Je vous dis : "Bercy beaucoup!"

Quand on a l’occasion de discuter avec les femmes et les hommes qui participent à l’exercice du pouvoir national, on retient une constante dans leurs propos : rien n’est possible en France sans l’accord de Bercy ! Dans le fond, c’est le plus inquiétant pour la démocratie, car personne ne vous parle du Président, du Premier Ministre, des Ministres car ils ne sont que des élus du peuple… et donc sans véritable importance. En France, tout se fait ou se règle dans ce vaste bâtiment qui avance dans la seine et qui ressemble à un coffre-fort longiligne. Pour y entrer, il ne faut pas montrer patte blanche une fois, mais se heurter à des contrôles successifs aussi développés que ceux qui protégeaient feu la DST !

J’ai pu une fois entrer jusqu’au cœur de la forteresse en allant dans le bureau du Ministre délégué au budget. C’est en fait le centre de la vie politique du pays. Dans cette pièce meublée avec des pièces modernes se joue l’essentiel de l’avenir des Françaises et des Français. Rien, absolument rien n’échappe aux services qui entourent l’occupant des lieux. Ils ont le droit de regard sur tout. Ils ont la capacité de refuser ou accepter tout ce qui relève de choix effectués par les élus. Et dans le fond, ce sont eux qui détiennent la clé de bien des problèmes. Les sénateurs, les députés peuvent décider ce que bon leur semble, si Bercy y est opposé, leur volonté ira paver les chemins de l’enfer des promesses non tenues. Aucune loi, aucun décret, aucun texte ne saurait exister sans le visa des services du Ministère des Finances dont les leviers sont encore tenus par des fonctionnaires imprégnés de la culture libérale étatique.

Unis par un esprit de corps né lors de leur formation, conscients de leur puissance venant de l’inertie, ou de leur veto technique, les occupants de ce vaisseau technocratique appliquent encore les mêmes méthodes que celles de « l’ancien régime » sarkozyste. Ils ont leurs objectifs, leurs codes, leurs rites et surtout leur vision de la gestion de l’État et, par tous les moyens, ils l’imposent aux Ministres qui prétendent gouverner. En fait, les vrais choix politiques reposent sur un refus ou un accord des inspecteurs des finances, et Moscovici n’y peut pas grand chose, comme tous ses prédécesseurs !

François Hollande est, selon des témoignages de proches, extrêmement mécontent des « fuites » émanant de cette grande maison des finances publiques. Des « taupes » alimentent, en amont de toutes les décisions, les journaux spécialisés afin de briser tout effet de surprise et offrir à la Droite des opportunités de taper sur les hésitations gouvernementales. Jérôme Cahuzac joue aux funambules en tentant de conserver son équilibre entre ses convictions et la réalité des comptes publics. Tout Bercy, telle une gigantesque secte, n’est tendu que vers un seul résultat : atteindre les 3 % de déficit public, et ce, à n’importe quel prix politique ! Par exemple, la Caisse des Dépôts et Consignations a vu durant ces derniers mois une augmentation significative de ses réserves, en raison du déplafonnement des livrets A de la Caisse d’Épargne, mais il n’est pas question de les injecter dans les prêts au secteur des collectivités territoriales. La raison : serrer la vis au maximum aux communes, intercommunalités et départements pour les forcer à diminuer leurs investissements en asséchant les emprunts (désendettement de la France oblige!) et en contraignant leur fonctionnement ! Peu importe si c’est catastrophique pour l’emploi, puisque le nombre des mises en chantier va s’effondrer dans les premiers mois de 2013 ! Les socialistes n’ont pas modifié la doctrine antérieure car on leur assène sans cesse les mêmes paramètres, les mêmes craintes, les mêmes options, et ils n’ont plus aucune marge de manœuvre !

A Bercy, on continue à tailler « le jambon jusqu’à l’os » et on s’arrange encore pour détruire les principes de l’équité de participation aux recettes ! Jérôme Cahuzac a acquis, en quelques mois, une estime et une notoriété qui font son… malheur. Ses collègues ministres le haïssent, car il effectue avec un talent reconnu les « basses besognes », consistant à réduire toujours plus les dépenses. De son bureau partent les injonctions… et personne, même habitant à l’Elysée, ne peut le contredire ou l’influencer. Il a, ces dernières semaines, démoralisé bon nombre de ses collègues, vite ramenés aux réalités de la ruine de la France ! Elle semblait avoir été oubliée par les « arrivants », persuadés qu’ils allaient changer le monde avec une distribution massive de fonds publics ! Bercy retient et jugule, avec des arguments techniques, toute velléité de modifier les règles érigées par les penseurs du Ministère des Finances. C’est ainsi que l’on assiste à ce décalage très fort entre des déclarations de principe de quelques Ministres avides d’exister et les recadrages auxquels ils ont droit. Il est arrivé que Cahuzac lui-même se fasse piéger en croyant que le « politique » accepterait tout de Bercy, alors que la peur de choquer demeure la première raison au renoncement du pouvoir central. Bercy reste un des lieux de pouvoir les plus emblématiques de France. Des ministres en rivalité permanente, un subtil jeu de cache-cache avec l’Élysée et Matignon, une force de proposition qui n’a d’égale qu’une redoutable capacité de nuisance, des hauts fonctionnaires puissants, dont le réseau s’étend à tous les étages de la vie politique et économique… Ce ministère qui a, chevillés au corps, le service de l’État et le sens de l’intérêt général, autant que le goût de l’opacité et un goût immodéré du pouvoir réel, laissant aux autres les apparences !

