L'acte 3 de la décentralisation peut être celui d'une tragédie

Quand on analyse la défaite de Nicolas Sarkozy on oublie souvent un paramètre essentiel car il ne passionne pas nécessairement les grands exégètes parisiens. Et pourtant il faudrait se rappeler une déclaration privée de François Mitterrand : « on ne gagne une élection présidentielle que si on a le soutien d’une majorité d’élus locaux ! ». J’ai entendu Laurent Fabius, également dans une discussion à bâtons rompus, rappeler ce principe et inciter ses relais à s’investir dans les associations d’élus locaux. Sur le terrain, au contact quotidien de la population, les Maires notamment sont des repères importants dans la population qui leur a fait confiance. Ils ne peuvent pas seuls faire gagner un candidat mais, en revanche, il est certain qu’ils ont la possibilité de le faire perdre.

Avec sa réforme à la hussarde de la fiscalité locale et plus tard de l’organisation territoriale, Sarkozy avait témoigné d’un évident mépris à l’égard de celles et ceux qui s’échinent à boucher les trous du lien social. Il avait réussi à solidariser contre lui plus de 75 % des femmes et des hommes qui portent sur le terrain des principes souvent simples mais sur lesquels tout le monde se reconnait. Mitterrand avait réalisé la décentralisation, acte de confiance dans les gestionnaires communaux et départementaux. En voulant recentraliser et surtout contraindre, par la raréfaction des moyens des collectivités répondant aux préoccupations de la population, l’ex-Président avait dressé contre lui de manière plus ou moins visible des centaines d’élus relais. Les fusions à marche forcée, la naissance du conseiller territorial, vécu comme une atteinte à la proximité, détruisant la lisibilité à moyen terme des recettes fiscales, il avait été catalogué comme méprisant à l’égard des citoyens qui se dévouent. Querelles sur les indemnités ayant jeté en pâture de manière dangereusement populiste les élus, attaques sur le nombre en amalgamant tous les niveaux de gestion, suspicion autour de  leur capacité à gérer : autant de propos que même les maires de droite avaient très mal pris !

Maintenant, Hollande est face au même dilemme… Il ne doit absolument pas faire la même erreur au nom de principes dictés par la technocratie qui tient encore les rênes du pouvoir. L’acte 3 de la décentralisation souhaité doit être mené avec un vrai talent de négociateur. S’il détruit le couple « département-communes » il va droit dans le mur ! S’il cède aux régions, affamées de compétences qu’elles n’ont pas les moyens financiers de mettre en œuvre, il se trouvera dans la même situation que son prédécesseur à un peu plus d’un an des municipales. Il a reçu des signaux forts de la part de quelques élus lucides qui ne se répandent pas souvent dans les médias car ils ne sont jamais écoutés. Il aurait ainsi pris les devants en recevant, le 9 octobre, « plusieurs élus locaux agacés par la manière dont s’engage le débat », rendez-vous non inscrit dans son agenda officiel. De fait, c’est également lui qui a annoncé les grandes ligne de la réforme de l’État après les états généraux de la démocratie territoriale. L’impact n’a pas été à la hauteur des espoirs, et désormais il faut peut-être éviter la publication d’un texte qui mette encore le feu aux poudres ! Une dizaine de jours plus tôt, la ministre ayant en charge le dossier était encore en première ligne médiatique. Dans une interview, elle était entrée dans les détails de sa loi, annonçant même que le texte était « prêt ». Le mot de trop pour certains élus – comme le président du groupe socialiste au Sénat – qui ont estimé que la ministre tranchait sans les écouter. Celle-ci avait dû s’excuser immédiatement, évoquant une « maladresse » de sa part. C’en était une, car la part belle faite à la région, l’étouffement des départements, la perte de légitimité communale, avec les modalités électives des intercommunalités, les ambiguïtés sur le statut des métropoles, et l’absence de réponse au financement des Conseils généraux ( leurs espoirs de voir une amélioration sont très faibles, compte-tenu du fait que Marisol Tourraine a prévenu qu’elle ne ferait aucun effort sur l’APA et la PCH) ont entrainé des « mouvements significatifs ». Des changements qui  n’ont « rien à voir avec le travail » sur la réforme de l’État et la décentralisation, assure un conseiller de Matignon. Idem au ministère de Marylise Lebranchu. Preuve selon le Nouvel Observateur d’un malaise : un curieux va-et-vient dans son ministère… Le 10 octobre, son directeur de cabinet, Serge Bossini, a été remplacé par Laurent de Jekhowsky. Un mois plus tôt, en plein travail sur la décentralisation, deux nouveaux postes de conseillers techniques ont été créés sur la réforme de l’État et des collectivités territoriales. Le 27 septembre, trois jours après l’interview contestée de la ministre, un nouveau conseiller chargé de la décentralisation, à Matignon cette fois, est entré en piste. Bizarre, mais on semble reprendre en mains un dossier qui est bien mal parti, car vu de Paris, comme beaucoup de dossiers actuels. Attention ! il est vraiment casse-gueule, à deux ans des Sénatoriales et après des municipales capitales pour la fin du mandat !

Cet article a 6 commentaires

  1. Claude MEFIANT

    On nous parle de décentralisation, mais on se fout de nous ! Il n’y qu’à regarder les intercommunalités qui deviennent des usines à gaz incontrôlables.

