La principale difficulté de l’exercice du pouvoir se trouve dans la difficulté qu’ont celles et ceux qui l’exercent, à quelque niveau que ce soit, à conserver à la fois la distance indispensable avec l’entourage et avec cette terrible sensation que l’on devient infaillible. Le doute reste le meilleur atout pour être efficace et surtout pour durer. Le fabiusien Ministre délégué aux affaires étrangères s’est exprimé alors que la cote de confiance du Président et de son Premier ministre ne cesse de chuter dans les sondages, et après des divergences, publiquement exprimées, sur certains sujets. « Il y a une nécessité pour la majorité, face à l’importance de la crise à laquelle nous sommes confrontés, cela concerne l’ensemble de ceux qui dans la majorité jouent un rôle, de serrer les rangs », a déclaré le ministre délégué aux Affaires étrangères. « Ce que nous sommes individuellement est moins important que ce pour quoi nous avons été élus. La politique ne peut pas être un exercice narcissisant dans la crise. La parole doit être utile, doit être maîtrisée, tout ce que nous disons doit concourir à expliquer ce que nous faisons et tout le reste est dérisoire », a-t-il ajouté. Et personne de lucide ne saurait lui donner tort car c’est une vérité constante.
Il existe aussi ce sentiment profond conduisant, en situation de crise, à se prendre pour le sauveur du monde et à croire que l’on possède le talent nécessaire pour résoudre en solitaire les difficultés collectives. Fraîchement arrivés au pouvoir avec ce sentiment d’appartenir aux « élus » ayant une destinée de « superman », certains se font vite happer par un système médiatique qui ne vit que sur le vedettariat superficiel. Déclarations intempestives, décisions fracassantes, parcours en solitaire, réactions de donneurs de leçons et, à l’arrivée, une cacophonie conduisant à la défaite. La discipline, considérée comme une brimade aux talents individuels et surtout comme un principe désuet en politique, semble avoir toujours fait mauvais ménage avec le pouvoir. On en revient souvent à la fameuse affirmation de Jean-Pierre Chevènement : « Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ». On n’en est pas encore là, mais plus la situation va se tendre et plus cette alternative va venir sur le devant de la scène politique. A tous les niveaux, dans toutes les situations, la seule vérité dans la gestion publique repose sur la solidarité. D’abord, pour assumer des mesures dérangeantes ou stressantes, il est indispensable que les différences d’analyse ne se transforment pas en en querelles intestines. C’est vrai qu’il est infiniment plus facile de donner des leçons de gouvernance que de mettre en œuvre concrètement des solutions forcément toujours imparfaites. Il n’y a jamais eu de prise en compte de l’intérêt général qui satisfasse tous les intérêts particuliers. Et justement, ce sont ces derniers qui, par leur résistance, peuvent mettre à mal la solidarité. La France, comme bien des démocraties occidentales, à lentement viré vers le système anglo-saxon du lobbying, qui a détruit sournoisement les volontés politiques.
Bernard Cazeneuve a incité notamment la majorité à faire preuve de discipline pour voter le traité budgétaire européen qui sera soumis au Parlement début octobre. Ce traité suscite des réticences de la part de l’aile gauche du Parti socialiste et des écologistes. Bernard Cazeneuve s’est refusé à envisager le fait que des membres de la majorité puissent voter contre ce traité. « La majorité doit être totalement rassemblée derrière le Président », a-t-il ajouté. « Ne pas se rassembler derrière l’ambition européenne du Président de la République, c’est nous affaiblir. » On peut prendre le pari que ce ne seront que des vœux pieux, car sur ce sujet les divergences sont enracinées dans les esprits, et elles ne disparaîtront pas par un coup de baguette magique. Et lorsque l’on exerce un pouvoir, il est tentant de se distinguer par une prise de position marginale… surtout si l’on a besoin d’exister médiatiquement. Les personnalités prennent souvent le pas sur toutes les autres considérations, tuant inexorablement la nécessaire solidarité. Le gouvernement actuel, de ce côté là, court un grand risque, avec une marge de manœuvre extrêmement réduite. Cerné de tous côtés par les effets décalés de la crise et par les bombes à retardement laissées par l’UMP, il ne peut pas se permettre des fissures internes. Son principal ennemi, c’est le temps, avec une crise qui revient comme un tsunami et une impatience grandissante dans un pays qui croyait aux miracles. Il faut à la fois construire des digues, mettre à l’abri tout ce qui peut encore l’être, préparer les secours d’urgence : un boulot peu enthousiasmant et peu valorisant, car nécessitant que chacun participe dans son rôle et sobrement au chantier. Le pouvoir actuel, partout dans le monde, repose sur des principes contraires car il est devenu « individuel » et « instantané ». La Gauche n’y échappera pas, car son arrivée au pouvoir est passée par un rejet viscéral du comportement de Sarkozy et pas nécessairement sur une adhésion à des valeurs malmenées depuis des décennies par ce que l’on considère comme du réalisme gestionnaire. Et c’est là qu’il faut la plus grande solidarité pour reconstruire un socle politique commun indispensable, sur lequel je ne suis pas certain que les « ténors » solos soient tous d’accord. Ils devraient relire rapidement « l’abeille et l’architecte » d’un certain François Mitterrand. Affaire à suivre…
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
« Solidarité gouvernementale », oui, bien sûr, il n’empêche que ce Traité est à l’opposé de ce que l’on attends d’un gouvernement de Gauche, et il y en a , au gouvernement et ailleurs, qui savent cela!
Doivent-ils la fermer pour autant ?
« Solidarité gouvernementale », d’accord, mais il y a des engagements qui fâchent. Comme pour le référendum sur le projet de constitution européenne, certains ont « l’intime conviction », comme disent les juristes, que ce n’est conforme au but que a été défini.
Discipline indispensable, oui certes, mais pas au point de devenir godillot.