"Cachez ces mots de Brassens que je ne saurais entendre !"

Tous les soirs d’été, les villages les plus prestigieux ou les plus modestes reçoivent une parcelle de culture à travers des festivals inscrits dans la durée ou des spectacles plus éphémères. Il fut une époque où des troubadours allaient de lieu en lieu, proposant justement la poésie des mots et la mélodie de modestes instruments. Ensuite, on assista au passage de troupes de saltimbanques ou de baladins qui s’installaient sur la place de l’église pour des prouesses acrobatiques ou des situations burlesques. Dans les deux cas l’amour et l’humour perçaient dans des paroles ou des dialogues souvent en marge de la morale hypocrite d’un religion intégriste dans les paroles mais moins regardante dans ses actes. On vantait à mots doux les prouesse sexuelles ou l’on critiquait les cocus ou les faux-culs. C’est ainsi que se développa l’inquisition et que naquirent les tartuferies. Deux attitudes qui devraient condamner à perpétuité les références moralisatrices d’une église, mais dont le siècle des Lumières n’a pas pu nous débarrasser.

Il se trouve que dans un charmant village du Médoc où, contrairement à ce que l’on pourrait penser, on ne voit pas toujours… rouge, se joue une scène digne de ces moments tristes de l’histoire sociale. Le prêtre desservant la paroisse basée à Pauillac, cité où le Front national réalise ses meilleurs scores girondins, a interdit dans une « abbaye » un concert inscrit dans la programmation d’un festival d’excellente qualité. La diversité musicale constitue justement l’atout principal de ces rencontres qui se déroulent, au cœur de l’été, sous des voûtes vénérables dotées d’une acoustique exceptionnelle. Désireuse de valoriser justement les qualités de ce patrimoine, l’association organisatrice se dévoue, avec peu de moyens financiers mais avec une ingéniosité louable, pour faire vivre un patrimoine extrêmement coûteux en entretien pour une très modeste collectivité locale, pour quelques offices religieux étalés dans l’année. Or il se trouve que le concert de la soirée était consacré à des reprises de chansons sélectionnées de Georges Brassens. Soucieuse de respecter les termes de la loi sur la séparation de l’église et de l’État, la Présidente a joué la transparence et transmis pour accord le programme au prêtre « affectataire cultuel » de l’édifice qui détient le droit d’autoriser ou de refuser son utilisation culturelle. Le concert n’a pas eu l’heur de lui plaire, vu les positions anticléricales d’un chanteur proche des milieux anarchistes : «  Une église n’est pas un lieu où peuvent être chantés des textes écrits par un homme qui a milité toute sa vie contre la religion » . Logique… sauf que cette justification n’a aucun sens quand on sait que, depuis des siècles, les paroles prononcés dans ces enceintes religieuses n’ont pas toutes été d’évangile ! Le curé de Pauillac voit rouge ! Il lit et relit le répertoire de Brassens devant le comité paroissial qui cache les « mots qu’il ne doit pas voir » et soumet le programme à son comité paroissial. Le verdict est unanime : il est impossible que les voûtes de cette abbaye, protégée par la puissance publique, puissent résonner de paroles aussi déplacées que celles qui vantent la… charité et le partage dans « l’Auvergnat », la fraternité dans « les copains d’abord », la compassion dans « rien à jeter » ou l’amour de son prochain dans « brave Margot », le courage dans « le petit cheval » ou enfin la soumission aux femmes avec « je me suis fait tout petit »… et tant d’autres morceaux de tendresse pure, que seuls les incultes ne peuvent pas apprécier.

En fait, si l’on en croit Sud Ouest, tout est de la faute à la « Marine ». Une « sacrée » coïncidence en Médoc, où on en vient à refuser une concert dans une abbaye où l’on a peut-être pu librement mobiliser contre le mariage pour tous pour des injures proférées par « la Marine ». L’homme d’église aurait réuni sur une feuille des extraits de quelques-unes des chansons programmées, qu’il a passées au peigne fin. Y figurent des paroles comme « On a ri, on s’est baisé, sur les neunoeils et les nénés, dans les ch’veux à pleins bécots ». Des termes que le religieux juge « impropres à un lieu de culte ». Dont acte ! Il est certain que ces mots sont outranciers quand on croit à l’opération du Saint-Esprit ! 

C’est vrai que « baiser » est un verbe qui rappelle de mauvais souvenirs à tous ces religieux qui ont abusé d’enfants. Logique qu’on l’élimine. Son comité a sûrement considéré que la référence aux « nénés » pouvait choquer ceux qui ont confondus, par faiblesse en orthographe,dans les rangs de l’église, vénération des « seins » et des « saints ». Pas question de parler de « bécots » quand la Bible fait référence aux « baisers » de Judas. Avec un brin d’imagination on peut y trouver de la « fornication » ou de la « pornographie »… et avec un effort le préservatif ou l’avortement. Quoique par les « neunoeil » ou les « bécots » il faut vraiment y mettre du sien ! Il va y avoir du monde à confesse dès cette semaine à Pauillac et à Vertheuil. Ne serait-ce que tous les mécréants relevant du bûcher qui ont communié au concert, sous un ciel bienveillant, sur le parvis de l’église… Faisons l’offrande aux croyants de cette chanson d’actualité de Brassens : « Dieu existe-t-il ? » qui pourrait être lue en chaire :


« Au ciel de qui se moque-t-on?
Était-ce utile qu’un orage
Vînt au pays de Jeanneton
Mette à mal son beau pâturage’.
Pour ses brebis, pour ses moutons,
Plus une plante fourragère,
Rien d’épargné que le chardon!
Dieu, s’il existe, il exagère,
Il exagère.

