La neige appartient aux paysages canadiens. Elle s’invite, s’étale, se pavane, se prélasse, s’envole, s’insinue ou s’entasse pour devenir insupportable au point que plus personne ici ne lui reconnaît la splendeur qu’on lui prête ailleurs. Quand des cieux gris tombent interminablement des plumes légères ou des dards agressifs le pays se résigne à se plier aux exigences de cette envahisseuse impitoyable. Des ourlets d’hermine déposés à la hâte par des machines pressées bordent les routes ou les rues les moins fréquentées. Des monticules plus ou moins souillés attendront que le soleil les dissolve sur des parkings ayant perdu de leur noirceur. Les chasseurs de blanche neige soulèvent des gerbes de poudreuse ou des blocs verglacés qu’ils expédient sans ménagement sur les bas-côtés. La neige insupporte.
Sus à cette ennemie de la vie collective qui n’a que les jardins, les toits, les pelouses ou les champs pour étaler sa robe de mariée récente avec le bonhomme hiver ! Les dessous ne sont guère reluisants tant ils témoignent de la négligence des hommes pour leur environnement. Durant quelques temps ils seront embellis par cette opportune couche d’or blanc transformant le réel en un monde idéal car dissimulateur de toutes ses imperfections. Les apparences attirent. D’ailleurs il existe un vrai plaisir à fouler ces étendues vierges dans lesquelles les pas du profanateur font craquer de douleur les fragiles cristaux accumulés sous l’effet du vent mauvais et du hasard de leur venue sur terre. Il y a une certaine jubilation à cet acte destructeur de la perfection naturelle même si l’on sait comme sur le sable des plages la prochaine « marée » céleste effacera les traces du crime de lèse immaculée conception.
La délicatesse de son installation lui permet de s’amouracher de la moindre brindille, du plus petit filament, du moindre interstice, de tous les creux douillets des arbres sur lequel le flocon s’offre une brève rencontre et l’ivresse d’une vie plus longue que celle octroyée à ses copains qui viennent du ciel pour mourir sur terre ! Triste sort que celui de prendre sur le dos les derniers arrivants mais dans le fond c’est la rançon de toute œuvre collective destinée à éclairer le quotidien des hommes. Le résultat de cette transformation mérite en effet ce sacrifice. La douceur, la légèreté, la finesse de l’œuvre finale dépend en effet de la délicatesse avec lequel la nature va passer le pinceau sur la toile de la ville. Une œuvre impressionniste aux contours changeant et aux humeurs vagabondes selon les courants d’air se fait et se défait sous les yeux du spectateur patient.
Il n’y a pas en effet un blanc mais des blancs comme neige. Brillant sous l’effet conjugué de la température glaciale et d’un rayon de soleil. Terni par un avatar imprévu dû au mélange des genres. Mat quand la couche est récemment posée. Légèrement bleuté lorsque la lumière s’y perd entre les cristaux. Souillé par le passage dévastateur des engins irrespectueux. Le blanc de blanc a toutes les nuances pour l’observateur (trice) attentif (tive) mais rien n’est pire pour lui que ce basculement vers une soupe maronnasse répandu sur les grands axes routiers ou vers un mélange douteux avec la calcite salvatrice des automobilistes pressés. Pas de pitié pour ce qui constitue le plus élégant événement climatique. La neige altière et immatérielle ne mérite pas pareils traitements qui lui ôtent sa magie.
La reine de l’hiver canadien souvent tyrannique et imprévisible, assoit sa domination éphémère sur les réalisations humaines grâce à sa folle précipitation à venir y mourir. Elle sait pourtant que la révolution se prépare avec le réchauffement planétaire et qu’un jour viendra où elle ne sera plus qu’un épiphénomène climatique pour statisticien météorologue. Victime du tout puissant roi Soleil elle ne rivalisera pas avec lui très longtemps même elle tentera par sa masse de tenir tête aux injonctions chaleureuses qui lui seront faites. . En attendant c’est un privilège que d’être l’invité de la cour de la dame blanche devenue tellement rare en nos contrées européennes réputées tempérées. Sa collection d’hiver faite de dentelles précieuses, de fourrure soyeuse, de pierres de glace translucide, de textures extravagantes, de voiles vaporeux réjouit celui qui ne la subit pas tous les jours. Quant aux autres qu’elle n’étonne plus ils patientent en regardant sur l’écran noir de leurs nuits blanches un film où le printemps redonne des couleurs à leur vie.
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quel beau texte! merci
Très beau, ce texte, qui nous fait découvrir des horizons insoupçonnés, dans nos contrées, mais pourquoi le « technocratiser » avec cet affreuse écriture soit disant inclusive :
« Le blanc de blanc a toutes les nuances pour l’observateur (trice) attentif (tive) mais mais rien n’est pire pour « »lui » »…(le masculin revient à grands pas )
« Le blanc de blanc a toutes les nuances pour l’observatrice et l’observateur attentifs, mais rien n’est pire pour « eux »… »
Ça fait quelques caractères de plus, mais n’est-ce pas plus élégant ?
Je te prie de m’excuser pour ce qui semble être une critique, mais qui n’est qu’une remarque personnelle, à propos de cette écriture soi disant inclusive, qui recèle une concession étriquée au féminisme en de violentes parenthèses, et rend un texte parfaitement illisible à haute voix.
C’est du machisme déguisé : le nom masculin est toujours écrit le premier, ce qui est un accroc à la galanterie et à la politesse, qui voudraient que l’on fit passer les dames d’abord.
On concède au féminin un petit bout entre parenthèses, comme si on avait honte.
C’est une ignorance des origines de notre langue que de raisonner ainsi : ce que d’aucuns prennent pour un masculin n’est que le souvenir du neutre latin, qui existe toujours dans beaucoup de langues.
Lorsque je dis : Il pleut, « IL » est il masculin ?
En anglais, it rains : it, pronom neutre.
Or c’est le féminin qui exclut.
Lorsque je dis « les étudiants », cela comprend les garçons et les filles.
Lorsque je dis « les étudiantes », cela exclut les garçons !
Je considère, mais c’est une opinion personnelle, que cette écriture dite inclusive est un « pavé de l’ours ».
Aucun texte officiel n’a proclamé que le masculin « l’emporte sur le féminin ».
Je trouve par contre que l’accord de proximité a un certain charme.
Bonjour Jean-Marie,
Donc séjour au pays de la Reine des Neiges.
Pays mieux préparé que le nôtre pour l’affronter.
Ici elle arrive, petit à petit, précédée d’une tempête atlantique qui a fait quelques dégâts sur la côte de la Grande Aquitaine.
Tu as écrit un très beau texte, j’aime beaucoup.
par contre je n’aime pas cette écriture inclusive.
Quant on voit tous les gens qui ne savent pas écrire, qui font des fautes tous les trois mots, penses un peu avec l’écriture inclusive ! même les nouveaux « professeurs des écoles » ne sont pas capables de bien maîtriser notre langue ! et pourtant l’E.N. les recrute. Un comble.
Bon séjour, ne ramène pas de neige fondue, tu en trouveras peut être ici de la fraîche.