Lorsque l’on occupe une responsabilité sociale, le danger le plus grave demeure, à tous les échelons, l’engourdissement des idées par la force de l’habitude. Il en va ainsi pour les femmes et les hommes qui baignent en permanence dans leurs certitudes au prétexte qu’elles sont efficaces et rassurantes. Les voyages sont les antidotes les plus efficaces pour faire perdre ses illusions. Aller voir ailleurs ce que l’on fait ou ce que l’on ne fait pas chez soi, ce que l’on croit faire mal et que l’on fait bien, ce que l’on est sûr de ne pas savoir faire alors que, dans le fond, on ne s’en tire pas trop mal… Bref, il est devenu indispensable de vivre d’autres réalités que celles qui se répètent dans le quotidien. En dehors des mandats « institutionnels », ceux qui découlent de l’investissement associatif procure, à cet égard, des opportunités de vivre autrement au contact des autres, car le contexte n’est jamais figé. Durant trois jours, en tant que Président de l’Association des villes ayant maintenu l’hommage rendu à une jeune fille historiquement appelée « la rosière », j’ai plongé dans d’autres mondes que celui de Créon. Pas question d’en revenir intact, puisque forcément on perd ses repères et ses… positions arrêtées sur un certain nombre de sujets. Le constat n’est pas forcément très agréable car il n’est jamais facile d’accepter d’être déstabilisé.
Dans la ville de Suresnes, coincée entre Neuilly et Nanterre, protégée de Paris par le poumon vert du Bois de Boulogne, j’ai retrouvé progressivement les délégations d’Aubière (banlieue de Clermont Ferrand), Moissac, Saint Jean des Vignes (quartier de Chalons ur Saône), Saint Jean (quartier de Chateaudun), Fontenay en Parisis, Saint Sauves près de La Bourboule, Montreuil le Gast (banlieue de Rennes), Courpière (cité d’Auvergne), montées vers la capitale. Toutes différentes, toutes motivées et toutes prêtes à jurer que c’est chez elles que l’on pratique au mieux l’art de la Fête, mais toutes éloignées de leurs bases. La diversité des pratiques tue immédiatement toute volonté de généralisation d’une image supposée révélatrice de ce que peut représenter l’élection d’une jeune femme devant porter l’identité d’une ville ou d’un village.
A Suresnes point de fête, mais des postures institutionnalisées, révélatrices de cet éloignement terrible entre le pouvoir local et la population. Anonyme, il est facile de capter ce qui n’arrive jamais aux oreilles des tenants du pouvoir en place. Quelques dizaines de personnes savaient en effet ce qui se passait dans une ville paisible, mais peu animée en un samedi où l’on évite de sortir… Cette indifférence passive contrastait avec les moyens mis en œuvre pour perpétuer des cérémonies tournant au « rituel ». Il est aisé de sentir que la cité ne s’approprie absolument pas cette tradition, maintenue par un nombre extrêmement restreint de personnes mais qui, si elle disparaissait un jour, ne changerait pas un iota à la réalité culturelle et sociale de la ville. Un passage éclair du Maire pour saluer les « voyageurs », et deux élus pour le suppléer durant les deux présentations des « Rosières ». Parfaitement réglée par des fonctionnaires de la mairie, probablement plus convaincues que leurs élus de la valeur de cette rencontre avec la jeunesse, la journée n’avait aucune aspérité. Trop parfait pour devenir un jour de fête, le samedi passé à Suresnes a déstabilisé ces dizaines de bénévoles venus d’ailleurs, car il leur faut, à eux, un investissement strictement désintéressé pour rassembler parfois des milliers de personnes autour du symbole d’une jeunesse solidaire, motivée, réfléchie, mesurée… Pour toutes et tous, la fête au village ne se conçoit que dans l’effort constant et la joie partagée. On ressentait vraiment que deux mondes vivent à côté. Gênés par d’inévitables excès d’exubérance méridionale, empruntés dans des cadres tirés à quatre épingles, impressionnés par un protocole millimétré, redoutant de perturber ce qui leur paraissait désincarné, ils n’ont pas retrouvé la « fête », celle imparfaite, critiquable, complexe, diverse qui permet à beaucoup de gens de s’enrichir au contact des autres. Tout semblait trop parfait pour ne pas être artificiel et conçu pour justement rester dans la « tradition » qu’eux ont adapté à leur manière en lui donnant de l’humain et de l’imagination.
