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Les aimants touristiques de Vérone

En apparaissant à un balcon, le général de Gaulle pouvait mettre toute une foule en transe. De son « je vous ai compris » à son mémorable « vive le Québec libre » il a utilisé la position dominante procurée par cette avancée architecturale pour asseoir son autorité sur un peuple ou un monde en mal de repères. En Italie il n’y a guère que celui du Vatican qui supplante le modeste lieu où des millions de « Juliette » passent pour impressionner leur Roméo ému de se retrouver aux pieds de leur dulcinée perchée au-dessous d’eux. Dans une cour intérieure enchâssée entre des immeubles altiers un balcon entièrement faux spécialement aménagé en 1905, attend depuis des siècles que se scellent, sous son égide, des histoires d’amours possibles. Figée dans le bronze pour l’éternité Guilietta digne et humble, a pris place dans cette mise en scène de ce qui aurait été le berceau d’une idylle impossible. En fait la croyance a remplacé la vérité historique puisque jamais le sanctuaire où s’exerce la passion amoureuse n’a eu une véritable existence. Il a fallu que Shakespeare s’empare d’un conte italien pour que la légende entre dans l’imaginaire collectif. Guilietta et Romeo sont ainsi devenus les héros malheureux d’une querelle familiale désastreuse au même titre que Tristan et Iseult ou Paul et VIrginie qui eux n’ont jamais eu de balcon reconstitué pour durer… dans l’imaginaire populaire.
Comment ne pas penser à cette scène bien plus émouvante de Savinien Cyrano de Bergerac tapi dans l’ombre pour souffler les vers de la passion à Christian ? Passion pour passion celle du bretteur au cœur tendre vaut toutes les autres. Roxane n’a rien à envier à Juliette alors que Cyrano ne peut espérer jouer les Roméo autrement que par ses talents poétiques. Le balcon des soupirs a bien plus de profondeur chez Rostand que chez Shakespeare. Le sens des affaires italien en a décidé autrement ! On vénère à Vérone les amants maudits et on rejette les amoureux transis. On vend de l’espoir et de l’émotion comme les mélodrames l’ont fait en d’autres lieux.
La noria ininterrompue des visiteurs en quête de générer ou régénérer un amour immortel ne cesse de tourner pour approvisionner dans une cour de cinéma la pompe à fric. Le romantisme continue de payer dans une société consumériste dans ce domaine des sentiments comme dans tous les autres. Inutile d’espérer vivre à Vérone dans la casa de Guilietta une passion style « Intimité » où « Nous deux  » car il faut jouer des coudes pour ramener le selfie qui prend des allures de serment éternel où se faufiler pour saisir la copine montée au balcon moyennant un droit d’entrée dans le décor. On patiente pour enlacer la statue froide de Juliette quand on est un homme ou pour prendre son sein droit dans la main quand on est une femme avide de fécondité et de sérénité amoureuse.
Le nombre des visiteurs ne cesse de croître et le pourcentage de « cocus » putatifs qui se montrent au balcon suit la même courbe. La cour intérieure de la rue Capello ne désemplit pas. Les fétichistes de l’amour se pressent par grappes et s’empressent dès l’ouverture à saisir une dose de drame romantique dont souvent ils ignorent l’origine. Tard dans la nuit des couples de tous âges jettent un regard déçu à travers la grille fermant l’accès du sanctuaire de la tragédie comme s’ils avaient peur de ne pas résister au temps. On vient de très loin pour laisser une trace sur des murs couverts de serments anciens comme autant d’ex-voto effacés par la vague des nouveaux. Les regards brillent d’émotion sans que l’on puisse préjuger de la sincérité des étreintes.
Les balcons pullulent dans Vérone comme s’il en fallait un pour conjurer le mauvais sort. Fleuris avec soins, garnis de plantes grimpantes luxuriantes, bordés de fer forgé compliqué, dénudés à l’extrême ou oubliés sous les mousses ils colportent l’idée que les rêves amoureux transitent par ces espaces visibles de tous. Aucun d’eux ne vend du rêve. Aucun d’eux ne passionne les passants. Aucun d’eux n’appartient à la légende tragique des Montaigut et des Capulet. N’empêche que le nez vers le septième ciel on devient finalement amoureux de Vérone car le charme y est partout. La vraie magie est là dans cette irrésistible attirance que l’on éprouve pour une ville envoûtante, douce, fine, vivante, passionnée et passionnante.

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Cet article a 6 commentaires

  1. bernadette

    La Ville et sa politique c’est d’une complexite aigue parce Que nombre d’elus ont perdu le sens logique de leur territoire. Le territoire c’est
    eux, tout seuls et leurs
    copains et copines.

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