Notre rapport à la mort évolue au fil des ans. Plus les automnes se succèdent et plus on est attentif aux pages des avis d’obsèques dans les journaux. Dès que l’on commence à y voir apparaître des femmes et des hommes qui ont appartenu à notre jeunesse et plus on se dit qu’un jour ou l’autre on fera nous aussi l’étonnement des lectrices et des lecteurs du même âge que nous. Il est vrai que ma génération scrute désormais les « vedettes » des années 60 qui ont accompagné cette période de l’insouciance absolue. Certes, beaucoup des artistes du « yéyé » ne brillaient pas par la poésie exceptionnelle de leurs textes, mais on n’en avait cure pour deux raisons essentielles. La première c’est que leurs tubes simplistes faisaient enrager les représentants de l’ordre établi, et la seconde c’est que nous ne demandions pas mieux que ces rengaines, qui illustraient à merveille le goût pour la facilité ambiante. C’est ainsi que naquirent des vedettes préfabriquées pour donner à des marques de disques le salut des copains du transistor. Sylvie, Sheila, Françoise… accompagnaient Claude, Richard, Franck, Sacha, le Johnny d’antan, pour poser dans les oreilles des airs répétitifs, acceptables par tous. Bien d’autres ne furent que des étoiles filantes pour hit-parades aux vertus purement mercantiles.
Désormais, la grande faucheuse, peu respectueuse de la notoriété, moissonne dans les blés mûrs à l’âge tendre et à la tête de bois ! C’est ainsi que Franck Alamo a tiré sa révérence.
Il était l’interprète de « Ma Biche » et de « Da Doo Ron Ron ». Vedette des yéyés au sourire étincelant et au regard clair, Frank Alamo est décédé jeudi à la veille de ses… 71 ans, alors qu’il s’apprêtait à publier un nouvel album qu’il espérait être celui de l’éternelle jeunesse. Ancien soliste des « petits chanteurs à la Croix de bois », Jean-François Grandin (une vraie marque !), son vrai nom, est mort. Impossible pour celles et ceux qui vécurent les « sixties » de ne pas se souvenir de son deuxième 45 tours (et oui le disque était l’ami du « Teppaz » ce tourne ritournelles agitées).
Il fut en effet longtemps classé n°1 en France, en Suisse, en Belgique et au Canada avec « Ma Biche ». Les yeux maquillés de l’héroïne qui ressemblent à des papillons bleus ont fait le succès des cours de collège ! Il alliait son côté bon fils de famille (son père était un grand industriel fabricant les premiers téléviseurs et des transistors), son physique de jeune premier, son sourire éclatant et son impeccable raie sur le côté, avec des paroles du niveau de la bluette. Sa carrière aura duré… 5 ans, avec des ventes exceptionnelles qui feraient rêver les grandes vedettes de maintenant, puisque sur une trentaine de disques, certains dépassèrent six millions d’exemplaires. Parmi ses tubes adaptés de succès anlo-saxons, on trouve les incontournables titres de la nostalgie galopante : « Da Doo Ron Ron » (remarquable poésie), « Allô Maillot 38-37 » (avant le téléphone sonne de Cloclo), « Le chef de la bande », « Souviens-toi des nuits d’été », « File, file, file »… Il ne reviendra à la chanson que très longtemps après la fin des années soixante, en participant à la fameuse tournée « âge tendre et tête de bois ». Ces concerts de vieillards qui tentent de délivrer un élixir de jouvence à des sexagénaires ou des septuagénaires connaissent un succès sans précédent. Jamais sur scène depuis 2006 les participants souvent affectés à une ou deux chansons cultes, n’avaient réuni autant de spectatrices ou de spectateurs. Du délire, avec des retraites améliorées pour ces idoles perdues dans les terres ingrates de l’indifférence ! Âge tendre et tête de bois fut une émission incontournable de télévision de variétés pour la jeunesse, animée par Albert Raisner, qui avait oublié son harmonica pour faire chanter les autres !