Le lendemain, à Fontenay en Parisis, le bouleversement était total. On retombait dans la marmite de potion magique du bénévolat. Centaines de fleurs en crépon, chars attelés au tracteur, motards et deux chevaux bariolés… Depuis des mois, le village préparait son bain identitaire autour de sa « citoyenne» remarquable. Visites du bourg avec commentaires passionnés des gens qui y vivent, apéritif dans une salle de classe mise à disposition par le directeur de l’école (père de la rosière 2012), déjeuner sous le préau et partout la débrouille pour faire face aux éléments déchaînés. La pluie s’était invitée, douchant ainsi la ferveur populaire habituelle. Elle ne changea en rien les intentions initiales : la dame de Fontenay (Madame le Maire) ferait contre mauvaise fortune bon cœur et ne respecterait pas les usages (le Député arriva à la fin d’une cérémonie commencée plus tôt en raison du déluge) pour que la salle profite pleinement du spectacle des fêtes préparé par les associations du village. Rien ne se passa comme prévu. Peu de satisfactions, quand on comparait le travail effectué et le résultat noyé sous une météo pitoyable. J’avais mal au cœur pour eux. Je me sentais gêné de cette énorme différence à 24 heures d’écart. De Suresnes à Fontenay en Parisis, deux « France » réelles, pourtant situées à moins de 40 kilomètres l’une de l’autre, se rencontraient grâce aux Rosières. En retrouvant Créon, j’ai eu, je l’avoue le sentiment que nous n’étions pas si mauvais qu’on veut bien le dire, car nous avons su garder un esprit de résistance qui me plaît !
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En tant que responsable de la délégation d’Aubière, aux deux manifestations, j’ai pu « apprécier » comme Jean-Marie l’a si bien décrit les différences entre ces deux France.
La Fête de la Rosière de Créon m’a toujours parue être une réussite et il faut, je crois, en féliciter les organisateurs. Pourtant, le période, en août, est un handicap : beaucoup de gens sont encore en vacances. Malgré cela, elle attire beaucoup de monde.
Mais, connaissant (un peu) les convictions du maire de la commune, il y a une chose qui m’a toujours fait rire et je vais me permettre, s’il le veut bien, une petite taquinerie.
Lui, le champion de la laïcité ( et des Arbres du même nom qui deviendront un jour des colosses), me semblant, si j’en crois ses écrits, vraiment très peu porté sur les choses de la religion (ce que je partage entièrement) voire même que ça lui donnerait des boutons, et bien ce jour là il est obligé de se rendre à l’église et de suivre une messe complète jusqu’à la fin ! Quelle torture ce doit être pour lui ! Je n’ose imaginer le température de ses neurones en écoutant le discours de l’officiant. Mais ce sont les dures contraintes de la fonction et c’est à ces occasions que l’on peut mesurer pleinement l’abnégation et l’esprit de sacrifice de nos élus ☺.
On a tous nos petites faiblesses…….. et si JMD etait seulement tolérant?
« La Dame de Fontenay » a accueilli personnellement tous ses invités, on sait tous, et nous en Auvergne particulièrement, que la météo ajoute souvent à nos manifestions sa touche personnelle, ça nous fera des souvenirs à partager, qui ne se souvient de Chateaudun ? Merci à Elle pour le sourire et l’entrain dont elle ne s’est pas départie de la journée et merci et bravo aussi à tous les bénévoles qui l’on accompagnée !
On sait ce que ça représente comme travail pour les bénévoles que nous sommes aussi.