Il n’existe pas de passage entre deux mers ou entre deux océans qui ne soit pas considéré comme exigeant pour celles et ceux qui l’empruntent. Affronter des vagues inattendues, éviter des écueils menaçants, se faufiler dans des chemins étroits balisés ou connus seulement des habitués, participent de l’aventure humaine. Il y a toujours une jubilation pour l’audacieu(ce) lorsqu’il arrive au bout de ce périple incertain. La jubilation de la découverte. La jubilation d’être allé en des lieux inusités ou fréquentés par des découvreurs d’espaces plus ou moins secrets.
Sans aller jusqu’à se prendre pour un Cap-hornier le (la) « navigateur (trice) » d’Entre-Deux-Mers se procure des émotions fortes quand il met le cap sur la presqu’île girondine située entre les mascarets dodus ou puissants qui chaque jour remontent Garonne et Dordogne. Une destination dont la diversité des terres qu’elle recèle depuis ses origines, n’a d’intérêt que si on l’aborde avec une farouche envie de sortir des routes empruntées par les « paquebots » des croisières touristiques se contentant d’escales sans risques et formatées.
Rien n’est en effet ordinaire dans cet isthme girondin naturel où les « mers » changeantes au fil des saisons, des vignobles ou les ondoiements des forêts compactes de feuillus, résistent encore à l’ensemencement de l’étalement urbain. Les chemins qui sentent bon la noisette ou le chèvrefeuille existent mais sont réservés qu’aux marcheurs désireux de vivre le temps autrement que par l’exploit chronométré. En Entre-Deux-Mers la beauté des sites, des paysages et de la nature se mérite. Elle est partout, pourvu que l’on sache vraiment donner du temps au temps pour sortir des sentiers battus et rebattus des certitudes touristiques décrites de manière froide dans les guides. On ne pose pas les roues de son vélo ou les semelles de ses godasses de vrai routard sur une terre mais sur de trois terres aux particularités différentes.
Entre les deux fleuves la magnificence bordelaise est venue puiser les matériaux de son opulence architecturale dans les entrailles de la terre entre deux mers. Elle l’a vite oubliée puisqu’elle s’est attribué la douce blondeur originelle de ses pierres extraites du sol de tous les coteaux dominant la Garonne ou en puisées dans le calcaire blanc de Frontenac. La source s’est tarie au fil des siècles et ne restent que des carrières secrètes dissimulées à la tentation dangereuse d’explorations inorganisées. Les bâtisseurs ont mis dans la lumière ces calcaires rugueux aux teintes mordorées mais ils les ont oubliés depuis belle lurette.
Dans des poches d’argile bleue, grise ou ocre, des femmes et des hommes aux doigts agiles ont puisé la matière première leur permettant de joindre l’utile à l’agréable. Les potiers, les tuiliers et plus récemment les céramistes, artisans ou artistes ont procuré les richesses matérielles des tables paysannes ou celles plus spirituelles des créations colorées. Les toits savent pour celles et ceux qui n’ont pas peur de lever les yeux au ciel démontrer cette alliance des styles avec leurs tuiles humbles et les fiers épis de faîtage ! Il reste quelques « nids » pour ces gens d’une terre en mutation grâce à l’épreuve du feu.
Impossible de ne pas entreprendre le voyage au long cours entre deux mers sans se rendre compte de la variété de ses paysages et de son relief. Ici rien n’est plat ou monotone. Les cultures encore épargnées par la poussée de pavillons champignons s’emparent avec délectation de ces mamelons, de ces croupes ou de ces vallées secrètes. Pas une route ne ressemble à une autre. Toutes tracent leur chemin avec des courbes respectueuses des champs de ces vignes soigneusement peignées en été ou totalement dénudées en hiver. Le rosé monte ici facilement aux joues des amateurs de ces productions rafraichissantes. Les blancs fruités ou moelleux adorent s’inviter aux apéros où l’on évite de se prendre la tête pour sceller des amitiés durables. Quant aux rouges ils attendent que leurs amateurs perdent le sens de l’étiquette pour celui de la réalité de la simple qualité du produit. Embarquez donc avec moi quelques jours pour une croisière entre ces deux mers où l’on trouve le bonheur des découvertes hors des sentiers battus. (à suivre)
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