Alors que le marché du disque est en pleine crise, de nombreux artistes « oubliés » durant des décennies font aujourd’hui un retour remarqué sur le devant de la scène. Une sorte de résurrection musicale qui s’amplifie en période de crise. C’est, en effet, un parfait exemple du désir des gens de retrouver les artistes qui les ont accompagnés durant leur adolescence. Depuis sa création en 2006, les concerts ont rassemblé des millions de personnes à travers l’Hexagone, et les produits dérivés se vendent eux aussi comme des petits pains. Un phénomène exceptionnel, qui dénote vraiment cette tendance à nier les effets de l’âge « dur » et des têtes « hésitantes ». Franck Alamo… appartenait à ces faiseurs de rêves nostalgiques. Malgré des voix mal assurées, des pas de danse hésitants, des passages écourtés, ils réconcilient les « retraités » avec leur jeunesse perdue, et dans le fond, il faut bien l’avouer, malgré ses approximations criantes, c’est bigrement agréable. On a l’impression de prendre un bain de jouvence ! Allez chantez après moi :
« Biche, ô ma biche, lorsque tu soulignes
Au crayon noir tes jolis yeux
Biche, ô ma biche, moi je m’imagine
Que ce sont deux papillons bleus… » et vous irez mieux !
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Quelle soirée mémorable! ! !
Que d’enseignements devant ce spectacle à deux étages. Sur scène et sous des spots modernes, les stars d’un âge certain rajeunissaient …et, dans la pénombre brumeuse de la patinoire, le public oubliait ses cheveux grisonnants. Les yeux couraient des vedettes de la scène aux visages voisins, les un(e)s et les autres retrouvant avec joie ( et une émotion certaine ! ) des traits, des sons de l’adolescence ( voire plus ! ) pourtant enfouis par quarante … et quelques années d’éloignement, évoquant au passage les noms de leurs professeurs d’un célèbre collège, pardon CEG de l’Entre Deux Mers.
L’espace d’une soirée, les souvenirs des anciens ados ont éloigné dans les mémoires et les idées les prémices de l’âge sénior.
Encore merci aux organisateurs et organisatrices.
« Dès que l’on commence à y voir apparaître des femmes et des hommes qui ont appartenu à notre jeunesse et plus on se dit qu’un jour ou l’autre on fera nous aussi l’étonnement des lectrices et des lecteurs du même âge que nous. »
Je n’en suis pas si sûr. Combien de quadra, quinqua, sexagénaires (peut-être ?) lisent le journal (payant) dans lequel on peut découvrir une rubrique nécrologique. La P.Q.R. va de plus en plus mal, l’ancien journaliste a déjà abordé le sujet ici. Alors, je ne me fais pas de souci, illustre inconnu je suis né, illustre méconnu je serai !
La nostalgie des mythiques années 60 est d’autant plus forte, notamment la période 1962/1966, qu’elle coincide avec l’apogée des Trentes Glorieuses. Chez nous, le conflit algérien vient de se terminer. La France est ensoleillée, le chômage est quasiment inexistant, c’est la période de plein emploi et de croissance exceptionnelle de l’économie même si le salaire de l’ouvrier est encore trop bas. Justement ce sont quatre petits gars issus du milieu ouvrier qui vont devenir la locomotive de cette période et changer le monde: à Liverpool, port industriel, Les Beatles sortent leur premier disque le 5 octobre 1962 et dont on vient de célébrer le cinquantenaire. Franck Alamo adaptera d’ailleurs plusieurs de leurs chansons, et aussi Claude François. La jeunesse en mobylette ne brûle pas encore les voitures, elle ne songe qu’à s’amuser. Les J3 et les Blousons Noirs, séquelles des heures sombres de l’Occupation, ont disparus, les Yéyés, selon le mot d’Edgard Morin, les ont remplacés. Période insouciante même si, comme le chante Michel Delpech en 1966 dans son « Inventaire 66 », on a « toujours le même président ». L’explosion musicale qui se produite à ce moment là, et la France n’est pas en reste, n’est que la conséquence de ces quelques années fastes. Car dès 1966, le déclin se profile, c’est le début de l’escalade au Viet-Nam, le Moyen Orient commence à s’agiter, le gouvernement se sclérose, la musique change et devient plus politique avec l’apparition du protest-song, le chômage refait son apparition. Les années dorées sont mortes et la carrière de Franck Alamo se termine. La culminance sera Mai 68 qui ne fut pas seulement un phénomène français mais mondial car parti des États-Unis dès février 1968 (voir le film « The Strawberry Statement » – « Du Sang et des Fraises »), ce mouvement de révolte de la jeunesse atteindra l’Angleterre en mars, l’Allemagne en avril et enfin la France. « Et toujours le même président… »