Méfiez-vous de la partie visible de l'iceberg

Si je devais un jour écrire un livre de souvenirs sur la vie publique, j’hésiterais entre deux titres : « au cœur du marigot » ou « les allées minées du pouvoir ». En fait, en une journée à Paris, les yeux et les oreilles ouvertes, on glane dix fois plus d’informations réelles, très différentes de celles qui sont ressassées par les diseurs de mauvaises aventures simplifiées à l’extrême. Dès que le TGV arrive, en devenant un anonyme dans un milieu parisien qui passe son temps à comploter, à évaluer, à divulguer, à dénigrer et même parfois à tuer au sens figuré, il suffit d’avoir de bonnes oreilles pour accumuler d’autres vérités que celles préparées pour une opinion avide de prêt à porter idéologique. Les transmetteurs se confortent les uns les autres dans leurs appréciations de faits partiellement connus. Il leur faut ajouter une touche personnelle pour démontrer leurs qualités professionnelles ou, plus souvent, rhabiller les faits pour les rendre plus attractifs.
A l’assemblée nationale, avant le théâtre de guignols des questions orales diffusées dans les chaumières douillettes des retraités soucieux de vérifier la présence de leurs députés, la réunion de la matinée à huis clos a beaucoup plus d’importance. Les élus socialistes ayant fait l’effort de se lever tôt reçoivent le Premier Ministre. Les traits tirés, un teint pâle, un ton démoralisé Jean-Marc Ayrault vient assumer le choc « Cahuzac », sans illusion. On ne peut plus soigner le « malade » mais seulement appliquer une thérapie de guerre. Il sait que l’UMP va y aller, sans qu’on puisse lui reprocher d’exploiter l’aubaine, sans retenue, en séance publique. C’est la loi du théâtre aux armées du mercredi après-midi. Tous les observateurs calmes notent l’absence du Premier secrétaire du Parti socialiste qui a des obligations de « plateaux télé ». Bien évidemment, les critiques les plus acerbes viennent de celles et ceux qui…savaient mais n’ont pas été écoutés, de celles et ceux qui règlent leurs comptes personnels. L’intervention la plus construite vient de Vincent Feltesse, le jeune député bordelais, qui fait un « discours de la méthode » qui redonne un souffle politique à ce qui tournait au défonçage de portes ouvertes. Bien entendu, les silences sont plus révélateurs que les envolées offusquées.
Le Premier Ministre parait installé sur un radeau et a probablement le sentiment le plus terrible quand on a des responsabilités : celui de se sentir bien seul ! Tout le monde s’attend à un après-midi orageux…avec des donneurs de leçons. Ayrault annonce les mesures que le Président va divulguer en fin de matinée… On se sépare, et dans le fond, les discussions deviennent plus libres dans les couloirs que dans la salle : les plus sûrs d’eux y vont de leur recette miracle, les plus audacieux de leurs commentaires dévastateurs et les autres s’éclipsent. Au restaurant, la Droite tient table ouverte avec des sourires des grands jours. On se murmure des confidences éclairées, avec délectation. Le match s’annonce aussi spectaculaire que celui entre le Barça et le P.S.G dont on parle dans le fond moins que sur les ondes. Les « consignes » et les « axes de communication » ou les mots références circulent. Le clou doit être enfoncé jusqu’à la garde et l’on doit (demandez-vous pourquoi ?) épargner Cahuzac pour concentrer les tirs sur Ayrault, Moscovici, déjà secoué par le qualificatif mélanchonesque, et surtout Hollande ! En fait, les turbulences nécessitent une ceinture de sécurité que les proches tentent d’attacher au passager de l’Elysée !
Dans la soirée, les langues se délient et reviennent sur un lointain passé que tout le monde a voulu oublier. Les explications sur l’attitude de Cahuzac éclairent alors d’une lumière bien différente les affirmations péremptoires diffusées toute la journée. Comme ces bulles qui remontent à la surface des étangs où les feuilles mortes se décomposent sous l’eau, dans le lieu où je me trouve, les confidences changent les apparences. Il faut remonter à l’origine des fonds déposés sur le fameux compte pour avoir la clé du coffre illicite. Beaucoup moins simple qu’on veut bien le lasser accroire. Il est certain qu’au fil des semaines, il faudra réviser des jugements péremptoires, et peut être que le cercle des parias va s’élargir. Là encore, il faut se méfier de la simplification outrancière et donner du temps au temps, ce que les média se refusent, car ils ne vivent que sur l’instantanéité. Je rentre à l’hôtel avec un sacré doute en tête pour une bonne part de la nuit. L’iceberg politique a vraiment une face cachée plus intéressante que celle qui brille au soleil des certitudes toutes faites. Enfin, on en reparlera un jour… si vous savez attendre !

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Cette publication a un commentaire

  1. Cubitus

    L’Assemblée Nationale est effectivement devenue un théâtre. Malheureusement, ça tourne trop souvent au théâtre de Guignol. le mercredi, les bancs des députés sont presque pleins : le mercredi seulement parce que la séance des questions orales est diffusée à l’antenne, alors il faut se montrer. Et lorsqu’une grande g… une célébrité dirais-je est interviewée dans la Salle des 4 Colonnes sous le regard de marbre de Jean Jaurès, les figurants se bousculent dans son dos pour qu’on aperçoive leur minois dans leur circonscription.
    Je persiste et je signe : du théâtre de Guignol.

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