Toute liberté avait son prix… celui d’un solex acheté d’occasion avec l’argent de mon premier mois de travail estival. Il succéda à un vélo n’ayant rien d’un fier destrier puisque c’était celui de l’ancien grade-champêtre de Sadirac. Ma nouvelle « monture » acquise en 1962 me permit l’été suivante de faire la tournée des fêtes locales. Sans avoir de permission de sortie nocturne je pouvais me lancer dans les bals du dimanche après-midi, les pires car fréquentés à la fois par les copines émancipées mais aussi et surtout par celles qui étaient chaperonnées. Les horaires de la sortie convenaient à maman et à « fifille » ce qui réduisait grandement les opportunités de conquêtes d’un cœur encore tendre.
L’ouverture de la saison s’effectuait à la Sauve pour le week-end de Pâques. Une ambiance qui ne laissait pas prévoir un réchauffement climatique car malgré des bâches installées autour de la halle souvent frisquet traversait la piste de danse. La fin était une semaine avant la rentrée des classes le 1° octobre dans la salle de Saint Germain du Puch. Suivaient après La sauve les rendez-vous de Sadirac bourg dans la superbe salle des fêtes construite à usage populaire par André Lapaillerie (1). Je n’avais pas besoin de mon solex pour participer intensément à ces moments réels de liesse du village puisque j’étais sur place.
Sur scène l’orchestre de Paul Bistuer distillait les rythmes à la mode. Pas moins de neuf musiciens hors pair placés derrière des porte partitions en forme de… cruches attiraient une foule considérable. La rivalité entre ensembles de ce calibre était féroce. Il leur fallait impérativement suivre la mode de ces sixties durant lesquelles les « transistors » fabriquaient des slows envoûtants à la chaîne. « N’avoue jamais » de Guy Mardel rivalise avec « Aline » de Christophe et quand il faut donner un peu d’entrais à la salle l’orchestre sortait « Scandale dans la famille » de Sacha Distel ou « Le travail c’est la santé » ! Inutile de préciser que les adaptations variaient selon le talent de ceux qui étaient sur scène.
Les filles n’avaient d’yeux que pour le chanteur ou les musiciens. Assises sur un banc étroit le long de la piste de danse en bois plus ou moins disjoints elles attentaient le prince que leurs mamans jugeraient charmant, en fredonnant discrètement les paroles du tube. Alternant des séries de slows et de rocks, donnant de temps à autres dans le paso ou le tango, offrant une valse aux accompagnantes ravies de pouvoir danser avec une copine remplaçant le cavalier resté à la maison ou accoudé au comptoir, l’orchestre de service régalait les générations.
Le jeu était on ne peut plus simple pour un chercheur d’âme sœur. Il accomplissait un tour de la salle réputé champêtre surtout les jours de mauvais temps, pour un repérage des opportunités du jour. Une copine méritant un salut, une connaissance susceptible de préférer une compagnie agréable à un danseur émérite. Là où les difficultés commençaient c’est qu’en fait ces demoiselles des années 60 optaient souvent pour des garçons plus âgées qu’elles. La tâche était donc on ne peut plus ardue.
Il fallait conjointement obtenir d’un regard le consentement de la belle et surtout la main levée de celle qui s’était portée garante de sa conduite. Les yeux qui se détournaient ou se baissaient générait une certaine déception pour la première étape. La cravate constituait un atout précieux mais pas suffisant pour la seconde comme l’était une coiffure raisonnable.
Inutile d’insister après un double refus. Soit la cavalière espérée attendait un prétendant connu et attitré ou bien elle rêvait d’un parti plus digne d’elle. Il ne fallait croire que dans l’envie de ne pas faire tapisserie trop longtemps pour arracher un slow. Pour les autres danses il valait mieux être prudent… et ne pas décevoir. Si jamais on n’était pas un danseur digne de ce nom il était possible de tourner en rond avec quelques haltes à l’oasis de la buvette en raison de la chaleur étouffante régant dans la salle, si l’on avait les ressources financières le permettant. En cas de succès une approche prudente, digne, patiente de la partenaire constituait une vraie plus-value. La « notation » obtenue permettait alors de revenir avec davantage de chances de réussir. La vie. Simplement la vie !
Le retour en soirée sur mon solex pouvait être glorieux ou pitoyable ; porteur d’espoirs ou de doutes, ambitieux ou limité. Il y avait cependant le plaisir d’avoir participé à une fête où se construisait un lien social intergénérationnel. Les enfants attendaient le jour où les métiers de forains envahissaient la place et ils venaient dès que l’école de Sheila était finie recenser les opportunités que leur offriraient, les adultes savouraient la pause dans une année souvent exigeante, les plus âgées ne se privaient pas de commenter le dévergondage d’une jeunesse se trémoussant sur des rythmes endiablées d’un orchestre ne connaissant plus la musique. Les bals d’autrefois remplaçaient avantageusement Meetic !
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Fin limier !!!
C’est à la fin des orchestres qu’il y eût des bagarres dans les petits bals populaires des campagnes. Des bandes organisées venaient mettre le bordel dans ces petits bals de campagne. Ces bandes venaient elles de la ville ou plutôt de la banlieue ?