enseigner ce n’était sûrement pas que transmettre du savoir mais plutôt apprendre à apprendre à tirer de son «milieu » réputé sans intérêt ce qui fait progresser et grandir.

Nous avions notre plan de travail individuel, nos moments de transmission vers les autres (conférence, journal, exposition, documents audio-visuel ou écrit…), nos échecs et nos découvertes. La pédagogie active avait un sens et une réalité. C’est probablement dans ces semaines qui amputaient les congés annuels que j’ai puisé l’essentiel de mon approche de l’action publique. Aucun cours, aucun message, aucune doctrine mais simplement la confrontation avec la réalité pour en tirer une source de progrès.

J’ai des moments exceptionnels. Dans le Gers j’ai conservé le souvenir d’une rencontre avec Gaston Larroque maire très âgé du petit village de Roquebrune. Situé sur un promontoire rocheux dominant la plaine cultivée son village dépérissait. Ce brave homme avec lequel nous devions travailler sur le dépeuplement rural ( sa commune avait perdu les deux tiers de ses habitants en un siècle) décida en concours d’entretien de nous offrir « un coup à boire » alors que nous étions plutôt au frais dans sa petite mairie.

Il se leva et tira de la vénérable armoire de son minuscule bureau une bouteille de sirop de menthe… et sortit en lançant « suivez-moi, on va chercher de l’eau fraîche ! » se dirigeant vers le puits situé sur l’esplanade autour de l’église. Il attacha un seau qu’il descendit à plus de trente mètres de profondeur pour après l’avoir remonté nous remplir nos verres. J’avais retrouvé en quelques fractions de seconde mon esprit d’enfant ravi du privilège consistant à déguster une eau avec du sirop. Un moment émouvant de simplicité et de vérité.

Dans la journée j’étais élève mais le soir au stade de Vic-Fezensac où nous étions tous installés je devenais vacanciers je découvrais le « pousse-rapière » qui émergeait tout juste et que notre hôte Pierre Dupouy confectionnait avec du vin’ »fou » et de la liqueur d’Armagnac avec de l’orange amère…L’étude du milieu nécessitait des vrais sacrifices que j’avoue n’avoir jamais ressentis.

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Cet article a 3 commentaires

  1. Bernard Gilleron

    Merci l’ami de ce témoignage sur le désir de bien enseigner commun à toute la gauche (jusqu’aux anarchistes), et fleuron de la culture française.

  2. BORTOLETTO Françoise-Micheline (dite Michou)

    Vous êtes ou plutôt vous avez été la reproduction de l’image ancienne du vieil instituteur ou de la vieille institutrice qui s’intéressait à chacun de ses élèves pour en tirer le meilleur et lui permettre si possible d’avoir un meilleur avenir…… Je ne veux pas être pessimiste ni même juger mais c’est « cette âme » qui manque de nos jours dans l’enseignement, pour quelles raisons je ne sais, peut-être parce que trop de tâches annexes grignotent leur temps……… C’est dommage pour les enfants d’aujourd’hui………

    1. J.J.

      Je pense, à mon humble avis, que c ette âme qui manque, elle ètait due à notre vie en commun, dans nos lieux de formation, où nous avons eu la chance d’être en contact avec des personnages remarquables. N’est-ce pas Jean Marie ?

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