Le foyer où les grands blessés de la vie actuelle réapprennent à vivre

Rencontres émouvantes au cœur du Créonnais dans un lieu d’accueil pour adolescents en difficulté. Rien n’est pire pour moi que de constater combien notre société est déconnectée de la vie réelle de ces jeunes que l’on prend pour des « racailles », alors qu’ils ne sont que des boules de souffrance intérieure ou des écorchés vifs dont peu de monde se préoccupe. Il circule tellement de poncifs et surtout de généralisations pitoyables sur ces gamins égarés dans un monde terriblement injuste pour les faibles. Pris en charge par une famille d’accueil, ils sont normalement 5 a avoir été « déplacés » de leur banlieue parisienne réputée, vers ce « home » où ils ont trouvé des repères de vie qu’ils n’ont jamais connus dans des familles déstructurées, frappées par le malheur et surtout dans une précarité culturelle, sociale et morale exceptionnelles. Ils vivent dans un mini-pensionnat une vraie liberté, encadrée mais enfin paisible. Leur mal être est si profond et les cicatrices telles que des mois ou des années ne suffisent pas à les ramener à la paix intérieure.
« Ce soir, ils ne sont que 4, car Benoît n’est toujours pas rentré de son week-end chez lui. Il aurait manqué le train… et nous sommes sans nouvelles de lui. Le service de l’enfance est à sa recherche » explique la maîtresse des lieux. Elle sait que ce sont les aléas de ces « placements », et elle en explique les causes. « Benoît a été en rupture sociale et scolaire durant près de 2 ans et nous avons tenté de le remettre dans le circuit. C’est extrêmement difficile, car il a été solitaire, livré à lui-même, durant ce laps de temps et il pose des problèmes au sein d’un groupe… » ajoute son époux, qui a rencontré les professeurs du collège. Le mal est profond et les soins seront encore très longs et épuisants. Benoît a à peine plus de 13 ans. Un drame… qui remue en moi de bien lointains souvenirs quand, instituteur de base, j’avais accepté d’accueillir dans ma classe des enfants d’un institut spécialisé, qu’il me fallait réinsérer dans le parcours scolaire. Personne n’en voulait. Personne ne les prenait pour ce qu’ils étaient : des victimes et non pas des coupables potentiels ! Le seul fait de les écouter, de les valoriser, de les respecter, de les excuser… et ils reprenaient un brin de confiance en eux et dans leur avenir.
Ce soir, l’éducatrice a organisé un concours de tartes. D’origine malienne, Boureima place avec un soin méticuleux ses tranches lunaires de pommes sur la pâte enduite de compote. Il veut être cuisinier (il est en stage chez un boulanger pâtissier créonnais qui joue le jeu avec ces jeunes), mais ne désespère pas de devenir footballeur de haut niveau. Il vient d’être recruté par un club de la banlieue bordelaise. « C’est lui qui a demandé à partir de sa famille et qui a tout fait pour fuir l’autorité, la hargne et la rudesse de son père…Il a exigé de revenir ici. Ce que les services de l’enfance ont accepté, malgré tous les efforts de son père pour le conserver ! » La responsable est profondément heureuse de le voir lentement émerger. Ce grand gaillard ne lève pourtant pas les yeux sur l’homme qui tente de nouer le dialogue avec lui. Il a tellement souffert ! Il s’est fait un copain, un frère potentiel avec Matéo, lui-aussi passionné de football. Ils parlent peu. Les mots sont toujours difficiles à sortir et la méfiance règne. Loin de ce qui n’est plus chez eux, ils se construisent à l’abri des regards réprobateurs de ceux qui transforment leur échec en haine pour les « repentis ».
Ils ont besoin de vivre autrement, de revenir à des repères simples, pour croire en leur avenir compromis par les échecs scolaires antérieurs qu’ils portent comme autant de plaies intérieures. « Ils n’ont jamais mangé assis autour d’une table… Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, ils ont bien du mal à se poser pour un repas normal. Ils ont survécu avec des pizzas, des sandwichs, du coca et autres choses du même genre… Ils mangeraient à toute heure, n’importe quoi ! ». Le constat de la psychologue est implacable : « il faut tout reconstruire sans aucune certitude sur le résultat, car c’est très dur pour eux. Ils me demandent souvent de les écouter… Rien n’est simple dans ce lieu, où les rapports humains doivent être respectueux des rôles de chacun. Un travail exigeant psychologiquement et dur matériellement, car il nécessite des conditions de vie indépendantes mais solidaires, ce qui est loin d’être évident. Au cœur de la campagne, ces adolescents venus d’ailleurs rappellent la dureté de cette société qui accuse, qui punit, qui humilie, qui écrase… sans vouloir comprendre. Dehors, la pluie est plus froide que quand je suis entré. Ce sont les larmes de ces enfants qui se cachent pour souffrir tout le reste de leur vie. Qui peut entendre leur silence inquiétant ? Qui pourra les aider à reconstruire l’espoir ? Qui veut vraiment leur pardonner ce que l’on considère comme des fautes, alors que ce ne sont que des soubresauts de douleur ?