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Cet article a 2 commentaires

  1. Cubitus

    La cinquantaine d’inspecteurs des finances qui officie à la Direction du Budget sont, comme vous le dites, les personnes les plus puissantes de la République. L’adage voulant que l’argent soit le nerf de la guerre, ce sont eux qui, en réalité gouvernent le pays, lui donnent ses orientations économiques et ses priorités budgétaires. Une élite, une caste constituée des plus brillants éléments issus de l’ENA. Chargés de l’élaboration des documents budgétaires, les ministres et même le Président sont soumis à leur bon vouloir. Ils ont même des informateurs, des délégués au sein de chaque ministère en la personne des contrôleurs financiers. Aucune dépense n’est faite, aucun crédit n’est alloué à un ministre sans l’aval du contrôleur financier que la Direction du Budget a placé auprès de lui.
    Déjà, du temps de son septennat, Giscard, anciennement ministre des finances avait tenté de briser cette toute puissance en séparant le budget du reste du ministère par la création de 2 ministères indépendants, l’économie et les finances d’une part et le budget d’autre part. Cela avait provoqué une véritable révolution rue de Rivoli où se trouvait alors le ministère. Peine perdue, ça n’a pas été suffisant et dès la première occasion, le gros ministère de l’économie des finances et du budget s’est reconstitué.

    De toute manière, la marge de manoeuvre et le pouvoir de décsion de nos représentants, les parlementaires, en matière budgétaire est extrêmement réduite pour ne par dire quasi nulle. Déjà, en application de la Constitution et de l’ordonnance de 1958, ils ne peuvent ni augmenter les recettes, ni diminuer les dépenses (dont les montants sont arrêtés par la Direction du Budget dans le projet de loi de finances). Ensuite, quand on connait la masse des documents budgétaires annexés à la loi de finances(http://www.economie.gouv.fr/cedef/nouveaux-documents-budgetaires), il faudrait des mois pour les lire et encore plus pour les comprendre alors que les députés n’ont que 2 à 3 semaines pour les étudier puisque le projet de loi de finances doit être déposé au plus tard le premier mardi d’octobre et que tout doit être terminé au 31 décembre. Enfin. leur marge de manoeuvre est très réduite car le budget comporte des dépenses obligatoires (fonctionnement des administrations civiles et militaires, engagements de l’État, remboursement de la dette…) qui constituent l’essentiel et auxquelles les députés ne peuvent pour ainsi dire pas toucher. Il reste donc quelques miettes, ce que l’on appelle les mesures nouvelles et c’est là dessus que l’on voir nos chers représentants s’insulter et s’étriper devant les caméras (surtout le mercredi, ils sont plus nombreux parce que c’est retransmis). Des miettes laissées par la toute puissante Direction du Budget dans sa grande générosité pour donner l’impression que les Assemblées servent à quelque chose.
    Parce qu’il faut bien amuser la galerie, n’est ce pas.

  2. facon

    Ancien cadre A du ministère des finances je me suis toujours révolté contre le pouvoir accordé aux fonctionnaires, et notamment à ceux des services centraux qui élucubrent sur des statistiques illisibles, souvent bricolées pour faire plaisir au chef et qui imposent aux élus leurs volontés souvent à géométrie variable en fonction de leur interlocuteur. En fait «l’usine à gaz» de Bercy n’est pas plus désolante que les autres ministères avec qui j’ai pu travailler.

    L’Etat s’occupe de trop de choses et nos députés chargés d’en surveiller le fonctionnement ne savent même plus ce que font les services. Un ministre lui-même est ignorant de ce qui se passe dans sa maison où les tâches redondantes côtoient les missions les plus inutiles. A Bercy c’est forcément pire dans la mesure où le corps d’élite de l’Inspection Générale des Finances appartient à la famille. Il ne sera possible de réformer l’administration qu’en faisant faire l’audit par des cadres de terrain qui, eux, connaissent le fonctionnement des services et dénoncent sans cesse les excès bureaucratiques dont ils sont les premières victimes.

    Je vous conseille de lire « Promotion Ubu Roi » écrite par un Enarque de la dernière promo vous comprendrez pourquoi le système est fou et vous constaterez qu’il existe encore des fonctionnaires capables de le critiquer. Bravo à son auteur même si je redoute que son avenir puisse être largement compromis.

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