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Parler de fraternité : un défi moderne

En 1789 lorsque s’installe le système Républicain il faut songer à mettre en place des valeurs de référence correspondant à l’œuvre émancipatrice de la Révolution. La première référence inscrite dans les textes fondateurs est pour le moins étonnante : «  La Nation, la Loi, le Roi » qui durera tout de même presque 3 années. Après la chute de Louis XVI et la proclamation de la République, le 22 septembre 1792 le nouveau pouvoir adopte une longue évocation des principes essentiels : « Unité, indivisibilité de la République, liberté ; égalité et fraternité ou la mort ». Il faut donc savoir que l’on attribue à tort à cette période agité de l’Histoire française le fameux triptyque qui figure (de moins en moins) sur la façade des édifices publics. Ce n’est en fait après bien des omissions volontaires qu’en 1848 viendra la simplification avec « liberté, égalité, fraternité »… mais de manière provisoire puisque le second Empire s’empressa de l’oublier !

Lors d’une soirée spécialement organisée par le Comité paroissial du Créonnais, une rencontre était proposée sur le thème : « ose la Fraternité ! ». Invité à donner ma définition « laïque » de ce pan capital de la vie sociale organisée, j’ai insisté sur l’utilisation du verbe « oser » alors que par essence la fraternité devrait être naturelle et spontanée. Signe d’une époque puisque si les deux premiers repères républicains paraissent « évidents » le troisième nécessiterait des efforts particuliers ! Il est aisé de le constater au quotidien. Même si « frère » devient un vocable sur-utilisé dans certains milieux où la misère culturelle et sociale règne, il faut bien avouer que rien n’incite à l’optimisme dans la période actuelle.

Si la liberté est codifiée et encadrée dans les textes réglant la vie démocratique, les contraintes légales en matière d’égalité sont déjà beaucoup plus lâches. Il est aussi exact que nul ne sait vraiment comment développer et faire vivre la fraternité, idée abstraite et strictement personnelle. On a même bien du mal à la dissocier de la solidarité très présente institutionnellement. Selon Albert Jacquard « la fraternité a pour résultat de diminuer les inégalités tout en préservant ce qui est précieux dans la différence » et donc il s’agit surtout une affaire de tolérance, de respect et de volonté de partager humainement les liens essentiels qui dépassent tous les clivages artificiels !

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité » : tel est le contenu de l’article 1 de la déclaration universelle des Droits de l’Homme bien oublié en ce monde. L’application nécessite pourtant de plus en plus d’efforts tellement l’égoïsme, l’indifférence, la concurrence, le communautarisme, le profit ou l’exclusion ravagent les consciences et les valeurs. Etre fratenel n’est plus d’actualité dans bien des pays tellement le repli sur soi, la peur simple de ne pas accepter l’autre avec des habitudes de vie, une culture, une langue, une couleur de peau différentes percole dans une société recroquevillée sur ses certitudes.

La mise en œuvre laïque de la fraternité existe. Elle est portée par notamment par les franc-maçonnerie qui en fait le principe essentiel de sa vie commune. « Vous cultiverez l’amour fraternel qui est la base, la pierre angulaire, le ciment et la gloire de notre confrérie » tel est l’une des bases qui sert aux relations internes mais qui parfois n’est pas forcément appliquée à l’extérieur. Or la franc-maçonnerie sincère, loyale, intégre vient par exemple d’être mise au ban par l’extrême-droite italienne comme toutes les institutions fraternelles s’aoccuapnt des migrants. La main tendue, la compréhension réciproque, le partage des différences appartiennent aux convictions rares de la vie sociale et elles n’ont plus le modernisme voulu. La fraternité demande une prise de conscience, un effort individuel, un dépasement de soi qui n’ont plus la côte.

Le débat donc a mis en évidence un basculement vers la « solidarité » de cette notion de fraternité véritablement humaniste. Elle n’est plus dans l’air du temps car trop exigeante. Elle devient même condamnée et condamnable quand on enfreint des lois pourtant républicaines sur le soutien aux autres venus d’ailleurs. On les laisse mourir au prétexte que notre fraternité, pourtant inscrite dans nos textes fondateurs, nous causerait des problèmes économiques majeurs. Tout est désormais prétexte pour revendiquer la liberté, l’égalité mais jamais pour faire du troisième volet une valeur fondatrice du vivre ensemble. Le mot est tabou.

On n’a plus vraiment de « frères » mais des « compagnons », des « camarades », des « copains », des « potes » et même des « amis » virtuels sur les réseaux sociaux qui ne génèrent pas une vraie « dimension affective d’une relation humaine universelle » d’appartenance à l’Humanité. Il est possible d’être sélectivement et matériellement solidaire sans jamais être fraternel dans son approche. La laïcité devient le seul refuge pour entretenir la flamme fraternelle qui rassemble au lieu de diviser. Comme l’a fort bien résumé Pierre Gachet, le maire de Créon présent parmi la cinquantaine de personnes présentes : « la fraternité c’est aimons nous les uns, les autres. la solidarité c’est aidons nous les uns les autres ! ». Il est certain qu’aider donne bonne conscience mais aimer demande beaucoup plus d’efforts.

Ce champ est nécessaire.

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