Giresse fait repousser l'amitié au coeur de l'été

Ils sont venus, ils sont tous là. Il y a « Platoche » devenu Prince d’Europe après être passé par l’Italie, comme on l’évoquera subtilement dans les discours ; « Nanard », l’homme de Lyon qui tira plus vite que son ombre lors d’un match de coupe du monde, grâce à son but contre l’Italie après 38 secondes de jeu ; « Batiste », le martyr de Séville qui fut crucifié par un « bourrin bourreau » nommé Schumacher ; « Marius », monument de gentillesse et de solidité, sorti d’un film de Pagnol tourné aux Antilles ; « l’Ange vert », qui ne rend plus le « chaudron » stéphanois magique ; « Léo », beaucoup plus infranchissable que la ligne Maginot ; « Jeannot », qui ne peut pas s’empêcher de faire la tête, comme à l’habitude, en remâchant ses rancunes… et tant d’autres qui n’appartiennent pas à la bande des années 80 ayant porté la même tunique que Gigi, l’enfant qui fut maudit un jour d’août 86 pour avoir cédé aux sirènes de la Cannebière et s’être enfui du château, contre l’avis du maître des lieux ! « Christian », gardien du temple girondin à l’époque où il chancelait, « Claude » le secourable, qui invita le débutant amateur à rejoindre l’antre des pros ; « Michel », Hidalgo… d’Espagne, en charge durant des années de vêtir de bleu les rêves de gloire ; « Miché » belles moustaches, le préparateur basque des corps et des esprits mal en point… Un extraordinaire tableau de l’amitié triomphante, dans un milieu où l’on jauge désormais la valeur des hommes au montant d’un chèque. Il manquait « Aimé » le bien nommé, dont un disque avait mal tourné. La fête était humble, intime, sincère, afin que le rouge accroché au veston d’Alain Giresse soit le reflet d’un carrière flamboyante !

La nostalgie à l’état brut envahissait donc le salon du siège des Girondins de Bordeaux où un chevalier de la balle ronde, recevait justement ce titre, par son compagnon de conquête des Graal européens et mondiaux, Michel Platini ! Un moment de pur bonheur, dans cette bâtisse où tant d’événements n’ont pas eu la même résonance. La vie de château ne vint en effet que très tard dans la carrière de cet enfant de la balle, dont la destinée prévue se trouvait sur des toits qui n’étaient point du monde. Poutres, chevrons, copeaux, tenons, mortaises dans l’atelier d’un paternel taillé dans un chêne noueux furent remplacés par dribbles, passes, tacles, tirs et buts. « Tu as été comme moi étonné par ton premier salaire de professionnel » lança Platini. « C’était incroyable d’être payé pour réaliser notre rêve d’enfant et pour prendre du plaisir à jouer au football ». Et c’est vrai que Gigi n’a jamais travaillé, durant des saisons, et n’a jamais pensé à autre chose qu’au simple bonheur qu’il avait de vivre le football et de l’offrir aux autres. « Je crois en définitive que tu as eu et que tu as encore une âme indestructible d’enfant » a ajouté le docte président de l’UEFA, et il sait de quoi il parle ! En égrénant les aventures du « légionnaire du jour » passé par Bordeaux, Marseille, Toulouse, le Maroc, le Gabon, la Georgie avant de sentir le sable chaud du Mali, celui que l’on s’évertuait à présenter comme incapable d’être en osmose avec lui, raconta une « guerre des boutons ! » pour colosses aux pieds agiles restés des jongleurs impénitents. Une bien étrange épopée pour un footballeur ne sachant pas se détacher de son âme villageoise et d’ailleurs, ce n’est pas pour rien que ses amis de Haux avaient été invités, pour qu’il soit rassuré sur ses racines..

Éternel inquiet, comme son camarade de chambrée Bernard Lacombe, utilisateur fébrile de dizaines de paires de « chaussons  de foot» pour ses chorégraphies virevoltantes (maquillées par Raffy le cordonnier créonnais) ou espiègles, « Gigi » n’a jamais perdu cette force extraordinaire que lui confère sa fraîcheur d’âme ! Gigi il est… Gigi il est resté ! Gigi il restera… Il a chaviré sur des écueils, par excès de confiance. Il a traversé des déserts pour ne pas avoir su étancher la soif de gloire de dirigeants ambitieux pour eux-mêmes. Il a perdu sa fortune, mais jamais son bonheur d’avoir partagé entre amis le simple plaisir de vaincre en jouant ! Son destin il ne l’a forgé que par la volonté du peuple du foot, celui dont il é été le roi.

D’un terrible Argentine-France d’il y a… 35 ans, où il ne resta que 2 minutes sur le terrain avant de hurler de douleur à l’extraordinaire ivresse de Séville, dont le cliché fera éternellement la une des magazines sur la joie procurée par le sport, en passant par l’injuste procès en sorcellerie fait par Claude Bez, le parcours de l’enfant du charpentier de Langoiran aura sans cesse oscillé entre l’ombre et la lumière. Il a couvert son cœur de blessures d’amour-propre (il suffisait pour s’en convaincre de voir le regard de son ancienne institutrice d’épouse !) mais il a peuplé son esprit de tellement d’images heureuses (chaque mot le démontrait !) qu’il est capable à tout moment de lancer une étincelle ravivant les flammes chaleureuses de souvenirs communs !

« Des Présidents, des Ministres, de hautes personnalités ont souhaité, depuis 5 ans, me remettre cette légion d’honneur, mais j’ai été patient. Je l’ai gagnée au football et je sais que Napoléon ne l’a pas créée pour ça ! Je souhaitais que ce soit toi, Michel, qui me la remette car elle aurait encore plus de valeur » expliqua Alain Giresse à Platini lors d’un discours sans note, serti de précieuses anecdotes. En sortant de ce salon moite et trop petit, il est allé saluer les gens qui l’attendaient respectueusement sous les arbres, avec fidélité ; « Je vous dois tout !  » leur a-t-il dit sous les applaudissements. « Gigi l’amoroso » chantait Dalida.. Elle ne le connaissait pas. Il n’était pas guitariste à Napoli mais virtuose du parc Lescure. Ce petit bonhomme méritait bien sa légion d’honneur, non pas pour des faits de guerre sportive, mais pour les effets de son amour pour les autres, qu’il distribue fidèlement.

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