  2. BAQUE Christian

    Tout à fait d’accord quand aux conséquences chez les élus. Ne s’agit-il pas aussi d’imposer les regroupements de communes, la dissolution et la fusion des communautés dans des métropoles  » afin de réduire les déficits publics » ? Le président PS du Sénat Jean Pierre Bel, intervenant le 21 septembre 2012 au congrès des départements de France à Metz, a posé en préalable l’engagement de l’Etat « de ramener le déficit public du pays à 3% en 2013. Cet effort s’impose à tous, chacun en a bien conscience : budget de l’État, des collectivités territoriales, dépenses des organismes sociaux, entreprises et ménages ».
    Ceci s’inscrivant dans le cadre de la mise en œuvre du pacte budgétaire européen (TSCG). Ce qui signifie la remise en cause des services publics et leurs personnels, ouvrant la voie à leur privatisation – destruction.
    Cet acte III de la décentralisation vise à dynamiter les fondements de la République une, indivisible et laïque, dans le cadre desquels la classe ouvrière a conquis ses droits et les services publics sur l’ensemble du territoire national. Ce qui explique que la nouvelle majorité n’a rien abrogé de la loi Sarkozy (sauf le conseiller territorial… pour le symbole).

  3. Bonjour,
    « Les assemblées intercommunales doivent disposer d’une légitimité démocratique directe, reposant sur le choix des électeurs et non sur une désignation au deuxième degré », a estimé, Daniel Delaveau, président de l’Assemblée des communautés de France (AdCF), le 4 octobre 2012, devant la ministre de la Décentralisation, Marylise Lebranchu.
    « Il est temps que la désignation des responsables des intercommunalités soit repensée », a jugé pour sa part le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. Pour lui, « nous sommes entrés dans une société où le territoire de vie est plus large que celui de la commune de résidence et où la démocratie doit avoir sa place ».
    Daniel Delaveau: « Nos communautés gèrent désormais environ 35 milliards d’euros d’argent public », a poursuivi le maire et président de l’intercommunalité rennaise. « Nos budgets reposent dans une très large part sur des impôts payés par les ménages », a-t-il poursuivi, demandant: « Peut-on imaginer une seule seconde le maintien du statu quo? »
    Source http://infos.courrierdesmaires.fr/5718/flechage-ladcf-met-la-pression-sur-le-gouvernement
    J’observe pour ma part la montée de l’opacité au niveau local, les débats publics sont soigneusement stérilisés. Les échanges au sein des conseils municipaux sont châtrés au moyen des commissions spécialisées où ne siègent que des conseillers cooptés pour leurs compétences ou pour leur loyauté ( servilité?). Le même principe règne dans les communautés de communes où la cooptation des élus des élus démultiplie encore ce principe. Résultat, les conseils municipaux et communautaires ne sont plus que des instances d’entérinement des commissions ad hoc. Le temps est venu de bousculer ces habitudes néfastes à la démocratie de proximité.
    Salutations citoyennes

  4. facon

    Si je comprends bien, vous les élus, vous êtes incontournables et toujours pas assez nombreux … Si la démocratie c’est vous et vous d’abord, je ne partage pas cet avis localement démenti et pourtant dans un univers PS

    Vous avez raison la France est riche et le mille feuilles à un bel avenir

  5. BAQUE Christian

    A JFrançois Facon
    Vous avez le droit de combattre pour plus de démocratie et moins d’opacité comme vous le dites. Encore que, dans nos communes, les conseils municipaux sont toujours publics et les élus disponibles. Mais ne confondez pas des attitudes ou des orientations politiques que vous réprouvez avec la structure politique de la République. Quand elle sera détruite, que vos communes seront des coquilles vides, que les intercommunalités seront d’énormes ensembles de plus de 50 000 habitants, quelle transparence aurez-vous? Vous croyez que les bordelais côtoient régulièrement Juppé? Ou Feltesse ? De mon point de vue détruire ce qui existe nous fera revenir en arrière. A moins de remplacer nos communes issues de 1789 par des conseils (soviets). Vous pensez que c’est l’idée maîtresse de la réforme Sarkozy-Hollande ?

  6. @Baques
    La démocratie fonctionne dans les petites communes… Heu eu eu !!! pas dans toutes les communes. Ainsi dans ma commune, 6841 habitants, aux dernières élections une seule liste. Les séances du conseil ne sont jamais interrompues par le moindre commentaire ou questions. Cela fait gagner un temps précieux car aucune séance n’excède les deux heures. Ainsi en mai dernier une séance comptant 7 questions délibératives et trois questions diverses a été réglée en moins de deux heures. Pourtant la question principale concernait Délégation de service public de l’eau potable :Choix du délégataire et contrat d’affermage du 1/08/2012 au 31/07/2022.
    Les élus sont disponibles dites vous ; je réside dans cette commune depuis plus de 14 ans et aucun conseiller municipal ne m’a jamais adressé la parole ni même salué. Je les comprends, que feraient-ils de mon avis puisqu’ils n’expriment même pas le leur lors des séances publiques !
    Soyons sérieux, le changement c’est maintenant, pas besoin des soviets ou des kibboutz pour instaurer une démocratie vivante.
    Salutations

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