Christian Frémont : les mots mis au service de valeurs

Il existe des moments douloureux en été… On a tendance à croire justement que cette saison épargne ce qui rend triste ou même effondré. L’ambiance générale ne se prête pas en effet à la morosité et les sanglots longs doivent encore attendre l’automne. Pourtant depuis 4 ans que j’ai le plaisir d’assurer avec autant de sérieux que possible le suivi de la gestion des affaires courantes au sein du conseil général de la Gironde en l’absence légitime du président je constate que les événements du quotidien se moquent pas mal des considérations estivales sur l’insouciance. Le gigantesque incendie de Lacanau en 2012, le terrible orage de grêle en 2013 et cette année le déluge qui s’est abattu sur les communes riveraines de la Garonne au sud de Bordeaux ont tendance à me faire penser que j’ai le « mauvais œil ». Il s’y ajoute les décès de personnalités ayant évolué dans la proximité de l’assemblée départementale… et cette année en une seule semaine ce sont deux d’entre elles qui disparaissent. Me voici confronté une nouvelle fois à une approche de la mort dont celle de l’ancien Préfet Christian Frémont, serviteur au sens noble de ce terme, de la République plus que de l’Etat, ce qui dans mon esprit n’est pas tout à fait la même vision du rôle de ces fonctionnaires.
Sans avoir eu le privilège de le côtoyer de manière suivie et au moment où les hommages officiels et structurés vont se succéder je préfère, justement parce que nous sommes en été et que la légèreté de l’air et de l’être existe, une approche beaucoup plus humaine, sûrement futile, de cet homme tolérant, brillant et surtout amateur rigoureux de mots choisis et justes. Ce sera mon hommage humain à celui qui était en fait essentiellement un grand lettré humaniste.
Respectueux des consignes gouvernementales il a l’obligation de vanter en 2004 la politique de lutte contre la délinquance d’un certain Nicolas Sarkozy en pleine ascension. Le Ministre de l’Intérieur est son patron direct. Il lui appartient donc de présenter la circulaire de janvier 2004 qui doit accentuer la « méthode Sarkozy » et notamment la circulaire du 18 décembre 2002 régissant la communication mensuelle en matière de délinquance et d’activité des services. « Nous continuerons de rendre publics chaque mois les résultats obtenus. Sans préjudice des nouvelles obligations introduites en la matière par le Parlement dans le projet de loi relatif à la lutte contre la criminalité, vous vous assurerez que les élus locaux, au premier rang desquels les maires, reçoivent bien les informations prévues par le décret du 17 juillet 2002 » explique après les propos liminaires de Christian Frémont le colonel de Gendarmerie sérieux comme un militaire au garde-à-vous ! Tous les maires (dont moi) de l’arrondissement sont présents et il faut bien avouer qu’ils sont venus par estime pour le Préfet mais ne sont guère dupes de cet exercice imposé ! Leur hôte ne paraît guère passionné par l’enjeu de cet acte de communication car il en connaît les limites « politiques&nbsp. D’ailleurs dès que son voisin de table a terminé son propos il donne la parole à la salle.
La première fusée vient du Maire de Lacanau qui s’étonne de la multiplication des contrôles d’alcoolémie au cours des chaudes nuits « chaudes » que connaît sa ville en été. Un contentieux que le Préfet règle clairement, nettement, fermement car pour lui il n’est pas question de transiger avec ces opérations qu’il assume. Le regard est dur et sans équivoque : il ne cédera sûrement pas sur le sujet ! On tourne la page avec d’autres questions subalternes car le coup de semonce a été sévère. Jacques Maugein vieux routier la gestion communale prend alors le relais.
« Oui. Monsieur le Conseiller général ? Je vous en prie.. »
Avec un sens réel du spectacle en distillant chaque mot de son intervention le Maire de Saint André de Cubzac commente à sa manière la réunion avec componction : « Vous connaissez Monsieur le Préfet mon respect pour votre fonction et l’estime personnelle que j’ai pour vous. Mais était-ce bien utile de nous réunir pour nous faire un commentaire de texte, certes passionnant mais qui ne nous apprend pas grand chose que nous ne connaissions déjà… » Jacques Maugein fait naître avec son style inimitable d’orateur donnant du poids à chaque mot un très léger sourire sur les lèves de celui auquel il s’adresse. Sa démonstration s’allonge mais, le connaissant, je sais qu’après les fleurs arriveront le pot !
« Nous réunir Monsieur le Préfet pour nous apprendre qu’il y aura grâce à M. le Ministre de l’Intérieur des relations plus étroites car institutionnalisées entre les élus locaux que nous sommes et les brigades de gendarmerie me paraît vraiment pas une grande nouveauté. Nous avons tous ici des liens avec les gendarmes. Je vais même vous faire une confidence Monsieur le Préfet; A Saint André ces rencontres de confiance se déroulent depuis très longtemps chez moi, vers 11 heures et demi autour de verres empli d’un liquide jaune… Et je vous assure que c’est efficace » Il tenait son effet savamment amené. Un rire discret parcouru la salle. Le sourire de Christian Frémont tout en retenue masquait difficilement son appréciation intérieure sur l’humour du Conseiller général. « Tout ça pour vous dire Monsieur le Préfet que nous n’avons pas appris grand chose de neuf susceptible de stopper la délinquance ! ». Comme dans une « battle » sur scène la salle attendait la réplique de celui qui était beaucoup plus décontracté que le colonel de gendarmerie visiblement privé de tout humour. Elle vint.
« Monsieur le Conseiller général je tiens à vous remercier de cette appréciation franche et lucide. Je dois à la vérité de vous dire que mon père a été aussi il y a quelques décennies élu d’un petit village de Dordogne et votre description des liens avec la brigade, à cette époque, ressemblaient beaucoup à ceux que vous avez décrits. J’en conviens. Il y avait pourtant un différence d taille, monsieur le conseiller général c’est que chez moi les rencontres se déroulaient devant des tasses remplies d’un liquide noir ! » Le « public » apprécia… Il avait gagné la bataille de la sympathie confiante que l’on fait toujours aux gens qui se sortent avec élégance et humour des situations les plus difficiles !

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