Les urbanistes, les sociologues, les technocrates de notre époque pensent toujours inscrire leur nom dans l’histoire en « inventant » l’analyse la plus pertinente de l’avenir. Ils construisent pour l’avenir avec la certitude que ce qu’ils ont créé résistera à l’épreuve du temps, alors que quelques décennies plus tard, leurs initiatives sont remises en cause par une génération sûre d’elle. C’est ainsi que sont nées les « banlieues » devant permettre à la société d’entrer dans l’époque de la modernité, ou que l’on a chassé le tram des grandes agglomérations pour y installer l’automobile. Les inspirations prédictives qui guident les élus sont souvent totalement éphémères, nécessitant des remises en cause humainement et financièrement très douloureuses. Ne prenant jamais les fameux effets induits d’une décision, le système conduit à des constats ultérieurs désastreux, mais que l’on s’efforce, en général, de masquer le plus longtemps possible et à n’importe quel prix. Longtemps méprisée, l’époque du Moyen-Age, réputée à juste titre être celle de la cruauté, de la famine, du servage, de l’intolérance… a pourtant, dans le domaine de l’urbanisme et de la vie sociale, été la plus proche du quotidien des gens. En parsemant les territoires du grand Sud Ouest, grâce à la rigueur cistercienne, de « villes neuves », les bâtisseurs seulement réputés pour leurs cathédrales avaient déjà largement anticipé les besoins de…notre époque. Leur inspiration reposait sur une vision non formulée mais pourtant omniprésente du développement durable, mais comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, ils ne le savaient pas non plus !
Un périple touristique jamais dénué d’arrières-pensées de comparaison des situations des villes visitées, m’a encore permis de le vérifier : les « bastides » sont des cités exceptionnellement modernes ! Majoritairement initiées entre le XIIème et le XIVème siècles, elles ont résisté et prospéré, car les principes mis en œuvre par les aménageurs sont intangibles. De Créon, en passant par Sainte-Foy la Grande, Issigeac (bien que non classée bastide pour ce village médiéval) Villeréal ou Castillonnés, on retrouve, sans que ce soit perceptible par un visiteur non averti, les solutions aux difficultés que nous traversons actuellement. Inconnus et totalement éclipsés par les rois, seigneurs ou connétables qui leur avaient ordonné de « bâtir » des villes pérennes, rentables et susceptibles de conforter leur pouvoir, les concepteurs d’alors auraient pourtant mérité de rester dans l’histoire.
D’abord, alors que nous nous gargarisons des notions « d’aménagement du territoire », de « gestion économe d l’espace » ou de «gestion environnementale », ils avaient basé toutes leurs décisions sur ces données « modernes ». Le lieu d’implantation de la « bastide » n’est jamais le fruit du hasard, mais le fruit de l’émergence d’objectifs socio-économiques parfaitement identifiés et respectés : position stratégique, possibilité d’accès pour les activités commerciales, rôle de centralité à l’échelle d’un territoire donné, perspectives commerciales, intégration possible de populations nouvelles, potentiel agricole et artisanal…
Chacune de ces « villes neuves du Moyen-Age » a par exemple, bien avant toutes les autres, bénéficié d’un « Plan local d’urbanisme » strict, régulé, cohérent, économe, basé sur un Plan d’aménagement de développement durable codifié. Strictement égalitaires dans leur répartition « mathématique » d’espaces restreints, pour être accessibles financièrement aux classes « actives » moyennes du Moyen-Age, toutes les bastides ont conservé cette dimension humaine. Favoriser l’autarcie des acquéreurs (droit à construire, terres vivrières familiales, accès direct à l’eau, espaces dédiés à la vie communautaire…) et l’esprit solidaire autour du développement progressif de la nouvelle cité, constituaient les fondements sociaux de la création. L’activité professionnelle avait un lien direct voulu avec le domicile : on ne pouvait pas faire autrement que de travailler et de vivre au « pays ». Le circuit court de distribution entre producteur et consommateur était institutionnellement reconnu, via la création de « marchés » permettant de percevoir la TVA d’alors, Ils étaient très structurés, dotés de règles strictes et protectrices, d’outils essentiels comme la « halle » ou « la place » et surtout non concurrentiels, car fixés sur des jours de la semaine précis ! En offrant la sécurité pour les échanges avec les « services publics »essentiels d’alors (juges, militaires, mesureurs, notaires…) les concepteurs avaient répondu (parfois de manière peu durable tellement les guerres étaient fréquentes) à l’attente des « entrepreneurs » ayant fait confiance aux concepteurs du projet « bastide ». Et dans mon périple, j’ai une fois encore découvert ces merveilleux marchés vivants, animés, colorés, diversifiés, bondés, sur lesquels les politiques actuels devraient résolument s’appuyer pour relancer une dynamique de proximité dans les échanges basiques. Celui d’Issigeac (24) était fabuleux, avec ses odeurs, ses repas pantagruéliques préparés sur l’espace public, ses saltimbanques, ses attrape couillons, ses étals authentiques, ses animations multiples et surtout ce fourmillement exceptionnel de discussions directes.
