Ils sont les témoins muets depuis parfois plusieurs siècles de la vie des hommes ainsi que de celle d’une planète dont ils constatent l’évolution climatique. Immobiles, ancrés dans une terre ocre, aride et de plus en plus dénudée ils laissent défiler les saisons pour offrir le moment venu, les fruits de leurs efforts à des ingrats qui les oublient souvent tout le reste de l’année. Plantés pour les générations futures, par des mains anonymes mais pleines d’espoir, les oliviers siciliens reflètent cette culture d’un île où la facilité n’existe pas. Rien ne leur est épargné… mais ils tiennent bon, isolés ou en bandes organisées, accrochés à des pans de montagne, à des fissures dans la rocaille ou à des terres battues par les éléments.
Les troncs des plus anciens de ces arbres particuliers portent les stigmates d’une vie tourmentée. Blessures profondes causées par des exploitants maladroits, déformations multiples des « pieds », racines entremêlées sans protection de leur sol nourricier, nécroses importantes créant des cavités vite récupérées par des occupants plus ou moins malveillants, « bras » torsadés ou torturés : pas une base d’olivier ne ressemble à une autre. Beaucoup d’entre eux traduisent une souffrance indicible comme s’il avait été au bout de leurs forces pour rester en vie dans un environnement hostile. Il arrive même que leur « corps » trahissent des stigmates d’insupportables tortures.
Essoufflés, épuisés, déshydratés ces oliviers séculaires résistent, survivent plus qu’ils ne vivent. Ils mettent un point d’honneur à ne pas céder face à l’adversité et chaque année ils produisent des poignées d’olives sans aucun rapport avec leur rendement antérieur. Peu importe d’ailleurs car il ne viendrait à personne l’idée de les euthanasier car en Sicile on a le respect des anciens chevillé au corps ! Alors bizarrement ils deviennent des vedettes dans les cours intérieures des palais ou près des monuments souvent aussi âgés qu’eux.
On les regarde avec admiration. On distribue une caresse amicale à leur écorce crevassée ou meurtrie. On les enlace afin de réaliser un cliché surprenant. On tente bêtement de graver pour une éternité improbable des initiales amoureuses. Les ignorants ne leur épargne pas grand chose et s’en servent de dépotoirs. Ces oliviers, symboles de la paix à laquelle aspire vainement le monde depuis des siècles, ressemblent étrangement à de vieux soldats porteurs de blessures de leur guerre contre le temps. Ils tentent de maintenir un idéal sur une île réputée pour la violence. Les amandiers, souvent compagnons de route de ces monuments végétaux, partagent souvent avec eux la rudesse de leur existence. Ils tiendront bon jusqu’au jour où une colombe viendra se saisir de l’un de leur rameau brisé pour l’apporter aux hommes de bonne volonté.
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Magnifique texte , merci.
Belle ode à ces arbres magnifiques, Jean-Marie !
Ah! Les oliviers ! Pour moi, encore une allusion à Andrea Camilleri. Il en parle si bien, lui aussi.
Dans ses premiers romans, le commissaire Montalbano a une relation privilégiée avec un olivier. Il me semble que c’est un olivier »sarrasin ». Lorsque quelque chose le tracasse, il va s’ asseoir au pied de cet ami muet pour réfléchir.
Un jour, il trouve son olivier arraché par des entrepreneurs iconoclastes, et sa vengeance secrète est terrible, à la mesure du préjudice….