« Bien informés, les hommes sont des citoyens, mal informés, ils deviennent des sujets » selon Alfred Sauvy. C’est un véritable sujet dans notre société de la surmédiatisation…car elle conduit les peuples vers la dépendance totale à l’égard des transcriptions de la réalité. N’étant plus du tout explicative ou pédagogique mais uniquement sensationnaliste et instrumentalisée, l’information dérape en permanence, mettant en danger les bases même du fonctionnement démocratique. La situation s’aggrave chaque jour davantage, car elle est malmenée économiquement, et le système en crise cherche à « séduire » plutôt qu’ à « instruire ». Combien de fois dit-on : « votre position ou votre explication est de qualité, mais elle n’intéressera pas nos lecteurs, nos auditeurs ou nos téléspectateurs » . C’est désormais devenu la règle quotidienne de la hiérarchisation de tout ce que vous lisez, vous entendez ou vous voyez. A ce sujet, j’ai en mémoire l’histoire pédagogique d’un jeune instituteur croisé dans une école de ZUP et qui officiait dans la classe à côté de la mienne au début des années 70. Il expliquait doctement qu’il « n’avait pas encore commencé le programme de « calcul » (on ne parlait pas encore de mathématiques pour les cours élémentaires!) car ses élèves n’en n’avaient pas exprimé le besoin ! ». Nous en sommes au même niveau pour les médias : ils n’abordent pas les éléments du quotidien autrement que par leur volet exceptionnel, puisque « l’ordinaire » n’intéresse plus leur public ! On en arrive à transformer une anecdote en événement, en la livrant de manière brute en pâture à l’opinion de gens avides de facilité dans tous les actes de leur vie sociale. On livre à domicile ce qui est subalterne, évitant tout effort d’acquisition du « savoir » et persuadant ainsi celui qui reçoit qu’il entre dans l’essentiel.
Les fesses de Beckam ; les frasques de DSK ; un trait d’humour présidentiel et, depuis ce matin, le chien d’un Ministre bordelais qui aurait serré dans ses mâchoires le bras d’un policier municipal : les plus célèbres quotidiens ou hebdomadaires nationaux (voire internationaux…) ont titré sur ces sujets, tant sur leur couverture que sur leurs sites internet. Essentiel pour le quotidien des gens quand le RSA explose, la crise du logement s’accroît, l’école rame, la pauvreté grimpe, la pollution menace, la jeunesse désespère et que des millions de personnes se battent quotidiennement pour tenter d’enrayer ces phénomènes. Sur les « affaires » citées plus haut, les témoignages recueillis ont mobilisé des heures de professionnels, pour des enquêtes approfondies, des commentaires sentencieux, des diffusions massives avec des imprécisions, des considérations philosophiques, des relances destinées à favoriser la polémique.
Dans le fond, on peut de plus en plus comprendre le désintérêt des gens qui ont les moyens intellectuels ou financiers d’acheter un journal, d’apprécier une radio ou de choisir une chaîne de télévision. Ils vont chercher ailleurs leurs informations, d’autant plus que celles et ceux qui la détiennent ont désormais les moyens de bâtir eux-mêmes un stratégie de « communication directe » bien différente de ce que devrait être une « information » construite. Ils construisent de plus en plus, avec des conseillers venus souvent du camp du journalisme dont ils connaissent les failles professionnelles, un faisceau maîtrisé de diffusion de leurs « messages ». Obama donne l’exemple en étant de plus en plus méfiant à l’égard des journalistes des grands supports de presse. Le président préfère les contourner et se forger sa propre image. Pour cela, son administration s’appuie sur les nouveaux médias, tels que Twitter, Facebook et YouTube pour publier des photos du président, poster des blogs, sur des enjeux politiques, et des vidéos qui montrent le personnel de la Maison Blanche en plein travail. Le tout en prenant soin de n’envoyer ce contenu à la presse que dans un second temps… Il ne supporte plus le caractère réducteur (manque de place, durée réputée défavorable