Les hasards des rencontres, au bar du TGV, permettent parfois des rencontres intéressantes. En nous retrouvant pour un café avec Pierre Gachet, nous avons entamé la discussion avec deux militaires en tenue de combat. Leur treillis traduisait une présence sur un théatre d’opérations extérieures comme on dit dans le langage des armées. Devant un Coca et une bière, ils se livrent avec simplicité et gentillesse, comme étonnés que nous puissions nous intéresser à eux. Ils appartiennent aux forces spéciales du 1er régiment parachutiste d’infanterie de Marine qui était engagé au Mali. L’un a obtenu de l’hôpital militaire de Percy une permission de 7 jours avant de revenir, et l’autre, blessé à une jambe, est en « perm pour 3 semaines », ce qui le rend visiblement heureux.
« Compte-tenu du retrait annoncé des forces françaises, je suis certain de ne pas revenir là_bas. Je suis heureux, car je vous assure que c’est extrêmement dur » explique le caporal-chef qui traîne légèrement la jambe. « Vous savez, nous avons également servi en Afghanistan et c’était bien moins exigeant ». Son copain approuve et renchérit : « Nous étions à Tombouctou et nous sommes partis pour des expéditions d’une semaine à près de 140 dans le désert, vers la frontière algérienne. La journée, en plein cœur du désert, la chaleur est insupportable; il n’y a absolument rien pour se protéger et la nuit, jamais je n’aurais pensé qu’il faisait aussi froid. En Afghanistan, c’était plus tempéré » ajoute le parachutiste. Ils sont unanimes sur ce qui résume leur appréciation globale de la situation : c’est très différent de l’Afghanistan et beaucoup plus dangereux…
« Vous savez, manger des rations de combat garnies de sable midi et soir, c’est pas très agréable. Nous sommes montés vers le Nord, le plus loin possible, sans jamais rencontrer personne, mais avec beaucoup de difficultés car les véhicules avaient beaucoup de mal à progresser dans les dunes ! Coupés de tout, dans un environnement hostile, nous avons vraiment souffert. Il nous tardait de rentrer à la base à l’aéroport d Tombouctou. »
Cet ennemi invisible les préoccupe tous deux, car ils ont le sentiment qu’il reste planqué mais qu’il est encore réel. Sur son téléphone portable, le caporal nous présente une photo d’un des fameux pick-up avec un armement lourd sur l’arrière. « Les djihadistes en ont encore des centaines de ce type. Ils les enfoncent dans le sable, les couvrent d’une bâche et les cachent aux repérages aériens ». Pour eux, les terroristes intégristes se sont dispersés et fondus dans la population. « Vous savez, vu d’avion ou même au sol, on a du mal à savoir si le gars qui promène les dromadaires est ou non un ennemi ! ». Pour eux, la population est acquise à la cause des Français tant qu’ils sont… présents, mais les deux soldats sont d’accord : « dès que nous serons partis, les règlements de comptes auront lieu ! Ils nous donnent parfois des caches d’armes, des maisons ayant abrité des terroristes, et je suis certain qu’ils savent où ils sont, mais par peur des représailles ultérieures, ils ne le disent pas. Tombouctou n’a pas été trop touchée par la guerre, en revanche les villages autour ont beaucoup plus souffert. » lance le plus jeune en savourant son coca ! »
« Le pire c’est leur attitude dans les combats, expliquent-ils avec le regard ailleurs. Ils avancent sur nous comme s’ils étaient drogués. Ils n’arrêtent pas. Ils marchent ou courent vers nous et les balles ne les arrêtent même pas. Ils se relèvent sans un cri, sans un mot, pour tenter de nous tuer avec des ceintures d’explosifs. Ils viennent nous chercher, alors qu’en Afghanistan c’est nous qui allions les débusquer. Eux, par fanatisme, ils nous attaquent avec un mépris total de la mort. C’est angoissant… » ajoutent ces garçons visiblement déstabilisés par ce comportement de kamikaze. « Monter la garde, c’est être prêt à voir courir vers vous quelqu’un, protégé par un homme armé, qui va tenter de se faire sauter le plus près possible de vous. Ils arrivent à 5 ou 6 mètres parfois de nos positions. Au Mali, les ceintures d’explosifs sont très courantes, très présentes, alors qu’en Afghanistan c’était rare. Nous avons tué beaucoup de terroristes et il ne doit en rester qu’une minorité, mais où? » C’est un constat qui, semble-t-il, les a beaucoup choqués et dont les images seront longtemps présentes dans leur mémoire. « Nous manquions d’appareillages de vision nocturne et c’est gênant, car ils foncent sur les postes ou les véhicules la nuit. Dans le désert, ces matériels sont essentiels pour éviter des attaques surprises ». Au détour d’un échange, ils conviennent que parfois il a fallu y aller « au couteau » (sic) ce qui dénote la véritable exigence des combats !
