Que serait actuellement la ville d’Amsterdam sans ses grandes « vedettes » qui remplissent quotidiennement les lieux dans lesquels ils montrent leur talent ? Elle serait, c’est une certitude, malgré la qualité de son architecture, de ses canaux, de sa permissivité morale rassurante, bien moins fréquentée. Tout les oppose, à un siècle d’écart, mais dans le fond ils ont au moins en commun d’avoir eu un destin posthume qui a fait la fortune de leurs descendants mais par nécessairement la leur. Pour des raisons certes différentes ces « stars » ont en effet terminé dans une véritable précarité sociale et financière alors que maintenant des centaines de milliers de « fans » se pressent aux guichets pour les contempler dans leurs œuvres. Amsterdam tire en effet grand profit de la créativité de Rembrandt Van Rijn et de Vincent van Gogh, deux peintres qu’un siècle sépare mais que désormais la notoriété réunit. On leur a même construit de splendides « maisons » où tous deux revivent au milieu d’inspirateurs tout aussi célèbres qu’eux et où on se bouscule silencieusement pour découvrir les secrets de l’art qui dans le fond les a déifiés : la peinture !
Ces deux destins complexes et passionnés confortent le visiteur qui prend son temps lorsqu’on en découvre les secrets, que la création reste la valeur la plus sûre pour transgresser les préjugés dont souffre notre monde. Bizarrement leurs toiles portent en effet sous des formes un principe commun : celui de la recherche de la lumière. Celle que Rembrandt maîtrise avec une sublime perfection dans l’ordonnancement de ses scènes et celle que van Gogh laisse exploser dans ses visions longtemps considérées comme pures folies. Cette lumière qui les obsède, le premier la met au service d’un message sophistiqué à transmettre par une œuvre quand le second la laisse éclabousser une réalité qui n’a jamais été autre que la sienne. L’un a peint pour les autres sur commande sans renoncer à la finesse de sa technique et l’autre se lance dans le vide de l’innovation sans avoir la moindre assurance sur l’avenir de son œuvre. Rembrandt s’empare de la lumière quand van Gogh la laisse jiallir comme une source; En fait ils illuminent chacun autrement les scènes ou les objets pour leur donner vie.
Il faut par exemple bien du temps pour entrer dans toutes le subtilités de « la ronde de nuit ». Il y avait, bien avant l’heure un authentique metteur en scène de cinéma dans l’esprit de Rembrandt. Choix de l’angle, réglage diaboliquement précis de l’éclairage, synergie entre les personnages tous figés dans des postures méticuleusement révélatrice de leur rôle social, qualité des costumes, symbole des gestes : on retrouve deux siècles avant leur invention réelle, les techniques fondatrices d’un cinéma construit. Le clair-obscur de Rembrandt se retrouve dans un film comme « Casablanca ». Ce n’est donc pas pour rien que dans la grande salle de l’Hermitage où les immenses tableaux représentent des gens se pensant importants car vêtus du noir de la rigueur morale durant l’âge d’or néerlandais, une animation permet de générer des mouvements à certains visages ou à certaines postures. Les terribles œuvres sur les leçons d’anatomie données par les docteurs Tulp ou Deyman appartiennent à l’inverse à la veine d’un réalisme saisissant où il s’agit pour Rembrandt de figer par un instantané un événement pourtant durable dans le temps. Il parvient à persuader l’observateur attentif qu’il a inventé le gros plan quand on observe le soin apporté aux détails des corps, des objets ou des vêtements.
Van Gogh est animé, à ses débuts, de cette même envie de saisir sans le figer le moment précis où la vie s’arrête mais il abandonne après de multiples tentatives dont celle des « mangeurs de pommes de terre » révélatrice des tâtonnements d’un artiste peu à l’aise dans la « photographie ». Il va vite préférer une impression fugitive à un événement pour déconstruire justement tous les repères antérieurs. Si lumière est omniprésente elle s’impose d’elle-même sans être orientée pour un objectif particulier. Le « vase aux tournesols », les « champs de blé aux corbeaux », les « amandiers en fleurs » ou les « iris » laissent exploser leur luminosité comme s’ils étaient surexposés. En allant à Arles ou à Saint Rémy de Provence, celui qui comme Rembrandt (étrange similitude) signait seulement de son prénom, recherchait probablement encore plus de ce soleil que les gens d’Amsterdam ont peut-être dans leur cœur mais qui manque à ceux qui aspire à la chaleur des couleurs et des lieux. Tous les toiles exposées sur les cimaises du musée sont devenues des chefs-d’œuvre reconnus post-mortem quand son prédécesseur avait connu la gloire de son vivant. La lumière de la notoriété les rassemble désormais.
Est-ce justement par souci de laisser une trace de sa célébrité que Rembrandt Van Rijn a réalisé autant d’auto-portraits ? Est-ce par simple impossibilité de faire autrement que Vincent Willem van Gogh en a produit autant ? En tous cas tous deux s’exposent dans des styles différents puisque l’un a la prestance dans la réussite quand l’autre porte dans le regard la misère de l’échec. Amsterdam les a réunis à distance pour sa plus grande gloire… et surtout pour le plus grand plaisir du visiteur qui sort enrichi culturellement de ces visites.
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Le problème est le côté castrateur de l’artiste. Le contre-poison à mon avis serait de montrer des »croûtes » qu’ ils ont réalisées, il y en a pas mal, et stupidement très »cotées ». En cela chacun pourrait mieux sentir leur côté humain et, enrichi raisonnablement de leurs recherches, s’ ouvrir personnellement à un art moins contemplatif. Nous sommes tous des artistes!