Sous les pavés des circonstances, la plage de la crise

Pendant la campagne émotionnelle, la crise continue, mais elle n’est plus au cœur des débats. Comme par miracle, elle a été dissoute par des événements purement circonstanciels. Éclipsés par la série de téléréalité policière au scénario parfaitement maîtrisé et utilisé, les chiffres de la croissance, qui conditionnent en grande partie l’avenir de milliers de demandeurs d’emploi, tentent de redresser le tir. A première vue, la France s’en sort relativement bien. Même au plus fort de la crise, elle n’a pas été confrontée à la fermeture, même ponctuelle, de son marché de la dette. Pour autant, les banques françaises ont énormément souffert sur les marchés, du fait de leur internationalisation et de leur exposition à la dette des pays périphériques. La France a également perdu son « triple A » en janvier. Enfin, l’écart de rendements d’emprunt d’État à dix ans vis à vis de l’Allemagne s’est creusé, passant de moins de 50 points de base en 2009-2010 à environ 100, avec un pic à 190 en novembre dernier. Plus grave peut-être, les déficits du budget sont en France largement structurels, c’est-à-dire qu’ils ne s’expliquent pas uniquement pas le contexte économique. Un point très important, car les nouvelles règles budgétaires insistent justement sur la surveillance des déficits corrigés des effets ponctuels. En France, le poids de la dépense publique dans le PIB est le plus haut des pays occidentaux, à égalité avec le Danemark. La dépense publique par tête est environ 20% plus élevée qu’en Allemagne. Il y aura à partir de ces réalités deux analyses politiques différentes.
L’une consiste à toujours plus tailler aveuglément dans les dépenses et à continuer à exonérer certaines catégories sociales des efforts de solidarité. Elle échoue depuis maintenant une décennie, mais idéologiquement, elle permet de conserver le pouvoir en fragilisant le maximum de gens et en privatisant à outrance la vie collective.
L’autre approche peut consister à sélectionner la diminution des crédits alloués au fonctionnement des responsabilités régaliennes de l’État républicain. Il faudra fixer des priorités : éducation, santé, justice, sécurité… et ensuite effectuer une troisième phase de la décentralisation, pour libérer les corps intermédiaires, et leur confier des responsabilités beaucoup plus grandes en matière de gestion du quotidien. Une redéfinition des compétences et surtout de leur financement sera nécessaire très rapidement. En ce qui concerne les recettes, elles ne peuvent pas constamment être déconnectées de la notion véritablement républicaine de solidarité. Ce sont ces deux visions politiques qui doivent fonder le débat présidentiel, compte-tenu du contexte.
Les prévisions actuelles découlent essentiellement du bilan de la gestion sarkoziste libérale de la crise, mais personne n’ose véritablement poser le problème. L’économie française est parvenue, par des mesures sans lien entre elles, à se dégager tant bien que mal de la récession en 2008-2009. Et rien n’a été tenté véritablement pour relancer la consommation et donc redonner du travail à une partie des salariés français. La situation se résume de la manière la plus simple : le niveau d’activité et d’emploi à la fin 2007 est le même 5 ans plus tard. Et là, c’est le coup classique de la bouteille à moitié pleine (sans notre politique ce serait pire et on a bien résisté !) ou à moitié vide (rien de positif sur 5 ans !) La France devrait perdre encore près de 50.000 postes au premier semestre, et voir son taux de chômage remonter à 9,7% en métropole d’ici la fin juin, selon l’Insee. Les conséquences seront catastrophiques pour les finances publiques du fait que la consommation en sera affectée et que les recettes diminueront, alors que les dépenses sociales augmenteront!
Le prochain Président, surtout s’il eSt de gauche, aura donc bien à se battre avec la barre sinistre des 10% de chômage, et avec des caisses qui ont été vidées par le gouvernement actuel. Pour les jeunes, la proportion dépasse 20% en moyenne depuis les années 1980. La France a l’un des taux d’emploi les plus faibles de l’ensemble des pays industrialisés pour le seniors (19,1% contre 51,5% en 2010, selon l’OCDE).
On va ressortir alors les recettes réputées incontournables du système libéral. On ne se pose pas la question simple : est-ce la demande qui fait embaucher ou est-ce la réduction du coût du travail? A quoi sert de toujours plus exonérer de charges de solidarité des entreprises qui n’ont aucun carnet de commandes ? Il faudrait une dynamique des investissements pour que les embauches suivent. Mais qui voit un carreleur s’adjoindre des ouvriers supplémentaires si personne n’a suffisamment d’argent pour construire une maison ? La précarité sociale a, automatiquement, des conséquences sur l’économie réelle. La raréfaction du crédit (contraintes de couverture du risque, liquidités insuffisantes..) et plus encore l’absence de ressources pour investir pèsent maintenant fortement sur la croissance. Encore une fois, ce n’est pas parce que la voiture neuve coutera moins cher de quelques centaines d’euros que les ménages en achèteront ! Ce n’est pas parce que les agriculteurs paieront encore moins leurs cueilleurs de pommes que les ventes repartiront, surtout si les taxes, véritables poisons de la relance, rongent toujours plus le pouvoir d’achat de celles et ceux qui en ont encore un.
Le mythe libéral c’est que la richesse accrue d’une portion réduite de la population peut sauver l’économie réelle.
Le bilan fiscal du quinquennat de Nicolas Sarkozy se solde par des allègements en faveur des 1% à 2% de Français les plus riches à hauteur de 2,5 milliards d’euros annuels, a estimé le premier syndicat des Finances publiques, Union Snui-Sud Trésor Solidaires… avec comme résultat une dérive du chômage !
Le syndicat évalue à 7 milliards d’euros le total des allègements consentis au travers, entre autres, du renforcement du bouclier fiscal, qui plafonne les impôts directs de tout contribuable à la moitié de ses revenus, et de l’allègement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Des corrections et relèvements d’impôts sur le revenu des plus riches ont été introduits, estimés par le syndicat à environ 4,5 milliards d’euros. Ces sommes, remises dans des investissements publics, auraient généré des centaines d’emplois, alors qu’ils n’ont servi qu’à la spéculation. La France a frôlé officiellement la récession à cause de la politique inefficace ménée.

Cet article a 3 commentaires

  1. Christian Coulais

    Un salaire minimum à 2 000€, une échelle de salaires de 1 à 10, un partage des bénéfices avec les salariés et les investissements dans l’outil de travail, bien entendu….et nous serons un plus grand nombre à utiliser les services d’un carreleur, à acheter local tant sur le plan de la nourriture que sur les biens matériels, à emmener la famille en vacances ou aux spectacles, à vivre tout simplement !

  2. Marae

    Le système tel qu’il se présente est bien vicié dès sa base, dans la mesure où il FAUT travailler pour qu’il puisse tourner; i. e. que même s’il n’y a rien de nécessaire à faire, il faut tout de même produire pour que « ça tourne »…
    Quand donc parlera-t-on effectivement de cette ineptie qui n’existe que pour le seul intérêt de quelques-uns?
    Qu’est-ce qui justifie l’axiome « Une entreprise est faite pour gagner de l’argent! »? Ou le principe selon lequel tout service doit être payant (ou rémunéré)?
    Ne pas le demander à tous nos « experts »: ils sont le fruit d’une intoxication aveuglante…

  3. Nadine Bompart

    Hélas, Hollande n’a pas l’intention de s’attaquer au noeud du problème qui est le financement de l’Etat par sa propre banque, et un audit public de la dette!
    Depuis la Loi Pompidou – Giscard de 73, le montant des intérêts versés aux banques correspond au montant de la dette actuelle! CQFD….

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