La vision de la France qu’ont les « permanents » des grands corps d’un État centralisateur ressemble à celle que perçoi d’un myope privé de ses lunettes. Ils délimitent des zones plus ou moins prioritaires tantôt rurales, tantôt de quartiers sensibles ou de revitalisation urbaine et ils pondent des lois supposés résoudre matériellement toutes les difficultés recensées. En fait rien ne fonctionne comme les prévisions technocratiques puisqu’ils appliquent des traitements standardisés sur des maux différenciés.
Bien évidemment les solutions les plus simples reposant sur des valeurs immuables n’intéressent guère le sommet surtout si elles viennent de la base. Eux manient les ratios, les lignes budgétaires, les concepts avec aisance ce qui leur permet de réinventer la poudre de perlimpinpin à chaque changement de Ministre quitte à énoncer le contraire de ce qu’ils avaient mis en place quelques mois auparavant.
C’est ainsi que pour ces éminents penseurs appellent la « géographie prioritaire » est à revoir ce qui va donner lieu à des adaptations de formes quand par exemple en milieu rural il faut s’attaquer au fond des difficultés. Le constat effectué par un trio de chercheurs devrait pourtant inciter à une toute autre approche. Ces spécialistes ont mis en évidence que la crise dite des « gilets jaunes » était le « symptôme d’un mal-être lié en grande partie à une dégradation du contexte local plutôt qu’à des situations personnelles ». Une sensation solidaire d’abandon multiforme par une République en laquelle ils ne croient plus, a constitué le ciment à prise rapide de leur révolte.
Ils ont analysé l’ensemble des communes qui ont connu un phénomène « gilets jaunes » (regroupements sur les ronds-points, manifestations…) au début de la crise – entre novembre et décembre 2018 – en croisant cinq critères : le taux d’emploi, le poids de la fiscalité locale, les équipements privés et publics, le niveau de transactions immobilières et l’état du tissu associatif.
Pour eux ce n’est pas une situation à un instant T que les chercheurs ont voulu photographier mais plutôt une évolution, qui a conduit à un « sentiment de déclassement » des habitants « de l’endroit où ils vivent« . Cette sensation diffuse a ruisselé sur des territoire n’ayant jamais été « priorisés ».
Le contexte économique n’est pas aussi pour eux (et c’est très intéressant) la principale cause de ce mal-être alors que la taxe sur le gazole a été présentée comme la racine du mal. Le mécontentement (qui peut aussi se traduire dans le taux d’abstention) apparaît comme lié à la fermeture d’équipements publics et privés au cours des années récentes, en particulier en matière de santé ou de commerces de proximité. Le « on n’a plus rien ! » devient un motif essentiel du mécontentement quand les autres « ont tout ».
Les chercheurs on démonté que par exemple, la disparition d’une supérette a pu avoir un impact très fort dans la révolte de certain.ne.s Pour eux alors que 8% des communes ont été touchées par un événement « gilets jaunes », la proportion monte à 30% chez celles qui ont connu une fermeture d’un commerce de proximité. L’éloignement des équipements (temps de trajet nécessaire en voiture) est aussi une des sources du mécontentement. A l’inverse, l’emploi et le taux de pauvreté n’ont pas été décisifs. « Le mouvement des gilets jaunes n’était pas un mouvement de chômeurs » ont-ils analysé.
Pour ce trio il est « urgent que les politiques publiques territoriales changent d’objectif pour viser plus le bien-être et la qualité de vie ». Ce qui implique d’identifier les territoires où le malaise est le plus fort et pour ça il suffit de voir la carte des pourcentages des votes en faveur du Rassemblement national.
Comme à l’habitude on a établi des schémas, des conventions, des programmes globaux quand il aurait été absolument nécessaire de faire du sur-mesure. Le résultat est en effet catastrophique. Les « dispositifs » prioritaires territorialisés sont jugés comme étant des « trucs qui arrosent le sable ». Ils préconisent des changements radicaux de méthode de gestion et de répartition des fonds qui iraient à des projets choisis localement par les élus et la population. Ce serait une vraie révolution dans le contexte actuel de « recentralisation ». Plus généralement, la conclusion de cette étude passionnante recommande de passer « d’un Etat prescripteur à un Etat accompagnateur » partant des besoins locaux !
Allez j’ose : c’est exactement ce qu’a fait le conseil départemental de la Gironde avec la mise en place de ses contrats territoriaux travaillés au plus près ou ses contrats de villes d’équilibre qui ne tiennent pas compte de la taille de la collectivité mais du rôle qu’elle doit jouer dans la proximité.
Je soutiens dans ce cadre leurs réserves sur le dispositif des maisons France services voulues par le président de la République à l’issue du Grand Débat car elle conduit au « tout numérique » et donc à la perte de confiance. Pour ma part je préférerai donc et de loin que l’on créée sur les territoires « des espaces de sociabilité » ayant pour mission de développer et héberger « des associations créatrices de lien social » ou susceptigle de gérer directement les carences de l’Etat ! Vive l’autogestion associative citoyenne en milieu rural ou périurbain (1)
(1) Le livre « sur le partage du pouvoir local » Editions Le Bord de l’Eau propose des solutions concrètes dans cette optique
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