Cet article a 5 commentaires

  1. Eric Batistin

    Sans vergogne et sans sensiblerie je profiterai de l’occasion offerte ici pour rappeler une chose.
    Pourquoi avons-nous en France des monuments aux morts des dernières guerres avérées, et aucun pour citer les noms de tous nos compatriotes morts sur le territoire en temps de paix ?
    En effet, ayant eu une discussion avec un ancien résistant qui arborait fièrement ses médailles lors d’une fête nationale, j’ai appris avec peine qu’il se souvenait du rire clair de six de ses amis d’enfance morts au combat.
    Or, pour ma part, n’ayant pourtant participé à aucune guerre recensée, je peux tristement compter plus de vingt amis d’enfance mort des effets terrifiants de la prise de drogue.
    Vingt jeunes gars et filles, et j’habitais pourtant dans un village !
    Dans les années 1970/80, la mode était ainsi faite qu’il était quasiment impossible de participer à une quelconque fête sans que ne tourne un produit agrémentant allègrement la prise d’alcool.
    Aujourd’hui qu’en est-il ?
    Et bien, aux dernières nouvelles, en plus du hashish, de l’héroïne et de la cocaïne chers aux fans des Rolling Stones ou de David Bowie, il existe de nouveaux produits, facilement accessibles, peu chers relativement et fort efficaces.
    Efficaces pour détruire toutes les connections neuronales d’un adolescent en construction. Sans parler de l’alcool de plus en plus présent .

    Il n’existe aucun recensement réaliste des jeunes gens morts par overdose en France depuis les années 1970 et jusqu’à nos jours.
    Ni de recensement de celles et ceux qui, bien qu’ayant échappé à la mort, sont aujourd’hui ou malades, ou socialement bien en dessous de leurs capacités, ayant raté toute leur scolarité suite à la prise exagérée de stupéfiants.

    Si l’on prend en compte ces difficultés et celles que subissent les enfants de drogués, eux-même reprenant d’ailleurs souvent allègrement le flambeau des morts-vivants, il n’y a pas assez de place sur les monuments aux morts en France pour citer tous les noms des familles touchées par ce fléau.

    Pourquoi tout ceci est passé sous silence, c’est pour moi un mystère.
    Pourquoi tant de morts ne seront jamais cités, pourquoi ?

    Et bien la réponse tient peut-être dans l’analyse qu’avait fait un de mes amis mort aujourd’hui, mon ami Jean L.
    Ce brave homme, en fin de vie, avait remarqué que dans tous les pays producteurs de drogues, la Colombie pour la cocaïne, et l’Afghanistan pour l’opium , on trouvait toujours derrière, dans l’ombre ou au grand jour… d’anciens chefs nazis !!
    Toute une époque, ces affreux personnages étant surement morts aujourd’hui.

    Reste une vérité, la guerre n’est pas finie tant que la jeunesse est à ce point attaquée, soudoyée, assassinée puis oubliée au champ d’honneur.

    Nos jeunes gens en difficulté ne sont que la preuve de notre défaite.
    Reste aujourd’hui à identifier l’ennemi, belle farce alors que tout le monde le connait:
    c’est l’avidité maladive et inhumaine des banquiers internationaux.

  2. J.J.

    Batistin accuse la drogue, il a certainement raison.

    Moi j’accuse le machisme, entretenu et encouragé parfois par une certaine soi-disant culture : Dans certains milieux, un enfant ne connaît que la violence et le mépris dans les rapports avec l’image maternelle. Comment peut-il alors, sachant que tout ce qui vient d’une image féminine, la vie quotidienne, les actes de la vie courante, le modèle du foyer (pas forcément idéal, mais un lieu d’équilibre) est voué au mépris, comment peut-il se construire une vie équilibrée ?

    Ils ont bonne mine les manifestants « un papa, une maman, un enfant », quand le papa est un tortionnaire, la maman une victime, qui subit la contradiction dans toutes ses démarches, et dont l’autorité dans le foyer est bafouée, et parfois la vie mise en danger !

    L’enfant peut-il être autre chose qu’une victime ?

  3. GERMAIN - NOUAILLES

    Il y a aussi des enfants ou des adolescents qui sont nés dans un milieu aimant, plein d’amour, entourés, aimés, éduqués, évoluant dans un milieu social affectif sécurisant, où le papa est un papa comme bon nombre (et non un tortionnaire) où la maman s’applique à lui transmettre les valeurs qu’elle a elle même reçue, l’inondant d’amour. Ou le dialogue est toujours privilégié, où l’adolescent a un accés à la culture comme il le souhaite (musique, sport, etc), bref une famille « classique »; Et cet ado un jour, décroche, refuse tout, se dit meurtri, humilié par un système scolaire qui le rejete,(ce qui est vrai), qui à 13 ans décide que finalement la vie est une « saloperie », qu’il ne trouve pas sa place et qui n’est ni un enfant victime, ni un enfant bafoué, ni un non-désiré.
    Sa famille d’accueil est la sienne, ses repères sont les miens, il n’y a ni violence, ni drogue, ni prostitution, ni alcool dans sa famille ; seulement 2 parents qui se lèvent tous les matins pour aller travailler. Lui, ne veux pas de cette vie là. Pourquoi ?

  4. J.J.

    Réponse à GERMAIN – NOUAILLES
    Triste constat, désespérant, c’est vrai, ça existe, malheureusement !

    Pourquoi ?

    Une pathologie non décelée (ou non décelable )peut-être ?

    Un grand drame en tout cas.

  5. Gracie Bray

    Les jeunes brigadiers sont choisis parmi plusieurs candidats, puis formés et appelés à développer leur sens des responsabilités. Occuper une telle fonction leur permet en effet de démontrer aux autorités scolaires, à leurs parents et à leurs collègues qu’ils sont dignes de confiance.

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