Devant le cercueil recouvert du drapeau français, posé à même le pavé de la cour d’honneur, et ses décorations de grand’croix de la Légion d’honneur et de la Croix de guerre portées par deux gardes républicains, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, 95 ans, cadre de la France Libre à Londres, a retracé la carrière du résistant et de l’homme engagé à gauche que fut Raymond Aubrac. En fait, ses obsèques ont fait beaucoup moins de bruit que celles d’autres personnalités n’ayant pas ses références morales et historiques. Lucie, décédée il y a tout juste cinq ans, à l’âge de 94 ans, et Raymond Aubrac sont « devenus une référence pour tous ceux qui se réclament de l’héritage de la Résistance », a dit l’historien de la France Libre, entouré de neuf petits-enfants du couple. La famille avait tenu à respecter les dernières volontés de Raymond Aubrac qui avait souhaité que seules d’anciennes personnalités de la Résistance s’expriment durant la cérémonie.
« Lucie et Raymond, couple désormais mythique, continuent de dresser le flambeau de la justice et de l’espérance », a ajouté l’orateur du jour, seul habilité à s’exprimer avec Jacques Vistel, président de la Fondation de la Résistance, qui a salué Raymond Aubrac qui « s’engagea pour rendre la France plus juste et le monde plus humain » et souligné son « rôle capital pour la paix au Vietnam », entre le Vietcong et les Américains. « Raymond Aubrac ne ressassait pas son passé de résistant: il ne s’intéressait qu’à l’avenir, à la lutte contre le racisme et à la défense de la Résistance et de ses valeurs, contenues dans le pacte national du Conseil national de la Résistance », a insisté M. Vistel. Car dans le fond, c’est cette constance dans la Résistance qui doit retenir l’attention des générations actuelles. Raymond Aubrac n’a jamais renoncé à ce qu’il croyait juste et il aura été, discrètement mais fermement, de tous les combats sur les valeurs humanistes. Dans la période actuelle c’est cette constance dans l’engagement qui mérite le plus grand respect, quand celles et ceux qui ont acquis la notoriété se contentent souvent de la gérer.
Souvent, je me suis demandé, en constatant le courage exceptionnel que manifestent dans tous les pays du monde et à toutes les époques, les vrais résistants, quelle aurait été mon attitude dans des circonstances similaires. Mettre en danger sa vie, celle de ses proches, requiert en effet un état d’esprit exceptionnel dont personne ne peut assurer être doté. Quand les Aubrac (et surtout sa femme Lucie) ont défié avec un courage exceptionnel l’occupant nazi, ils avaient, ancrées en eux, des valeurs cultivées par leur éducation et leur parcours personnel. Mais jusqu’où peut on aller quand l’enjeu dépasse son propre sort pour défendre celui des autres ?
Sous divers pseudonymes dont celui d’Aubrac, Lucie et Raymond ont contribué à faire de la Libération le mouvement de résistance le plus important en zone Sud, après le mouvement Combat fondé par Henry Frenay. Les époux Aubrac, puisqu’ils ont finalement été appelés ainsi, appartiennent au noyau central du mouvement, « non en vertu de nos mérites, écrira plus tard Raymond, mais comme souvent dans les organisations clandestines, du fait du hasard, des contacts et de l’amitié ». Le mérite ne consiste justement qu’à avoir confiance dans les autres pour accomplir son propre destin…. ce qui durant l’Occupation n’a jamais été facile, car non seulement l’indifférence existait, mais elle était concurrencée par la délation et l’opportunisme. Le chemin du quotidien n’était absolument pas pavé de bonnes intentions. Loin s’en faut. Le couple Aubrac, dont l’admirable Lucie, avait une culture politique forte dont il ne s’est jamais départi.
« En l’utilisant ( la carte électorale) vous penserez à tous ceux et à toutes celles qui l’ont gagné pour vous et qui n’ont pas eu le temps de devenir des grands-parents à cheveux blancs, comme moi ! » expliquait à ses petits enfants Lucie Aubrac. C’est devenu, par les temps qui courent, un acte de résistance, tant la tendance est à l’inverse. Il s’agissait pour eux de rester fidèles aux idéaux qui les avaient conduits à être reconnus comme des héros. Cet engagement comporte ses erreurs, ses zones d’ombre, ses mauvaises inspirations, mais il aura été toujours courageux et direct. L’essentiel reste la globalité d’une vie, et surtout pas d’inévitables incidents de parcours dont, bien entendu, ceux qui courent en zigzag s’emparent avec délectation, comme pour excuser leur faiblesse coupable.
Nul ne sait véritablement ce que résister veut dire, tant qu’il n’a pas été en situation de défier une véritable oppression. Le 29 juin prochain, Lucie Aubrac aurait eu 100 ans ! Souhaitons que l’on n’oublie pas de rendre hommage, librement, égalitairement, et surtout fraternellement, à celle qui avait simplement laissé cette phrase derrière elle : « résister doit toujours se conjuguer au présent ! ». Pourvu que je sache le faire aussi longtemps que ce professeur courage !

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