à l’écoute, sujets trop complexes, pas assez d’images disponibles…) des entretiens qu’il accordait aux grands supports médiatiques dont on ne sait plus quelle est la « vedette », de l’intervieweur ou de l’interviewé. Donc, plus aucune information ne sort directement de la Maison Blanche depuis la réélection du Président des USA, dont l’entourage fiable veille au grain ! On le comprend! Dans le journée, après un « écho » anonyme dans Sud Ouest, Michèle Delaunay, Ministre déléguée aux personnes âgées, qui travaille sur le sujet capital de la dépendance, occupe le devant de la scène nationale voire internationale, grâce à son berger allemand… L’AFP (seigneur!), Le Point , L’Express, 20 minutes, TF1, France TV infos, La Dépêche, Le Nouvel Observateur (le chien ne serait-il pas impliqué dans les frasques de DSK ?), 7 sur 7, Orange infos… et j’en passe, se déchaînent sur ce qui devient « la polémique de Bordeaux ! » pour certains, et une atteinte à la dignité de fonctionnaires de police pour d’autres, ou un grave incident pouvant valoir à Michèle Delaunay le même sort que celui qui avait été réservé à Jérôme Cahuzac ! C’est vous dire si la situation est grave : on oscille entre la « morsure sans trace » et le « serrage de mâchoires » douloureux, et il va falloir appeler un expert judiciaire, quand on sait qu’en France, chaque jour, trois facteurs sont en accident du travail à la suite de morsures par des chiens non-ministériels ! Le meilleur aurait été qu’un chien des policiers morde la Ministre : le pied pour le week-end ! Ou mieux, que la Ministre morde les policiers ou le chien des policiers : superbe !
Merci à ceux qui se donnent un mal de chien pour expliquer qu’inexorablement les « sujets » redeviennent chaque jour plus nombreux que les citoyens.
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« Ah, on me dit dans mon oreillette, que le chien en question n’est pas aussi allemand qu’il n’y parait. Il serait issu d’une vielle meute saxonne dont les cousins germains sont apparentés à des anglois. Sans transition, dans le journal de 0h30, vous pourrez vous endormir sur un dossier brûlant, la baisse du pouvoir d’achat chez les retraités de plus de 70 ans… »
Oui Jean-Marie, toi et moi, nous appartenons à une autre époque de l’information. Non que l’anecdote du chien de Michèle Delaunay n’aurait pas été traitée dans notre quotidien il y a vingt ans. Elle l’aurait probablement été, j’en suis convaincu, mais elle n’aurait pas fait le « buzz », elle aurait été exploitée dans le « Canard Enchaîné », sans doute, elle aurait peut-être fait un écho dans un hebdo avec retard mais elle n’aurait pas été reprise en boucle, immédiatement, comme hier, avec l’effet multiplicateur du web et de ses réactions. L’écho un peu beaucoup vachard, il existe depuis le « Gaulois » au XIXè, et encore c’était bien pire qu’aujourd’hui. Nous sommes dans le monde de l’information immédiate, pas différée comme autrefois, c’est une donnée incontournable de la modernité et les politiques sont les premiers à s’y adapter, du moins essayent-ils. Le monde a changé, les journalistes ont changé, les enseignants ont changé, les politiques ont changé et nous sommes tous les deux du monde d’hier tout en nous adaptant, vaille que vaille, à celui d’aujourd’hui.Je ne suis pourtant pas aussi pessimiste que toi pour l’information, si l’on veut bien sortir de l’immédiateté. Il existe une presse mensuelle ou trimestrielle de qualité qui permet d’approfondir les sujets, il y a aussi l’édition, bref de la matière pour qui veut la trouver. De tout temps, il y a eu des gens pour se contenter d’une information superficielle et d’autres pour approfondir. Et de tout temps, les seconds ont été moins nombreux que les premiers.
Bien à toi.
La démarche médiatique me rappelle une remarque que ma grand-mère employait avec son franc parler, et dans le cas de la « ministre bordelaise »il est toutout à fait à sa place :
« D’une merde de chien ils font un pain de sucre ! »
Mais qui sait maintenant ce qu’était un pain de sucre ?…