« Nous avons eu à nous battre dans la ville de Tombouctou. C’était chaud. Nous, on avait l’appui aérien. Une fois, j’ai vu lâcher une bombe de 250 kilos, je peux vous dire que ça calme ! Quand je suis chez moi, je râle quand j’entends passer un avion, alors que là-bas je peux vous assurer que j’étais heureux quand j’en entendais un ! » relate de caporal. Ils sont détendus et ravis comme tous les soldats d’en être partis, même dans des circonstances douloureuses.
« Le problème c’est que l’armée malienne n’a aucun moyen matériel pour tenir le territoire face à des attaques fulgurantes ds pick-up des terroristes. Elle a laissé entrer dans ses casernes des… terroristes, sans avoir eu les moyens pour les intercepter. C’est inquiétant pour eux. Elle ne tiendra pas sans le soutien d’une force de l’ONU très costaud. Pendant que ça canardait de tous les côtés à Tombouctou les civils continuaient à traverser les rues, à marchander et à vivre comme si rien ne se passait. La mort ne tracasse personne » avoue le parachutiste qui doit réintégrer l’hôpital en fin de semaine prochaine ! ». Un vrai moment de dialogue et d’échange, vrai et libre comme je les aime, avec un duo modeste, franc et ouvert. Un régal pour ceux qui, comme moi, préfèrent la réalité aux apparences ! Les deux paras restent seuls. Ils ont le regard ailleurs… et ils auront bien du mal à revenir au soleil printanier du Sud-Ouest !
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Merci monsieur de ce travail, au hasard des rencontres certes, mais travail tout de même de journaliste.
Avec pour une fois, je n’en doute pas, un entretien relaté sans autre déformation ni intention que celle d’un fier père racontant ses enfants.
Juste une question, évidemment idiote puisqu’il me suffirait d’être un grand stratège international pour comprendre, mais qu’est-ce que ces jeunes hommes font au Mali ?
Évidemment que la lutte contre des malades explosifs a en soit un sens, mais d’un point de vue plus général, ou disons plus froidement observateur de la géopolitique internationale, cette confrontation à mort est-elle vraiment nécessaire?
Le mali est-il un des derniers remparts infranchissable. Une horde de fous sanguinaires et affamés est-elle en train de se constituer aux frontières de l’Europe ?
Le Mali est-il un terrain de jeu nécessaire à l’entretien des retraites des ouvriers et directeurs des usines de production d’armement?
Il y a-t-il une ressource minière ou autre suscitant de grandes convoitises ?
Ou peut-être monsieur Bouygues a besoin de sable pour son béton ? Les nombreuses guerres et reconstructions qui s’en suivent sont fort consommatrices de sable à béton.
Me refusant à chercher sur le net ou dans la presse une quelconque explication un tant soit peu en accord avec une possible cohérence politico-économique, je m’en réfère, comme les jeunes gens à qui vous avez donné la parole, à nos chefs.
Et c’est bien là la force de la foi, croire sans jamais douter, sous peine de se perdre.
Nos jeunes gens vont donc mourir, pas ceux-ci souhaitons le leur, mais d’autres par malheur, juste par la foi que nous avons en nos chefs.
En ce sens, rien ne nous différencie vraiment de ceux d’en face.
Je respect leur courage de faire partie de l’armé mais de nos jours les combats ne sont plus conventionnel et ils se battent contre des fantomes qui peuvent etre n’importe ou.