Et là-dessus, méchant, glouton,
Et pas pour un sou bucolique,
Vers le troupeau de Jeanneton,
Le loup sortant du bois rapplique.
Sans laisser même un rogaton,
Tout il croque, tout il digère.
Au ciel de qui se moque-t-on?
Dieu, s’il existe, il exagère,
Il exagère.

Et là-dessus le Corydon,
Le promis de la pastourelle,
Laquelle allait au grand pardon
Rêver d’amours intemporelles,
– Au ciel de qui se moque-t-on? –
Suivit la cuisse plus légère
Et plus belle d’une goton.
Dieu, s’il existe, il exagère,
Il exagère.

Adieu les prairies, les moutons,
Et les beaux jours de la bergère.
Au ciel de qui se moque-t-on?
Ferait-on de folles enchères?
Quand il grêle sur le persil,
C’est bête et méchant, je suggère
Qu’on en parle au prochain concile.
Dieu, s’il existe, il exagère,
Il exagère. »

Cet article a 5 commentaires

  1. MF

    ça doit bien le faire »marrer » le grand Georges! il a quand même mis en musique « La Prière » de Francis Jammes!
    MF

  2. Eric Batistin

    Citation de jacques Brel:
    « Je crois que Dieu, ce sont les hommes et qu’ils ne le savent pas. »

  3. J.J.

    C’est bien sûr, Tartuffe n’est pas mort, il aurait même tendance par ces temps troublés à reprendre du poil de la bête, au grand dam des penseurs libres ( en réalité, les seuls penseurs, ceux qui ont leurs idées propres et non des dogmes imposés).

    « Était-ce utile qu’un orage
    Vînt au pays de Jeanneton ….? »

    En effet que fait donc ce dieu de bonté quant on pense que les orages, non seulement n’ont pas épargné le beau pâturage de Jeanneton, mais encore ont dévasté la cité prétendue mariale, et ont failli ruiner les marchands du temple !

  4. François

    Bonjour !
    « En toute chose, il faut savoir raison garder » !
    Imaginons ( un court instant ! ) qu’en plein mariage, dans la magnifique salle de la mairie créonnaise, l’assistance entonne un Notre Père ou Je vous salue Marie ( très belles œuvres chantées ) ou une prière à Allah, etc,etc, peux-tu, J-M, nous décrire dans ces colonnes la tête et les paroles de l’édile officiant ?
    Avec toute mon amitié compréhensive (Brassens fut surtout un Grand Poète ! ).
    Cordialement.

    NDLR : je ne vois pas où est la similitude des deux situations ? Vraiment pas… Car en mairie la religion m’importe peu lors d’un mariage…L’assistance peut chanter après la cérémonie ce qu’elle veut c’est son choix et s’il en était autrement je protesterais. Les mariés mettent parfois des chansons que je n’aime pas mais c’est leur choix ! Quand la cérémonie civile officielle et codifiée est terminée ils font ce qu’ils veulent ce n’est pas mon problème! ça choque qui ? Pas moi… En revanche je comprendrais la position d’un curé qui refuserait un chant de Brassens diffusé durant la messe ou lors d’ un office de mariage. Beaucoup refusent déjà de la diffusion de musique païenne lors des enterrements et lentement les gens se dirigent d’ailleurs vers des obsèques civiles et plus beaucoup de couples vont à l’église. Mais en soirée devant un public volontaire où est le problème ? Si les gens sont choqués ils restent chez eux ! A part les statues des saints qui peuvent se sentir attaquées ? Quels croyants écoutent contre leur gré à un refrain qui le choque comme le curé de Camaret ? A quand l’interdiction de Mozart car il était franc-maçon ?
    Et je les respecte en tant que laïque permettant aux autres d’exercer librement leur choix… sans l’imposer aux autres.
    Je reconnais à un curé le soin de faire ce qu’il veut dans l’église puisque c’est la loi qui le lui permet mais sur le fond je peux avoir un avis différent du sien ! Et il m’est d’ailleurs arrivé dans la vie publique de quitter l’église pour un désaccord sur le fond avec le curé ! Je reconnais à tous les croyants le droit d’entrer dans la Mairie et je pense que les non-croyants ont aussi le droit d’entrer dans une église sans que les dogmes religieux lui soient imposés !

  5. Cubitus

    Pauillac, c’est le Médoc, Monsieur Darmian. Tout comme Lesparre à peu de distance où une salle de prière musulmane vient d’être taguée de croix gammées.
    Dès que vous dépassez Blanquefort, vous quittez le monde civilisé…

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