Il existe des mots qui envahissent les oreilles sans qu’ils soient vraiment compris par celles et ceux qui les reçoivent. Durant des décennies la hantise quotidienne était « l’inflation » monstre susceptible de dévorer le pouvoir d’achat de la monnaie ou de mettre en péril les équilibres financiers par une augmentation constante des prix. La parution mensuelle de l’indice INSEE (hors tabac) était attendue, dans certaines périodes avec angoisse. Elle a atteint des records après les 2 guerres avec 58,7 % en 1948 ; 52,6 % en 1946 ; 49,2 % en 1947 et 48,5 % en 1946. Dans la période plus récente on trouve des niveaux supérieurs à 13 % en 1974 puis de 81 à 84 ! La bagarre sociale tournait alors sur l’indexation des salaires sur ces taux faramineux. Depuis plusieurs années on dépasse rarement 2 points et bizarrement depuis quelques mois un nouveau mot apparaît dans les médias celui de « déflation »… qui est encore plus dangereuse que « l’inflation » sans que personne ne sache vraiment pourquoi parmi les lecteurs, les auditeurs ou les téléspectateurs qui s’intéressent fort peu à l’économie dans notre pays.
La menace est en effet bien présente surtout pour le début 2015 ! La France s’enfonce dans une spirale déflationniste alors que les industriels cassent les prix pour garder leurs parts de marché, intensifiant ainsi la pression sur la Banque centrale européenne (BCE) pour qu’elle engage des mesures drastiques avant qu’il ne soit trop tard. L’inquiétude a gagné les spécialistes avec la publication des derniers chiffres de l’Insee qui constate « une inflation négative, une première depuis l’invention des statistiques modernes ». En effet, cette tendance « va bien au-delà de la chute des prix du pétrole et constitue la preuve évidente que la seconde économie de la zone euro est en train de succomber à des forces déflationnistes ».
L’ensemble des données européennes montrent que les prix chutent depuis avril dernier en Allemagne, en France, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, en Belgique, au Portugal, en Grèce et dans les pays baltes, ce qui alimente « la bataille au sein de la BCE entre les faucons allemands qui martèlent que les politiques monétaires d’assouplissement ne fonctionnent pas » et Mario Draghi qui semble prêt à faire fonctionner la planche à billets pour créer de l’inflation. Difficile de comprendre ces mécanismes totalement abstraits mais ayant pourtant une forte influence que le quotidien des consommateurs. Et pourtant la déflation améliore aussi leur pouvoir d’achat. Disons simplement la déflation est aussi le gain du pouvoir d’achat de la monnaie grâce à une diminution générale et durable des prix. C’est en fait une forme d’inflation négative. On ne doit confondre avec la « désinflation » qui est la baisse de l’inflation (baisse du taux d’accroissement du niveau moyen des prix).
Le spectre de la période de déflation générale plane sur l’Europe et celle à laquelle on fait le plus souvent référence reste la « Grande Dépression » des années 1930 après l’effondrement des actifs boursiers en 1929. Cette déflation a été généralement expliquée par la contraction monétaire due à la grave crise économique et la contraction de la dette. Entre fin 1929 et mars 1933 les prix avaient baissé de 27 % aux USA. Ce net recul accompagnait un effondrement de la demande et de l’activité. L’emploi baissa de…16 % en trois ans et l’ensemble des salaires versés subit un recul de plus de 40 %, créant dans le pays une situation sociale dramatique. Or même si la « dépression en vue » n’atteint pas de telles profondeurs elle pourrait provoquer en cette période d’extrême fragilité une terrible crise européenne et faire exploser socialement bien des pays. Il faut se rappeler ce qui est arrivé en Allemagne en 1934 ! Les conditions sont réunies pour que nous prenions le même chemin.
La Grèce est au plus mal politiquement. L’Espagne cherche à se rassurer et son Ministre des finances fait des déclarations relevant de la méthode Coué. En Italie ce n’est pas terrible et sa plonge aussi. Les prix baissent partout et après le boom de la consommation en Décembre janvier et février 2015 risque d’être catastrophiques !
Alors qu’ils sont au bord de ce gouffre déflationniste, les gouvernements sont comme paralysés. La BCE est mal à l’aise car elle est divisée sur la réponse à apporter à cette nouvelle menace. Son président, Mario Draghi, a alerté tout le monde sur le fait que la Banque centrale ne pourrait à elle seule relancer la… demande et que les États membres devaient y contribuer, y compris sur le plan budgétaire.Difficile avec les restrictions drastiques imposées par la commission européenne et même contradictoires avec les consignes de cette dernière. Mais jusqu’ici, les réactions sont faibles car les politiques budgétaires restent relativement contraignantes, même si elles ne sont plus aussi restrictives que ces dernières années. On sent une très légère inflexion de l’austérité. Les outils ne sont clairement pas adaptés à la situation. Ni la BCE ni les gouvernements de la zone euro ne prennent assez d’assurance pour enrayer le risque de déflation. On va donc invoquer chaque jour maintenant le retour du veau d’or de l’inflation qui fut l’ennemi de hier. !
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