La rue demeure le plus bel espace de spectacle. D’ailleurs durant des siècles, lors de tous les grands rassemblements populaires, les artistes l’utilisaient pour tenter de survivre. Ils dressaient des tréteaux pour confectionner une scène sommaire accueillant des prouesses plus ou moins attractives. Des auteurs entrés dans la postérité, des musiciens ou des chanteurs célèbres, des interprètes prestigieux ont parfois débuté avec le minimum technique en plein air et se sont forgé une expérience leur permettant ensuite de briller en des lieux plus prestigieux. Désormais, il est difficile de convaincre de son talent quand, devant vous, défilent les fourmis pressées, stressées, angoissées même. L’artifice a souvent pris le pas sur l’art lui-même, avec des déluges d’infrastructures, de matériels, de subterfuges… qui éclipsent la vérité du savoir-faire. Et pourtant… il n’y a rien de plus beau que la simplicité, le naturel et le sincère !
Dans une ville de Libourne qui se prépare justement à laisser ses espaces être envahis par des passionnés de la création sous toutes ses formes, on peut dénicher ces pépites de gens qui maintiennent l’état d’esprit des saltimbanques. Pas facile, mais tellement agréable de se faire arrêter par un mot, un son, un geste qui retient votre attention par sa qualité inhabituelle. Ce superbe qualificatif de « saltimbanque » vient de trois mots italiens : saltare in banco, sauter sur une estrade. Cette dénomination, qui s’appliqua d’abord aux acrobates, s’étendit ensuite aux bateleurs ou faiseurs de tours de force, et enfin, par assimilation, à tous ceux qui effectuaient des tours de magie. Les saltimbanques ne peuvent pas se permettre d’être ordinaires, puisqu’il leur faut conquérir leur public. Sur une place baignée par l’ombre bienfaitrice des tilleuls, six jeunes, débarqués de Bordeaux avec justement le strict minimum, se sont installés pour capter l’attention d’une part des milliers de badauds qui vont de spectacle structuré en spectacle structuré. La tradition séculaire, poursuivie par le cirque des villages, veut que les artistes soient les bâtisseurs de leur propre aire artistique. Masse en main deux filles s’escriment, en plein soleil, à enfoncer dans le sol; des pieux qui teindront les postes de départ de leur parcours de funambules. L’un sera arrimé à un tronc d’arbre et l’autre sera sécurisé par un ancrage solide. La fine piste pour les étoiles se profile. Le câble se tend, et les premiers spectateurs approchent autant passionnés par cette phase d’installation spontanée que par la prestation qui s’annonce. L’installation représente déjà une prouesse, car elle doit tenir compte de la déclivité du terrain, de la nécessité d’avoir une ligne parfaitement horizontale et plus encore garantir la résistance aux évolutions des artistes.
L’un d’entre eux fait ses gammes avec les massues qui lui serviront à perpétuer la tradition du jongleur en équilibre sur un câble d’acier. Facile, détendu, il enchaîne avec désinvolture les figures, récupérant avec un pied ce que ses mains ont fait semblant d’avoir oublié. Les gestes sont séculaires et ressemblent à ceux que l’on a figé pour l’éternité sur des gravures moyenâgeuses. Les saltimbanques ont traversé le temps avec quasiment les mêmes objectifs et surtout des techniques simples. Ils défient la pesanteur et donnent en permanence une impression de facilité, qui ne prend sa valeur que lorsque on tente de les imiter. En fait, ces simulacres de répétition atteste d’une véritable envie de se produire en public. Elle ronge tous les vrais amuseurs des places publiques qui viennent chercher le public qu’ils ne rencontrent pas. Ils nourrissent une addiction au spectacle et ne peuvent pas se permettre de rester très longtemps sans ce contact avec la foule.
Les filles montent sur le fil qui leur permettra un voyage périlleux entre deux postes proches et pourtant tellement éloignés. Précautionneusement elles avancent, testant la qualité de l’installation en battant l’air torride de leurs bras agiles pour rétablir un équilibre forcément instable. Une funambule chausse des bottines d’antan avec talons aiguilles pour affronter une traversée bien délicate. La grâce perle dans ce voyage méticuleux dans l’espace, d’autant plus fluide qu’il n’y a pas l’anxiété de décevoir un public exigeant. Aucune barrière entre elle et une poignée de gens qui regardent avec tendresse ces répétitions spontanées. Aucune frontière imposée par des considérations techniques ou des normes sécuritaires. Le partage est complet. Les unes donnent. Les autres prennent.
De ville en ville, de place en place, de rues en rues les saltimbanques apportent l’irréel dans un monde épouvantablement technologique. Ils transforment en rires ce qui est un échec, ils donnent de la légèreté à des efforts constant, ils ressuscitent des acrobaties millénaires, ils épatent avec des actes dépouillés, ils font rire avec les travers que l’on ne voit que dans les attitudes des autres. Pour Appolinaire, ils deviennent des « baladins » c’est à dire des promeneurs de l’art dans un monde sédentaire, figé dans ses certitudes et ses pesanteurs. Sur leur fil d’Ariane posé au milieu de la fête, les funambules promènent le passé dans un présent étonné par cette spontanéité inhabituelle.
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Les comédiens ont installé leurs tréteaux
Ils ont dressé leur estrade
Et tendu des calicots
Les comédiens ont parcouru les faubourgs
Ils ont donné la parade
A grand renfort de tambour
Devant l´église une roulotte peinte en vert
Avec les chaises d´un théâtre à ciel ouvert
Et derrière eux comme un cortège en folie
Ils drainent tout le pays, les comédiens
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens
Qui arrivent
Tu nous régale Jean-Marie !
Chalut des volcans.
Pour ne pas être en reste avec les Fouchtras !
Ils ont des poids ronds et carrés,
Des tambours, des cerceaux dorés,
L’âne et le singe, animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage….
Les baladins, forains, et autres saltimbanques ont toujours inspiré les poètes, chanteurs, écrivains (Alain Fournier par exemple…) et autres artistes (la preuve) et fait rêver les sédentaires avec un peu de nostalgie.
Erratum, ce n’est pas l’âne, mais l’ours qui quête des sous !
Voilà ce que c’est que de faire le malin et ne pas consulter ses sources.
Malgré sa détestable réputation l’âne est cependant un animal sage, d’où ma confusion…..