Un vrai bonheur que celui de se promener anonymement, en ouvrant ses yeux et ses oreilles, pour vivre ces réalités en toute liberté, sans la pression de la consommation industrialisée. Tout respirait la joie de vivre, la proximité, une certaine fraternité de la rue et plus encore le bonheur de partager, sous les premiers rayons de soleil, des joies simples. Au Moyen-Age, ils n’avaient aucune concurrence pour mettre l’urbanisme au service d’une vraie « politique sociale de développement », qui a été très durable. Leurs agendas 21 étaient simples, clairs, cohérents : les secrets de la réussite !
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Monsieur Darmian,
à croire ou à ne pas croire, j’étais juste en train de finaliser la rédaction d’un texte de promotion du travail manuel, quand, histoire de garder l’esprit ouvert entre deux corrections, je viens lire votre article.
Quelle ne fut pas ma surprise en vous lisant de trouver dans votre explication d’un mode de fonctionnement, un accord possible, il me semble, entre mon texte de promotion et ce que vous décrivez.
Je ne résiste donc pas ici à faire le bateleur, encore enivré des sons et des images que vous nous offrez.
Voici donc mon argument :
Le But et la Cohérence
Enfant, il m’a été donné de croire.
C’est à peu près tout ce que j’aurais reçu.
Avec ce beau cadeau utile aux imbéciles,
inutile à ceux qui ont la foi naturellement,
et indispensable à ceux dont la vie est creuse,
j’ai reçu aussi à chaque anniversaire,
cet outil dont il me fut vanté avec ostentation
les mérites irréfutables:
un but.
Chaque fête nationale,
chaque réunion de famille,
chaque arrière grande tante croisée,
chaque petite cousine embrassée,
tout finissait toujours par ressembler
à la rencontre bisannuelle avec
mon professeur en orientation scolaire,
trouver et énoncer le but.
Une mesure frustratoire puisque injustifiée
car pour mon malheur je n’ai toujours espéré
qu’à donner à ma vie
un sens !
Aujourd’hui, ensemble, nous avons décidé,
après mure réflexion,
que nous devrions arriver rapidement
sous peine de voir la Terre exploser,
à l’installation universelle
de nos poubelles à trier les déchets.
Cela n’a d’autre sens pourtant
que d’encourager l’industrie de l’emballage,
le recyclage étant devenu activité rentable.
Pour ma part, j’œuvre dans le bois, je suis sculpteur.
Une activité ancestrale, vouée à disparaitre
avec la dernière branche d’arbre.
Mon travail est en ce moment fort à la mode,
car il est impossible de le rendre rentable,
si l’on s’y impose des objectifs !
Le seul but à atteindre est de donner un sens à l’œuvre.
Ce qui est parfaitement en accord avec
les conseils appuyés que nous donnent
nos nouveaux politiciens environnementalistes !
J’entends donc journalièrement
des compliments appuyés
sur l’importance que l’on donne à mon travail
et au respect que l’on me porte,
moi qui, dans un monde en folie,
me retrouve tout à coup en charge
d’un temps enfin employé joliment.
Je suis donc, enfin, après de longues années de bannissement,
devenu celui qui, par son action dénuée de toute cohérence
à un système qui n’est plus au gout du jour,
sait donner un sens…
Un sens au but à atteindre !
C’est à désespérer de mes concitoyens !
Vous que me lisez ici,
si vous trouvez mon travail intéressant,
et que vous êtes intellectuellement
à la recherche de nouvelles solutions d’échange
ayez la cohérence de participer à mon projet
cité plus bas
les banquiers eux, n’y trouvent pas leur but !
La solution à tous nos maux réside dans
le « circuit court de distribution »,
c’est ici ce que je propose,
merci de votre soutien.
Batistin
le projet ici : http://fr.ulule.com/atelier-amabaticom/